JEU D'HISTOIRE & WARGAME

Présentation de Pike & Shotte, par Steve Morgan

L’ère de Pike & Shotte
1500-1700

Après Black Powder, je me suis lancé dans la lecture (et la traduction) de Pike & Shotte, une règle construite sur le même système, créée par Steve Morgan. Cette règle est disponible en version numérique (20£) et papier (30£) sur le site VPC de Warlord Games. Contrairement à Black Powder, c’est une règle tout-en-un, forte de 210 pages, qui présentent le système, des listes d’armées et des scénarios. Un véritable bijou.

Vous pouvez trouvez ci-dessous une traduction de la présentation de l’auteur, Steve Morgan, qui introduit son œuvre par une description générale de la période.

Pour des raisons de droits, je n’ai pas glissé dans ce billet des illustrations issues de ce bel ouvrage, mais sachez que Pike & Shotte est très riche en photographies, toutes absolument superbes.

Carnage et Divergence

Les 16ème et 17ème siècles constituèrent deux siècles de conflit permanent. Bien que ce livre se concentre sur cinq guerres majeures, ce fut une époque de grands bouleversements, de petites campagnes militaires, de changements dynastiques et, dans de nombreux domaines, de progrès.

La Renaissance, qui débuta en Italie, se répandit à travers l’Europe à l’orée du 16ème siècle. Il est communément dit qu’il s’agit d’une transition entre les mondes médiéval et moderne, une époque de nouveaux mouvements politiques, sociaux, religieux et culturels. La cohésion du Royaume Chrétien Catholique fut mise en pièce par l’émergence des identités nationales ; souvent poussées par la pression de l’Empire Ottoman. L’Espagne et le Portugal se situaient au premier plan pour la construction de nouveaux empires au sein du Nouveau Monde, établissant une ligne commerciale mondiale et transformant des anciennes civilisations en sujets souvent honteusement exploités. Mais, alors qu’arrivait en Europe des légendes parlant de cités recouvertes d’or et des galions chargés de richesses, d’autres puissances voulurent une part du butin. Et toutes ces richesses ne servirent finalement qu’à une chose – la levée de nouvelles armées ayant pour but d’assurer une suprématie sur le Vieux Continent.

La Réforme

La religion a souvent été un catalyseur dans la mobilisation des masses et un bon alibi pour lancer une « bonne » guerre. La Réforme Protestante, menée par Martin Luther et Jean Calvin, a entraîné de nombreuses individualités à s’éloigner des enseignements de l’Eglise Catholique.

L’épicentre de ce mouvement se situait dans les Etats Germaniques, et il ne tarda pas à se répandre dans toute l’Europe. L’Empire des Habsbourg fut le premier touché par la Réforme. Bon nombre de ses provinces exigèrent la liberté de culte, ce qui entraîna un schisme dans l’Empire. Loin de s’avouer vaincue, la Papauté lança un mouvement de contre-Réforme, afin de rétablir les « bonnes vieilles années ».

D’autres dynasties, comme la France et l’Espagne, tentèrent de profiter des troubles internes qui minait l’Empire des Habsbourg et de la menace que faisait peser sur ses frontières l’Empire Ottoman. Mais le mouvement Protestant déborda de l’Allemagne pour, passant par la Suisse, toucher la France. Ce fut la création du puissant parti Huguenot. A son tour l’Angleterre ne tarda pas quitter le giron de Rome pour fonder une Eglise Protestante – bien que la conversion de l’Angleterre doit plus à l’incapacité d’Henri VIII de garder fermée sa braguette qu’à des messages venus d’en haut. Malheureusement, tous ces changements entraînèrent à travers l’Europe une série de conflits marquée par les persécutions religieuses et autres faits désagréables qui rappelèrent le barbarisme des temps anciens.

La Technologie

Ce fut également une période de « Révolution Scientifique », qui posa les bases des connaissances modernes. La physique, l’astronomie, la chimie et la médecine progressèrent de manière remarquable. Des personnages éclairés comme Copernic, Galilée, Newton et Pascal partagèrent leurs lumières, souvent à la grande colère de l’Eglise Catholique qui constatait une usure de son pouvoir et de son idéologie.

