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Critique G&P: The Secret World 5E

Si je vous disais qu’il existe un monde secret. Un monde dans lequel de sombres créatures ont pris possession des rues; dans lequel les sociétés secrètes contrôlent les présidents, les médias et les grands patrons. Un monde dans lequel les mythes, les légendes et même les cauchemars sont vrais. Et si, je vous disais que ce monde est le nôtre…
(The Secret World MMORPG, trailer de précommande 2012)

Ah les MMORPGs! Il fut une époque où les jeux qui tentaient de rivaliser avec World of Warcraft étaient si nombreux qu’on pourrait la comparer à celle que nous vivons actuellement, mais dans le domaine des jeux de rôle sur table. Tous les ans, entre deux et cinq MMORPGs voyaient le jour pour fermer quelques années après. Le terme “WOW Killer” était souvent signe de déchéance et d’échec à plus ou long terme. RIFTs par exemple, pourtant excellent, connut, après un joli pic, une déchéance catastrophique et le passage en free-to-play. Aujourd’hui, seuls quelques MMORPGs parviennent à subsister aux côtés du titan de Blizzard. Cependant, en 2012, alors que le marché des MMORPGs est saturé de jeux médiéval-fantastique et que Star Wars the Old Republic occupe le devant de la scène dans le registre Science-Fiction, arrive The Secret World. Dernier né de Funcom (créateur notamment d’Age of Conan et qui sort cette année un jeu sur Dune), TSW propose un univers contemporain, horrifique, occulte, sans classes et niveaux, avec des quêtes d’infiltration et d’investigation qui ont laissé plus d’un joueur – votre serviteur y compris – sur le carreau. Ce n’est pas tous les jours qu’un jeu en ligne me demande, dès la première zone de jeu, de traduire du morse, de comprendre le système musical anglais, de suicider mon personnage pour parler à des fantômes. Et que dire de cette longue série de quêtes en Egypte où l’on doit finir par traduire de l’hébreu ANCIEN! (Non, vous ne rêvez pas…). Sorti en “buy-to-play”, TSW était riche d’une belle niche de joueurs qui prenaient même l’abonnement facultatif, avec une communauté qui était plutôt soudée. Pour y avoir joué durant quelques années, c’était même le plus roleplay des MMORPGs. Plus tard, le jeu a connu une – fugace – renaissance avec The Secret World Legends où sont introduites les classes, les niveaux…PARDON ! Oui, oui, le jeu faisait alors un pas en arrière, Salement même. Aujourd’hui, ce MMORPG est pratiquement tombé dans l’oubli. Ce n’empêche pas qu’un jeu de rôle sur table est sorti cette année, Et motorisé par deux systèmes légendaires : Savage Worlds Adventure Edition (SWADE pour les intimes) et…la 5E

L’an dernier, j’avais fais quelques articles sur des jeux utilisant le moteur de la 5eme Édition. J’avais, par exemple, un peu encensé le fanmade Star Wars 5E et Aventures à Rokugan. Deux jeux que je conseille toujours. Pourtant, de mon humble point de vue, je ne peux pas recommander TSW 5E et je vais vous en exposer les raisons. Autant la version SWADE me rappelle ce côté roleplay et logique naturelle de la première version du MMORPG, autant TSW 5E me rappelle le pas en arrière de sa version “Legends”.

Premiers pas dans le monde des sociétés secrètes

Tout tourne autour du pouvoir. Le prendre. Le conserver. L’utiliser. Il est nôtre monnaie d’échange, nôtre ADN et nôtre dieu. Nous contrôlons le monde. Nous traçons ses plans et donnons nos consignes. Nous sommes à l’arrière-plan des vieilles photos. Nous vous surveillons depuis l’ombre des conseils d’administrations et les antichambres du pouvoir. Nous sommes cachés , juste sous vos yeux…Monnayant nos services : chantage, trahison, arnaques, tel est nôtre fond de commerce. Nous organisons les soirées d’ivresse des sénateurs et des généraux. Nous flattons les démons et traitons avec les sorciers. Nous avons des parts en enfer et des photos compromettantes de tous les anges…Nous utilisons tous les moyens nécessaires, peu importe le prix. Le monde est dangereux, certains s’en sortent et d’autres y restent… Nous sommes les Illuminatis, et nous n’en resteront pas là”.
Kirsten Geary, vidéo de présentation des Illuminatis.

Le monde de The Secret World est une version distordue du notre qui fait de suite penser au Monde des Ténèbres ou aux Chroniques des ténèbres de White Wolf. Cependant, si dans ces jeux l’on joue surtout des monstres (Hunter the Reckoning et Hunter the Vigil exceptés), dans TSW vous incarnez un humain qui, par accident, a avalé… une étrange abeille (non, non, je ne déconne pas). Et c’est grâce ou à cause de cette abeille que vous allez développer vos pouvoir… et c’est ce qui va attirer l’attention de trois grandes sociétés secrètes qui sont :

Les Templiers forment une société religieuse secrète qui cherche à combattre le mal. Comme l’avait dit Krayn dans le LFG sur The Secret World, si vous avez joué à Néphilim, c’est de CE type de templier dont il s’agit. Une faction directe, plutôt franche, voire manichéenne, Si vous aimez jouer paladins ou équivalents, cette faction est faite pour vous.

