Il y a quelques années sortait un jeu vidéo qui invitait les joueurs à incarner, non pas des héros s’aventurant dans un donjon, mais le créateur dudit donjon, avec ses pièges et ses créatures. Ce jeu vidéo, les plus anciens s’en souviennent, c’était Dungeon Keeper. Et bien sachez que, grâce à l’initiative des éditions John Doe et Black Book, il est désormais possible de retranscrire cette inversion des rôles sur les tables de jeu de rôle. Mais, attention, dans Donjon & Cie, il n’est pas question d’incarner le tout puissant maître du donjon mais… ses employés !

Donjon & Cie sera commercialisé (il est actuellement en précommande) sous la forme d’un livre de taille 16cm x 24cm à couverture rigide. Un format « pratique » identique à celui des collections Chroniques Oubliées et Savage Worlds éditées par Black Book. Au menu, derrière une chouette couverture (de Thierry Ségur s’il vous plait !), 160 pages N&B de règles, de conseils aux meneur de jeu et de « scénarios ».  Le format est petit mais la lecture est très confortable, notamment grâce à une belle taille de police. Enfin, l’ouvrage est également riche de belles illustrations en noir et blanc, certaines en pleine page. Un joli ouvrage, sobre et élégant.

Donjon & Cie est divisé en chapitres, de tailles plus ou moins importantes. Mais on le les regrouper en trois blocs distincts : l’univers du jeu, le système de règles et les annexes.

BIENVENU DANS MON DONJON

Dans la première partie, l’auteur Benoit Felten s’attarde à bien nous expliquer sa démarche – et les résultantes – cela afin que le lecteur appréhende au mieux cet univers décalé. Il nous explique bien que les joueurs sont de simples employés (et non pas les dirigeants), les hôtes d’accueil », d’une entreprise aux multiples ramifications, avec ses départements, sa RH, ses secrétariats, sa logistique et même ses propres commodités (les employés travaillent et résident dans le donjon). Et cette entreprise doit faire… du profit, bien entendu ! Le principe est d’attirer des aventuriers dans le donjon pour les dévaliser. Et pour cela, il faut les occire. Ce qui n’est pas toujours simple. Sans compter que les employés ne doivent pas trop dégrader le mobilier et les autres résidents (non-salariés) du donjon. Sans quoi, cela risquerait de déplaire au contremaître et, par effet domino, à la direction.

Un gros chapitre est consacré à l’organisation du donjon. La description est extrêmement détaillée. Chaque département est décrit, avec sa fonction et souvent l’identité de son directeur. Il y a des départements qui évoquent nos univers de travail, comme la  direction des Ressources Vivantes (l’équivalent de notre RH) mais d’autres sont bien plus atypiques, comme le département de l’Exploration (attachée à la direction de l’Expansion). Le but de ce département est d’explorer et sécuriser les futures « aires clients ». Les personnages des joueurs dépendent généralement du département de la Réception. Du moins dans un premier temps car il peut y avoir, bien entendu, des promotions et des mutations. Leur mission est d’accueillir les clients, c’est-à-dire de les trucider pour les dépouiller.  Dans ce chapitre, il est également fourni une table aléatoire de création de collègues qui peuvent être utilisés comme PNJ en cas d’urgence, le menu de la cantine et quelques infos sur le big boss, le mystérieux Monsieur Noir.

LA CRÉATION DE PERSONNAGE

Vient ensuite le système de création de personnage et les règles de simulation. La mécanique puise dans celle de  Macchiato Monsters, le jeu de rôle d’Eric Nieudan, qui lui-même s’est inspiré de Black Hack. On a donc affaire à un système D20 style OSR mâtiné d’une gestion d’épuisement de ressources par « rangs de dés » (signalé dans le jeu par le symbole ∆). Dans Donjon & Cie, vous pouvez jouer n’importe quel type de créature intelligente. Du  kobold débile à elfe noir sadique, en passant par le troll puant, le golem consciencieux ou le hobgobelin fayot. Générer un personnage est excessivement simple car il fait grandement appel à  la créativité du joueur. 

Un personnage est tout d’abord défini par six caractéristiques : Force, Dextérité, constitution, Intelligence, Sagesse et Charisme. On lance 3D6 dans l’ordre et on applique directement les résultats (le joueur peut échanger 2 valeurs s’il le souhaite). Tous les personnages ont un D6 dé de vie.