Ces avancées ne furent pas restreintes au domaine du bien-être des populations, en nette augmentation ; elles furent également très utiles à l’art de la guerre. Furent ainsi développées des nouvelles manières de tuer, plus efficaces et plus létales. Les armes à poudre légères et l’artillerie gagnèrent en fiabilité et en manœuvrabilité, et les armées traditionnelles des époques féodale et médiévale cédèrent la place à des troupes bien entraînées équipées d’armes à feu. C’était les fondements du Pike & Shotte, mais aucune guerre ne se gagne sans ses combattants ; des hommes qui, par centaines, risquent leurs vies pour le pays, le roi ou la religion. Ce sont ces hommes qui sont décrits en détails dans les pages suivantes – ce qu’ils étaient, comment et pourquoi ils se battaient, et contre quels ennemis.

Qu’est-ce que l’art de la guerre Pike & Shotte ?

Le terme art de la guerre Pike & Shotte a été créé par déterminer une période où les tactiques sur le champ de bataille devinrent des affrontements rapprochés entre des armées composées de troupes classiques (principalement des piquiers) qui opéraient conjointement avec troupes de tireurs armés de mousquets.

Au moyen-âge, arcs et arbalètes étaient des armes fréquemment rencontrées dans les armées, mais elles exigeaient un gros entrainement avant de pouvoir les utiliser avec efficacité. L’introduction des premières armes à poudre noire facilita la création de nouvelles unités de recrues pouvant être formées rapidement, étant donné que leur maîtrise était peu compliquée et le coût de fabrication peu élevé. Ces facteurs firent qu’au début du 16ème siècle, l’usage de l’arc et de l’arbalète dans les armées était grandement sur le déclin.

Le système espagnol du Tercio, des gros blocs de piquiers soutenus par des arquebusiers, prouva son efficacité grâce à de beaux succès dans les Guerres d’Italie contre les armées plus traditionnelles Françaises et Suisses. Ce système s’affirma comme une sorte de modèle qui fut récupéré et modifié, pendant environ deux cents ans. Tout cela est détaillé plus loin dans ce livre, en page 29, avec les Tercios et les autres formations, mais il nous apparaît utile d’en décrire ici les bases, afin de nous familiariser avec leur usage.

La configuration classique d’une bataille de la période est le positionnement en échiquier de formations composées de régiments de fantassins. Un régiment d’infanterie standard est composé d’un cœur de piquiers en son centre, disposés autour de ses couleurs et de son commandement. Sur les ailes étaient placées des « manches » de mousquetaires ou d’arquebusiers qui tiraient leurs salves avant que les piquiers n’engagent l’ennemi au corps-à-corps. Plusieurs de ces régiments formaient ce que l’on appelait des batailles, dans lesquelles piquiers et tireurs opéraient à l’unisson.

La plus grande partie de la cavalerie était placée soit sur les ailes de l’armée, soit en réserve. Leur priorité était de chasser la cavalerie ennemie du champ de bataille. Une fois la suprématie assurée, la cavalerie victorieuse pouvait alors tourner l’armée ennemie pour tomber sur les flancs de l’infanterie déjà engagée en combat, pour un résultat souvent décisif.
Les dragons étaient en réalité des troupes d’infanterie montée, entrainés à combattre à pieds, mais en ayant la capacité de se déplacer rapidement sur le champ de bataille. Ils se voyaient généralement désigner un objectif au début des hostilités, souvent une position fortifiée ou qui pouvait présenter un point de tir prenant l’ennemi en enfilade. Quand cette position devenait intenable, ils pouvaient alors se redéployer et renforcer des zones où le combat était d’issue incertaine.

L’artillerie fut utilisée durant toute la période Pike & Shotte. Malgré les développements techniques et les améliorations dans son utilisation, elle resta cependant une arme peu fiable. Il est presque certain qu’elle avait plus d’impact sur le moral que sur sa capacité à causer de lourdes pertes.

L’ascension et la chute de la pique.

Au début du 16ème siècle, l’usage de la pique n’était certes pas une chose inconnue. Les phalanges macédoniennes l’avait introduit deux mille ans auparavant, sous l’initiative de Philippe II, père d’Alexandre le Grand. Ce fut probablement le plus vieil exemple de l’utilisation massive de blocs de piquiers sur les champs de bataille. Les limitations de ce système furent exploitées par la puissance de l’armée romaine, et les piquiers ne furent plus à la mode jusqu’au moyen-âge.

