Les États limitrophes, Border States en anglais, sont les cinq états esclavagistes qui refusèrent, en 1860-61, de faire sécession et de rejoindre la Confédération. Bien qu’engagés officiellement du côté de l’Union, il s’avérait que la situation dans ces états était des plus confuses, voire dramatiques. En effet, les partisans du camp confédérés y étaient fort nombreux. Au sein des corps politiques, mais aussi dans les populations. En réaction à cette décision « unioniste », des gouvernements illégaux se formèrent – comme au Kentucky – et des hommes refusèrent de servir dans l’armée de l’Union et prirent « le maquis » pour devenir des bushwackers – comme dans le Missouri. Engagés dans deux armées ennemies, des soldats issus des mêmes familles se retrouvèrent combattant les uns contre les autres.
De par leur position géographique centrale mais aussi leur instabilité, ces états prirent une grande importance dans les réflexions stratégico-politiques des deux camps. A ce sujet, Lincoln disait d’ailleurs « Je pense que perdre le Kentucky est presque la même chose que perdre la partie. Le Kentucky perdu, nous ne pourrons pas tenir au Missouri, ni au Maryland ». Et cet enjeu vital dans l’issue du conflit, l’auteur Stéphane Brachet s’est penché à le retranscrire dans un jeu : Border States, paru chez Shakos, un éditeur amoureux d’histoire militaire.
LA COSMÉTIQUE
Border States est présenté dans une boite de taille modeste (24cm x 14cm). L’illustration de Nicolas Roblin est évocatrice, le titre Border States servant de frontière entre deux camps opposés représentés par leurs présidents respectifs. A l’intérieur, un plateau de jeu un peu trop neutre en terme de cosmétique (j’aurai aimé une belle illustration… de champ de bataille par exemple), un sac, des cubes Influence en bois, des marqueurs État en bois, 3 decks de cartes (un deck Personnage pour le joueur de l’Union, un deck Personnage pour le joueur Confédéré, un deck de cartes Bataille) et des pavés bleus et rouges représentant les divers généraux des deux camps. A noter qu’avant de débuter la première partie, il convient de coller les stickers Général sur ces pavés. Bon, il n’y a que dix pavés par camp (plus les deux pavés Canon et Bible, et le jeton Initiative) la tâche n’est donc pas trop longue. Et, enfin, la boite inclut le livret de règle et deux supports en carton rigide (les plateaux Recrutement) pour les pavés Général.
LES PRINCIPES
Pour remporter la partie, qui dure au maximum 5 tours de jeu (un tour représentant une année de conflit) soit environ 45 minutes, les joueurs devront sécuriser des marqueurs État en les amenant du coté de leur plateau. Sur le plateau de jeu figure cinq jauges, qui matérialisent les cinq états limitrophes (Delaware, Kentucky, Maryland, Missouri et Virginie Occidentale), et chaque jauge contient 4 marqueurs État qui sont différenciés par leurs formes, mais aussi leurs couleurs. Pour déplacer un marqueur vers son camp, le joueur va devoir remporter des victoires dans les batailles historiques du conflit. En fait, une victoire va lui apporter des cubes Influence qui vont lui permettre de déplacer les marqueurs État de mêmes couleurs sur les jauges du plateau. Il y a donc deux phases principale, la phase des batailles et la phase d’influence.
LES BATAILLES
A chaque tour, les joueurs vont piocher trois cartes Bataille. Ces cartes sont placées sur un coté du plateau (la zone Conquête) de manière à former trois batailles notées I, II et III, chacune formant deux ligne de cases vides représentant les lignes de front. Sur ces trois emplacements de la zone Conquête sont ensuite placés un certain nombre de cubes de couleur (piochés dans le sac) qui dépend des valeurs d’Intensité imprimées sur les cartes (de 0 à 2). Une fois ceci fait, les armées sont prêtes à en découdre.
A chacun leur tour, les joueurs vont placer sur ces cases jusqu’à six pavés Général par séries de 2 (un pavé face visible et un pavé face caché). Il y a des contraintes de poses. Ainsi, un pavé Général ne peut être placé que sur une « bataille accessible » (indiqué par I, II ou III imprimé sur le pavé) et il doit être posé sur la case libre située la plus à gauche.
On établit ensuite, pour chaque bataille, un comparatif en deux étapes. Chaque pavé général possédant une valeur en Force allant de -2 à 3.
1. Tout d’abord, le total général de chaque front permet de déterminer le front dominant. L’autre n’est pas considéré. Si les totaux des deux fronts sont égaux, la bataille est indécise et il n’y a aucun vainqueur (on s’arrête là, la bataille ne rapporte rien).
