ACTUS

Rencontre avec… Frédéric Bertocchini (L'Histoire de France racontée aux enfants/ éditions Clémentine)

Clémentine, la maison d’édition insulaire (basée à Porti Vechju), annonce pour ce mois d’aout la parution des premiers tomes d’une nouvelle série de bande dessinée jeunesse, intitulée L’histoire de France racontée aux enfants. L’un des scénaristes est une personnalité bien connue du paysage culturel insulaire : Frédéric Bertocchini. L’occasion d’une rencontre.
Anspessade : l’année passée, la parution de la série L’histoire de la Corse racontée aux enfants a rencontré un joli succès auprès du lectorat insulaire. Il faut dire que l’œuvre, à la fois ludique et éducative, satisfait le cruel manque qu’il y a dans le domaine. Le projet de construire une nouvelle série, avec pour thème, cette fois-ci, l’histoire de France, est la conséquence de ce bel accueil ou la décision était prise depuis longtemps ?
Frédéric Bertocchini: Nous avons pris la décision de publier L’Histoire de France racontée aux enfants quelques semaines après avoir sorti L’Histoire de la Corse. C’est même notre éditeur (les éditions Clémentine) qui nous a suggéré de plancher sur le sujet. Il faut dire que les ventes de L’Histoire de la Corse étaient assez foudroyantes, et ce dès la sortie des premiers albums. Quinze jours seulement après l’arrivée en librairie des deux premiers volumes, la série entière était déjà en réimpression pour une seconde édition. Avec l’éditeur, nous nous sommes rendus compte que le concept plaisait, à mi-chemin entre le livre illustré et la bande dessinée, avec plusieurs niveaux de lecture. Nous nous sommes alors dit qu’il fallait continuer cette aventure avec une Histoire de France, mais pas seulement. Nous travaillons également sur d’autres projets et notamment d’autres pays, comme la Suisse. Un triptyque devrait sortir en Suisse l’an prochain. Quant à la Corse, nous allons maintenant affiner certains moments de notre histoire, que nous n’avons fait que survoler jusqu’à présent. Nous terminons par exemple un diptyque sur Paoli qui sera prêt à l’automne.
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Ansp. : En lisant L’histoire de la Corse racontée aux enfants, j’ai été frappé par la qualité du travail effectué par le collectif artistique que vous formez avec Lisa d’Orazio et Michel Espinosa, sans oublier Pascal Nino aux couleurs, bien sûr. L’œuvre a évoqué en moi quelques jolis souvenirs, la petite abeille Abbabella m’a rappelé la petite coccinelle de Gotlib, le style narratif celui de l’excellent dessin animé Il était une fois l’homme, véritable chef d’œuvre pédagogique. Le tout forme une histoire à la fois intelligente et rafraichissante. Du nouveau dans L’histoire de France racontée aux enfants, ou on reste dans la même veine ? Que devient Abbabella ?
F.B. : Le concept est exactement le même. C’est-à-dire six albums de 40 pages chacun, composés de grandes images. Deux nouveaux enfants (Léo et Juliette cette fois), racontent l’histoire de leur pays, comme Natale et Serena ont pu le faire pour la Corse. Nous sommes donc dans la même veine narrative. Graphiquement, Michel Espinosa a poussé son trait un peu plus. Les dessins sont donc plus élaborés et plus détaillés. Quant à Abbabella, nous avons voulu la garder. Déjà, parce que c’est notre mascotte et qu’elle a beaucoup plus aux enfants en Corse. Ensuite, parce qu’elle symbolise Napoléon. Lors de son couronnement, Napoléon était vêtu d’un manteau brodé de 1 500 abeilles d’or. Voilà pourquoi nous avons choisi cet animal pour la Corse. L’abeille a tout son sens pour une histoire de la Corse, mais aussi pour une histoire de France.
Ansp. : six tomes pour couvrir toute l’histoire de France, c’est un peu court, non ? L’écriture a du être une étape très délicate ? Quels ont été les critères qui ont orienté vos choix scénaristiques ?
F.B. : La Corse a une magnifique histoire, mais un pays comme la France a forcément un patrimoine plus conséquent. Il y a beaucoup plus d’informations à traiter. La vraie difficulté se trouvait là : parler de tout, ne rien oublier, sans trop entrer dans les détails non plus. Il a fallu faire des choix bien entendu. Même si cette fois les six tomes sont consacrés à l’Histoire de France (il n’y a pas de « France du futur »), l’exercice était délicat. En conséquence, travailler sur le texte a été plus compliqué que car le travail de synthétisation a été beaucoup plus éprouvant. Nous avons bien entendu porté nos efforts sur les événements majeurs, les personnages clés ou emblématiques, tout en réalisant des chapitres plus généraux, comme par exemple, « comment vivaient les Français au moyen-âge ». On évoque aussi les évolutions linguistiques, les courants de pensée, littéraires et artistiques.
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Ansp. : Est-ce que le découpage par album suit la même logique, cette chronologie très équilibrée, calibrée, qui évoque des épisodes de série télé, et qui fut adoptée pour L’histoire de la Corse racontée aux enfants ?
F.B. : Oui, nous avons suivi ce même principe chronologique.
Ansp. : vous avez travaillé avec de nombreux dessinateurs. Dernièrement, on peut notamment citer Eric Rückstüh et Igor Krstic. Comment s’est passé la collaboration avec Michel Espinosa ? A-t-il endossé uniquement la responsabilité du graphisme ou son implication fut poussée plus loin ?
F.B. : Michel Espinosa est un grand professionnel de la bande dessinée. Il est rapide et efficace, et surtout, c’est un métronome. Il n’y a pas d’inégalités dans son dessin. Son implication était essentiellement graphique. J’ai fonctionné avec lui, comme je fonctionne d’ailleurs généralement pour la bande dessinée. C’est-à-dire que je livre au dessinateur un découpage extrêmement précis et rigoureux, avec le nombre de cases et un descriptif dessin très poussé. Ainsi qu’une solide doc’ ! Il m’arrive même de mettre des photos ou des petits dessins dans les pages d’un scénario. Des dessinateurs sortent quelquefois des schémas imaginés, en apportant une vision des choses sur le plan graphique. Il peut y avoir des débats, même houleux quelquefois. Mais Michel Espinosa reste parfaitement dans les clous. Il dessine vraiment ce que je mets en place dans ma tête et suit le scénario à la lettre. Il n’est toutefois pas à l’abris d’une erreur, comme moi même. Par exemple, sur la couverture du tome 6 de l’Histoire de France, il manquait une étoile sur le képi de Charles de Gaulle descendant les Champs Elysée. Nous avons apporté les corrections nécessaires bien entendu. En fait, quand on travaille avec un dessinateur, c’est comme une partie de tennis de table, un va-et-vient permanent et des échanges sans fin. D’où l’importance de travailler avec des dessinateurs avec lesquels on s’entend bien artistiquement mais aussi humainement. Sinon, ça peut devenir rapidement ingérable.