Au 14ème siècle, la pique était une arme rudimentaire, qui pouvait équiper à moindre frais les masses de fantassins. Les piquiers furent très efficaces pour mettre en échec les lourdes unités de cavalerie cuirassées, comme à Bannockburn en 1314, où les Ecossais utilisèrent avec succès les unités de schiltrons. Force est cependant de dire que ces formations étaient handicapées par leur manque de manœuvrabilité et qu’elles étaient très vulnérables aux tirs. Ces limitations furent dépassées par les armées Suisses du 15ème siècle, qui transformèrent les piquiers en des unités agressives manœuvrant en colonnes, et qui durant les Guerres de Bourgogne de 1474-1477 écrasèrent tout sur leur passage.
Ce changement avait pour origine le haut niveau d’entrainement des piquiers qui permettait au bloc d’être utilisé comme une arme offensive, un marteau qui s’enfonçait dans les lignes ennemies, mais aussi comme une arme défensive contre la cavalerie adverse. Durant cette période, les blocs de piquiers bien entraînés étaient les maîtres des champs de bataille européens.

Cela nous amène au début de l’âge Pike & Shotte, qui est couvert par les règles qui suivent. La bataille de Biocca en 1522, un règlement de compte sanglant des Guerres d’Italie, marque le point charnière. Ce fut la première bataille qui vit un équilibre entre le combat au feu des arquebusiers et le corps-à-corps des piquiers, système adopté par les Espagnols. Les arquebusiers, bien positionnés, étrillèrent les colonnes de piquiers Suisses qui avançaient vers eux et mirent à jamais un terme à leur domination.

Ces nouvelles formations découvertes sur ce champ de bataille, baptisées les tercios, étaient constituées de tireurs flanquant les piquiers, qui délivraient leur feu avant que les piquiers n’engagent le corps-à-corps. En retour, les piquiers offraient aux tireurs une protection contre les charges de cavalerie, car aucun cavalier n’osait s’approcher de ces hérissons aux pointes d’acier. Si les armées parvenaient à organiser un support mutuel entre les tercios, avec leur cavalerie protégeant les flancs, une réelle flexibilité tactique pouvait être atteinte.

Le milieu du 17ème siècle une période où de gros progrès technologiques furent accomplis dans le domaine des armes à feu. L’arquebuse et le mousquet à platine à mèche furent définitivement remplacés par les armes à platine à silex, plus fiables, surtout quand elles sont utilisées par mauvais temps. Ces avancées entraînèrent une augmentation du ratio de tireurs dans les unités, et ce phénomène s’accéléra avec la découverte de la baïonnette, qui permettait aux tireurs de se protéger eux-mêmes avec des murs d’acier.

La fin du 17ème siècle, qui vit les Guerres de Hollande et de la Grande Alliance, représenta les derniers jours de la pique. A cette époque, les piquiers étaient souvent relégués à l’arrière car, désormais, la seule puissance de feu pouvait briser les rangs ennemis. Pire, ils devinrent même des cibles impuissantes, détruites à distance.
Quelques puissances – les plus connus sont les Suédois -, continuèrent à employer la doctrine Pike & Shotte au-delà de 1700. En fait, les Suédois remportèrent quelques belles victoires dans la Grande Guerre du Nord grâce aux charges de leurs courageux piquiers, mais dès la première décade du 18ème siècle, le maître incontesté des champs de batailles était le fantassin armé de son mousquet.

Les combattants de l’ère Pike & Shotte

La grande majorité des combattants de cette époque n’avait que peu de connaissances de pourquoi et pour qui ils se battaient. Nombres d’entre eux étaient les fruits de levées locales, faites en hâte, de leur propre initiative, la plupart du temps en échange de récompense en numéraire et en butin. Au 16ème siècle, les armées nationales régulières était une denrée rare et dans la plupart des pays, ce type de troupes ne vit pas le jour avant la fin du 17ème siècle.

Les troupes étaient souvent levées par de riches propriétaires terriens qui avaient épousé une cause ou une faction, et ils avaient également pour tâches de les équiper et de les entraîner. Le port de l’uniforme n’était pas courant. En fait, de nombreux pays, comme l’Espagne, ont activement résisté à son introduction. Les vêtements civils étaient la norme sur des champs de bataille de l’époque, bien que les uniformes et les prémices de drapeaux régimentaires fussent progressivement introduits tout au long du 17ème siècle.

Aucun général digne de ce nom n’osait livrer bataille sans posséder son élément de Chevaux (Cavalerie), Piétons (fantassins) ou Ordonnance (artillerie). Dans les chapitres suivants, pour pourrez trouver des présentations générales de ces types de troupes. Plus de précisions sont fournies dans les sections détaillant les spécificités de chaque conflit et armée. »

Nicolas Lamberti

Nicolas Lamberti, journaliste et traducteur freelance, critique littéraire et réalisateur de télévision

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