2. Puis, sur le front dominant, le vainqueur est le joueur qui obtient la plus haute valeur en points de force.
3. Le vainqueur remporte les cubes Influence de la bataille, le perdant (si sa valeur est supérieure à 0) en reçoit un.
Ça, c’est pour les bases. Mais c’est un peu plus complexe. Tout d’abord, un joueur ne peut pas choisir n’importe quel pavé. Au début de chaque tour, il pioche 4 pavés qui lui seront librement accessibles. Les 6 autres sont placés aléatoirement sur son plateau de Recrutement. Quand il choisit ses deux cubes, il en prend un parmi les librement accessibles et un à l’une des deux extrémités du plateau de Recrutement. De plus, certains pavés sont spéciaux. Le pavé Embuscade (de valeur zéro) permet d’éliminer un cube adjacent adverse (ou ami si on est maladroit), le pavé Siège présente des contraintes supplémentaires de pose et chaque joueur possède une main de cartes Personnage qui peut influencer sur la pose ou introduire deux pavés aux propriétés spéciales : le pavé Bible (qui protège un général d’un effet Embuscade) et le pavé Canon qui augmente de +1 la valeur d’un front. Enfin, chaque joueur possède également une carte Président qui, une fois par partie, permet à son propriétaire de se dispenser de l’obligation de piocher un pavé à l’une des extrémités du support.
LA LUTTE D’INFLUENCE
Les joueurs ont donc récupéré des cubes Influence. On commence par éliminer les cubes possédés par les deux camps en conservant le différentiel. Par exemple, si le joueur Confédéré a récupéré 2 cubes verts et le joueur de l’Union un seul cube vert, chaque joueur se défausse d’un cube vert. Ensuite, les joueurs vont alors transformer leurs cubes Influence restants en valeur de mouvement pour déplacer les marqueurs. Dans l’exemple ci-dessus, le joueur Confédéré avancerait un marqueur État vert (le Kentucky) d’une case vers son côté du plateau – son camp. Quand un joueur amène 4 marqueurs de couleurs différentes dans son camp, il a gagné. Il obtient également la victoire s’il amène cinq marqueurs, quelles que soient leurs couleurs.
L’AVIS DE G&P
Représenter la lutte d’influence que se sont livrés l’Union et la Confédération pour prendre le contrôle des border states durant la guerre civile américaine, et cela sans tomber dans le gros jeu de stratégie ou de diplomatie n’était pas une mince affaire. Stéphane Brachet a relevé le défi. Chapeau à lui. En effet car, si dire que Border States transpire le thème par tous ses aspects serait mentir, nous avons été heureusement surpris par la position de compromis trouvée, qui ouvre l’entrée de ce jeu à tous types de joueurs, même à ceux qui ne sont pas excités par le thème. Quant aux amateurs d’histoire militaire, la cosmétique très bien pensée et les illustrations « d’époque » de Nicolas Roblin contribuent à générer et entretenir la sensation belliciste qui est de diriger deux camps de belligérants.
Intrinsèquement, le jeu est bon. Il sera particulièrement apprécié par les joueurs qui aiment les jeux de bluff (grâce aux pavés placés faces cachées) et de calculs. A la base, il y a une petite part de hasard avec le placement aléatoire des pavés Général et le tirage des cubes Influence. Cela pourrait nuire de trop au contrôle souhaité dans ce type de jeu de déduction. Et c’est là qu’entrent en jeu les cartes Personnage ! Jouées aux moments opportuns, ces cartes permettent de limiter grandement l’élément aléatoire et mettent des bâtons dans les roues de l’adversaire, le gênant dans sa planification. Cela amène un niveau de réflexion supplémentaire bienvenu qui fait de Border States un jeu très accessible mais pas si facile à maitriser qu’on aurait pu le croire au premier abord.
En conclusion, Border States est un jeu très sympathique qui permet d’assoir autour d’une même table de jeu des joueurs aux aspirations différentes. Que vous soyez un amateur d’histoire militaire ou plus simplement un joueur appréciant les jeux de bluff et de déduction, vous trouverez le même plaisir à tenter de faire pencher la balance de votre côté pour, qui sait, changer le déroulement ou l’issue de la guerre de sécession.
LA FICHE TECHNIQUE
BORDER STATES
Un jeu de Stéphane Brachet
Illustrations de Nicolas Roblin
2 joueurs / Environ 45 minutes / 14 ans et plus
Développement: Julien Busson, Denis Sauvage
Edition: Shakos
Matériel: 1 plateau de jeu, 2 plateaux de recrutement, 2 cartes Président, 10 cartes Personnage, 17 cartes Bataille, 20 pavés Général, 1 pavé Bilble, 1 pavé Canon, 20 marqueurs États, 1 sac en toile, 50 cubes Influence, 1 jeton Initiative, 1 marqueur Manche.
Distribution: Pixie Games
Prix moyen constaté: 26,90€