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Le serment du Jeu de Paume (extrait du tome 4 – parution en octobre / éd. Clementine)

Ansp. : vous n’êtes pas le seul scénariste crédité pour cette nouvelle série, Lisa d’Orazio est également citée. Quel fut le rôle de chacun ?
F.B. :Lisa d’Orazio est docteur en Histoire, spécialiste de la Corse contemporaine et plus particulièrement des médias. Mais elle est aussi ma compagne. Nous avons deux enfants, Francescu Maria et… Natale. C’est elle qui a eu l’idée de faire une Histoire de la Corse racontée aux enfants. Nous étions à la plage avec les enfants, lorsqu’elle me suggéra soudainement de travailler sur une série en commun, à destination des plus jeunes. Elle a ensuite contacté Marie-Hélène Ferrari, la romancière bien connu qui est également éditrice aux éditions Clémentine. Notre idée a séduit et c’est comme cela que nous nous sommes lancés. Par rapport à Lisa, j’avais bien entendu une expérience qu’elle n’avait pas, plus d’une trentaine de bande dessinées derrière moi quand même. J’avais déjà la méthode, la connaissance du monde de l’édition, du travail avec un dessinateur. Mais elle, elle a apporté tout son savoir et sa façon d’appréhender l’histoire. À ce niveau-là, j’ai par exemple plus travaillé sur les 17e et 18e siècle (siècles qui me passionnent aussi bien en Corse qu’à l’échelle européenne), tandis qu’elle, a davantage planché sur les 19e et 20e siècle.
Ansp. : Historien, essayiste, journaliste sportif, scénariste de bandes dessinées, créateur du festival de la BD d’Ajaccio, vous avez plusieurs cordes à votre arc, que vous utilisez avec talent pour faire mettre en valeur l’histoire et le patrimoine culturel de notre île. La grande majorité de vos œuvres sont consacrées à la Corse et son passé. Alors, L’histoire de la France racontée aux enfants, un véritable changement de paradigme ou il s’agit juste d’élargir un peu votre horizon ?
F.B. : En fait, j’ai l’impression que je me laisse un peu porter par les hasards de la vie, des rencontres, des coups de cœur. Je me suis lancé dans la BD le jour où je me suis aperçu, en faisant une intervention à l’occasion d’A Festa di a Nazione au lycée Fesch d’Ajaccio, que des jeunes Corses ignoraient jusqu’à l’existence même de Paoli. J’étais bien évidemment passionné de bande dessinée avant cela, et fort logiquement, je me suis dis qu’il fallait faire quelque chose pour rendre l’histoire plus ludique, moins difficile d’accès. Faire partager l’histoire au plus grand nombre est un vrai exercice au final. Et la bande dessinée est le média le plus efficace, avec le cinéma. Depuis, j’ai beaucoup traité l’histoire de la Corse bien sûr, toujours dans cette veine militante, mais je me suis aussi laissé entraîner dans des aventures normandes, avec l’adaptation du Horla de Guy de Maupassant. J’ai aussi fait un biopic sur Jim Morrison, un graphic novel à l’américaine qui a été publié en sept langues (et bientôt huit). C’est toujours agréable et rafraîchissant de changer de cap, de sortir de son confort, de passer de l’historique à un thriller, d’une adaptation littéraire à un roman graphique fantastique ou même à de l’humour familial. La BD historique est le genre dans lequel je me sens forcément le plus à l’aise, sans doute en raison de ma formation, mais j’avoue que j’ai envie désormais d’horizons plus fantastiques, délurés même, afin de marquer davantage un univers, comme j’ai pu le faire avec Refrigerium qui vient de sortir. J’ai d’ailleurs un autre projet dans cette veine-là.
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Ansp. : depuis peu, la Corse est entrée dans une période très importante de son histoire. Pensez-vous que le culturel, et notamment la bande dessinée, cet art très populaire, prisé de la jeunesse, puisse jouer un rôle dans la construction de la Corse de demain ? Avez-vous une vision positive de l’avenir ?