– Si, à l’inverse, vous êtes plutôt du genre à jouer Ventrue ou Toréador dans Vampire la Mascarade (Ventrue ou Daeva dans Vampire le Requiem), alors les Illuminatis vous correspondent plus, Plus subtils, très orientés sur le contrôle et le pouvoir. Individus sans scrupule, ce sont les images des Illuminatis que l’on retrouve dans les récits de fiction,

– Enfin, si vous aimez jouer des personnages mystérieux, manipulateurs et machiavéliques, qui obéissent à une hiérarchie sans en comprendre tous les enjeux, alors jouez un Dragon, réputé pour entretenir un chaos naturel, qu’il assimile à un équilibre,

En fait, le monde de TSW est cool et si la ressemblance avec le Monde des ténèbres est évidente ce jeu ne développe pas du tout les mêmes thématiques. Pas de questionnement sur l’humanité, l’écologie ou le pouvoir comme dans Vampire, Loup-garou ou Mage. D’ailleurs, vous ne jouez pas un monstre quelconque ; juste un être humain doté de pouvoir. Débutant au niveau de larbin dans l’une des trois grandes société secrètes vous allez découvrir au fur et à mesure que toute légende repose sur un fond de vérité et que celle-ci est souvent plus sombre que les dites légendes. Ajoutez à cela une touche de Lovecraft, tout ce qui concerne la Transylvanie, la mythologie égyptienne, etc, et vous avez un jeu riche.

Du soin apporté sur la forme

Vous êtes venus à nous en quête de sens. Sachez-le, il n’est pas plus grand dessein que le nôtre. Sans structures et sans discipline, le monde s’effondrera. Pour connaître une nouvelle ère de stabilité, il a besoin de chefs, d’être assez déterminés pour éradiquer les ténèbres dans les flammes. La tradition, la loyauté et la loi nous l’ordonnent. Sans elles, nous ne sommes que des animaux soumis à l’emprise du mal, à la corruption et à la compromission et, nos empires s’effondrent. Nôtre autorité se doit donc d’être incorruptible et intransigeante. Nôtre combat porte le blason de la technique. Vôtre conviction sera mise à l’épreuve mais, avec nous, vôtre foi ne faiblira pas avec les templiers.
Richard Sonnac, vidéo de présentation des Templiers.

On ne peut nier que Star Anvil (l’éditeur) a mis un grand soin dans son travail. Les illustrations, officielles, sont soigneusement choisies. Les couleurs fonctionnent bien, comme pour les tables, qui sont bien lisibles. Les listes de sorts de chaque classe sont disponibles à la fin de celles-ci. De nombreuses rubriques sont en gras. Heureusement car il y un énorme défaut à la mise en page du livre qui en fait plus de 330 : très peu de saut de ligne entre les paragraphes. Ce qui est pour moi, déficient visuel, une vraie plaie car on a parfois deux colonnes entières de textes sans aération et ce, tout le long du livre ! C’est juste indigeste ! Comment ne pas se perdre au bout d’un moment? Le pire c’est que, par exemple, lorsque est présenté un archétype, le nom de celui-ci est plus grand, d’une autre couleur et surtout aéré. Je ne comprends donc pas pourquoi les parties les plus importantes du jeu sont indigestes à lire au plus au point. Bon sang, même les sorts sont pénibles à lire!

Mauvaise alchimie

Qu’est-ce que le chaos, en théorie? Ce sont milles pièces lancées en l’air, qui sur leur parcours semblent toute hésiter entre l’ascension et la chute, la justice et la convoitise, la douceur et le sang et, le drame de l’ennui. Qu’est-ce que le Dragon? Pas une de ces pièces qui, prie le destin de lui accorder un peu de chance. Nous sommes la main qui lance les pièces. Nous sommes la trajectoire qu’elles prennent. Nous sommes aussi dans la force du vent. D’innombrables facteurs décident de chaque chose, et nous nous efforçons de tous les connaître, pour les manipuler. Toutes les pièces dégringolent et nous les mettons toutes en équation pour prédire où et comment chacune d’elle va retomber. Et quand elles seront à terre? Nous nous adapterons à la nouvelle donne et les renverrons tourbillonner en l’air. Car nous sommes le Dragon et, pour nous, le chaos est bien plus qu’une théorie.”
Vidéo de présentation de la faction du Dragon

On va à présent attaquer les points vraiment négatifs du jeu car il y en a quelques uns.