F.B. : Oui, j’en suis convaincu. C’est même pour cela que je me suis lancé dans la bande dessinée en 2007, quelques mois avant le bicentenaire de la mort de Pasquale Paoli. Nous l’avons représenté roux aux yeux bleus, puisqu’il est peint ainsi dans les textes. Avouons que peu de gens l’imaginaient de cette façon en Corse, non ? En quelque sorte, nous avons mis de l’image sur un personnage mythique de notre histoire dont les traits demeurent assez confus pour nous. Comme vous dîtes, la bande dessinée est un art populaire extrêmement efficace, qui a un impact dans toutes les couches de la société et surtout tous les âges. Paoli sera réédité une énième fois en 2019 et le cap des 30 000 albums a été franchi. Ces BD ont-elles un l’impact dans de la construction de la Corse de demain ? Ce serait prétentieux de le penser. Si cela était le cas, ce serait vraiment formidable en tout cas. Disons que généralement, plus les jeunes corses connaîtront leur histoire, et plus ils seront en mesure de mieux comprendre le pays dans lequel ils vivent. Voilà pourquoi je milite avec d’autres, comme mon ami Ghjuvan’ Filippu Antolini, pour que l’Histoire de la Corse soit davantage enseignée à l’école. Le ciment d’un peuple, ce n’est pas seulement sa langue. C’est aussi son Histoire !
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Ansp. : des projets en cours ?
F.B. : Pas mal en effet. Nous terminons dans les tous prochains jours un diptyque sur Pasquale Paoli raconté aux enfants. Les deux albums sortiront simultanément en octobre. L’Histoire de la Corse racontée aux enfants paraîtra en langue corse à Noël, dans un seul volume, tandis que dans le même temps, Paoli sortira en édition intégrale en italien et encore l’an prochain dans une édition luxe. En 2019, devrait paraître une histoire similaire en trois tomes, toujours à destination des enfants, mais en Suisse en attendant peut-être, je l’espère, un pays plus lointain. Côté BD, je travaille actuellement sur Les Pendus du Niolu qui paraîtra en juin 2019. Ce sera une sorte de Paoli 4. J’arrive enfin à boucler le scénario de cet album qui me tient vraiment à cœur. Il y aura aussi un gros bouquin de 200 pages, un docu-BD qui paraîtra aux éditions Petit à Petit, toujours au printemps 2019. Je ne peux pas en dire plus pour l’instant, sinon que cet album aura un lien direct avec la Corse et que 26 dessinateurs, majoritairement italiens, travaillent actuellement dessus. Cela m’a demandé beaucoup de travail au printemps dernier, et j’ai hâte de voir le résultat. J’ai également en projet un nouveau roman graphique fantastique, dans la veine de Refrigerium. Il y sera question cette fois d’île bretonne au début du XXe siècle et de meurtres inquiétants. Ce sera un polar fantastique brumeux, humide et sombre. J’ai aussi dans les cartons un Janis Joplin dessiné par Eric Puech, un biopic rock’n roll que nous espérons signer rapidement, ainsi qu’une foule d’idées.


L’HISTOIRE DE FRANCE RACONTEE AUX ENFANTS (ed. Clementine / 2018)
Bande dessinée en six tomes de 40 pages
Scénario: Frédéric Bertocchino et Lisa d’Orazio
Dessins: Michel Espinosa
Couleurs: Pascal Nino
Editions Clémentine (parution le 28 aout 2018 pour les tomes 1, 2 et 3; 15 octobre 2018 pour les tomes 4, 5 et 6) – tome à 9,50€


Les œuvres de Frédéric Bertocchino sur l’Anspessade:
Aleria, tome 1 et Aleria, tome 2
Mateo Falcone
Gallochju, bandit d’honneur
Sampiero Corsu, tomes 1 et 2
 
 
 

Nicolas Lamberti

Nicolas Lamberti, journaliste et traducteur freelance, critique littéraire et réalisateur de télévision

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