Premièrement, le choix de la 5E comme motorisation. Alors déjà, alors que le MMO originel vendait le fait de se passer de classes et de niveaux, ce qui marche bien en contemporain (là encore, les jeux de White Wolf peuvent être une référence et on ajoutera à cela L’Appel de Cthulhu), je ne suis pas fan d’utiliser les règles de D&D 5 pour du contemporain occulte. Après, si on utilise l’expérience, notamment comme objectifs, on peut faire des scénarios SANS combat et permettre aux personnages joueurs de progresser (par exemple, pour chaque indice trouvé, pour chaque énigme résolue, etc.). C’était d’ailleurs la grosse carotte des quêtes d’investigation. Tu en bavais mais lorsque tu avançais et surmontais le défi final, c’était la fête de l’expérience! De souvenir, pour comparatif, là où une quête de kill de monstre me rapportait un ou deux points de compétence, la première série de quêtes d’investigations m’en avait rapportée quelque chose comme au minimum 10! Malheureusement, ici, les classes sont TOUTES des classes de combat : Assassin, Démolisseur, Pistoléro, Magus, Mercenaire, Punisseur, Ravageur, Trompeur et Sorcier. Aucune classe ne fait de soutien, aucune classe ne serait surtout utile que dans les investigations. C’est…Triste.

Et là, on arrive à la pire FBI du jeu : les archétypes secrets ! Si l’idée est chouette sur le papier (vous pouvez avoir deux archétypes secrets), le fait de pouvoir les changer apparaît comme cool mais finalement complètement anti-ergonomique. Alors oui, on propose des cartes d’archétypes secrets (histoire de vendre plus). Pour ceux qui ont joué à Eclipse phase 1, cela correspondrait au changement de corps. Si vous connaissez pas, vous voyez Skynet dans Terminator? Et bien, c’est cela mais en pire. L’humanité est partie se planquer dans l’espace après avoir été réduite à 5% et l’homme est devenu transhumain. ranshumain façon Altered Carbon. On change alors de corps comme de chemise. L’idée est intéressante mais dans Eclipse phase V1, cela impliquait de devoir recalculer toutes les caractéristiques et dérivées. En écoutant sa communauté, les auteurs ont complètement effacé ce problème dans la V2 du jeu où les corps fournissent des points d’héros spécifiques (par exemple, un corps spécialisé pour le social aura 3 points de héros pour les actions sociales et 1 ou 0 pour le physique). De plus, le jeu a des fiches de personnages adaptées. Et bien, sachez que TSW, avec ses archétype secrets, tombe en plein dans le même piège qu’Eclipse phase V1 ! C’est également… Triste.

Un petit mot encore sur le contenu. Étonnamment, le livre possède les règles de base de D&D 5, magie comprise vu que la liste des sorts a été adaptée pour coller à l’univers. On peut citer aussi les règles de lumière et ténèbres qui font évoluer le personnage plus vite, mais qui ne sont pas folles non plus. Enfin, le bestiaire fait dans les trente pages.

Conclusion

Je n’ai pas encore lu la version Savage Worlds Adventure Edition mais je serais prêt à parier qu’elle est meilleure que celle-ci. TSW version 5E est pour moi un cas d’école de la Fausse Bonne idée : le MMO est un peu tombé dans l’oubli, le Monde des Ténèbres existe depuis 1991 et L’Appel de Cthulhu depuis bien plus longtemps, TSW arrive trop tard et s’il tente de surfer sur la vague D&D 5, là encore, c’est trop tard. Le bordel causé par Wizards of the coast et la prochaine sortie de D&D 2024 ne fait qu’appuyer ce coup de retard.

Je NE peux donc PAS recommander cette version du jeu. Entre les problèmes de lisibilité et les fausses bonnes idées, si vous aimez The Secret World, ne vous prenez pas la tête, tournez-vous vers la seconde édition de Hunter the Vigil. Le système est meilleur car c’est celui de Chroniques des ténèbres. Voire pourquoi pas Mage the Awakenning V2 si vous voulez introduire beaucoup de magie. Vous pouvez même prendre l’AdC et son supplément Pulp. Bref les alternatives pour faire vivre The Secret World sont légion et bien plus fiables que cette mouture D&D 5…Reste que j’aime toujours cet univers, certains personnages m’ont marqué, le raid de New York était cool…Beaucoup de bons souvenirs… Les illustrations sont chouettes mais tout cela ne vaut pas le prix de 60$…

FICHE TECHNIQUE

Titre: THE SECRET WORLD 5E
Titre original: id. (Star Anvil Studios)
Genre: Contemporain / Fantastique / Horreur
Système: D20
Type: livre de base
Création et rédaction: Ross Watson, Sean Tait Bircher, Coyote Crow, Joshua Doetsch, Darrell Hardy, Gwen Marshall, Charlie Spicer, Melissa Verhalen
Illustration de couverture: Ani Ghosh
Illustrations intérieures: FUNCOM, Alberto Bontempi, Ani Ghosh, Ron Root
Matériel: livre de 386 pages couleurs format US letter à couverture rigide
Editeur: non édité en France
ISBN: N/A
Prix: 54€ (22€ en version numérique)



Julien Limosino

Journaliste bénévole au service du jeu de rôle

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