Le joueur va devoir ensuite attribuer un Trait (#) à son personnage. Un Trait peut indiquer une race, son comportement, des habiletés physiques voire des handicaps, son origine, ses contacts, etc. C’est totalement libre. Une liberté qui fait que cette étape demande au joueur une certaine connaissance des canons du jeu de rôle medfan, ou tout du moins cet univers de fantasy. A noter que les Traits auront une influence dans le cours des parties car ils pourront faire bénéficier le personnage d’un Avantage (ou d’un Désavantage) dans certains situations. Il peut être intéressant d’imposer à votre personnage un ou plusieurs handicaps comme Traits. Le but est de rendre votre monstre amusant à interpréter !  Par exemple, Orguk peut un troll #idiot, Legia une succube #séduisante et Tik un kobold #maigrichon.

Viennent ensuite les Options.  Chaque personnage peut se voir attribuer deux options

Dans les Options figure les Entrainements. L’Entrainement martial permet d’augmenter la valeur du dé de vie du personnage d’un cran (de d6 à d8), de pouvoir manier des armes plus efficaces et de porter des armures plus lourdes. L’Entrainement magique permet au joueur d’inventer 2 sorts pour son personnage. Enfin, l’Entrainement spécialisé découle du souhait et de l’imagination du joueur, cela peut être un aspect martial ou intellectuel et le joueur va devoir exposer au meneur de jeu son effet pour obtenir son accord. Cet Entrainement spécialisé débute avec une valeur de ressource ∆4
Parmi les autres Options, il est possible d’augmenter d’un d6 une Caractéristique qui est inférieur à 10  ou gagner le score d’un dé de vie actuel.

 A noter que les joueurs contribuent également à la création des PNJs principaux (seconds rôles récurrents), en définissant également la nature de leur relation avec eux. Les seconds rôles récurrents sont le contremaître, l’économe, le cartographe et l’employé du mois.

LA MÉCANIQUE

Comme dit plus haut, la mécanique de Donjon & Cie s’inspire de celle de Macchiato Monsters. C’est un système de type OSR qui fait grandement appel à l’arbitraire et à la logique. Quand un personnage doit effectuer une action risquée, il lance un d20 et doit obtenir un score inférieur ou égal à la caractéristique sollicitée. Si c’est le cas, il réussit sa tentative, sinon, il échoue. Un score de 1 est un échec critique, un score de 20 une réussite critique. Si le personnage bénéficie d’un Avantage, le joueur lance 2 dés et garde le meilleur score. Dans le cas d’un Désavantage, il conserve le plus mauvais score.

Vient le cas des ∆ de ressources. Ce ∆ définit une ressource quelconque. Cela peut des munitions, des provisions, des sortilèges, du matériel, etc. Quand un personnage utilise une ressource, le joueur lance un dé correspondant à la valeur du ∆ de cette ressource. Si le score est de 1-3, celui signifie que le personnage a épuisé en partie la ressource. Et le ∆ de la ressource diminue d’un cran (de ∆8 à ∆6, par exemple). Si cela arrive avec un ∆4, la ressource est alors totalement épuisée.

Donjon & Cie s’appuie sur un système très simple. Par exemple, en combat, le joueur va lancer un seul d20 par round. S’il réussit, il inflige des dommages à son adversaire. Dans le cas contraire et de celui d’un corps à corps, c’est lui qui subit des dégâts. Il n’y a pas non plus de système de détermination de l’initiative. La règle fait appel au bon sens. Il y a quand même une notion de Courage, qui est gérée avec un ∆ de ressources. Ainsi, un novice a un Courage de ∆4 alors qu’un vétéran aura un Courage de ∆10.

La Magie obéit à la même règle que l’ensemble. On lance un D20 sous la caractéristique INT. Par contre, s’il échoue dans son test de magie, il tenter d’obtenir quand même quelque chose et lance son ∆12 du Chaos et se reporte à une table aléatoire. Comme toute ressource, un score de 1-3 diminue la valeur du ∆ d’un cran. Comme un personnage n’a pas de points de magie, il va dépenser des points de vie. Là encore, le cout d’un sort est décidé d’un commun accord entre le meneur de jeu et le joueur à sa création (il est fourni une liste en guise d’exemple).

LES MISSIONS ET LE MODE CAMPAGNE

Dans Donjon & Cie, les scénarios sont… les missions. Les personnages vont se voir confier des missions par leur « N+1 » qui est le contremaître. C’est le contremaître qui leur expose les contextes et les objectifs de la mission et qui désigne le chef de mission. Le cartographe confie alors la carte de l’aire client au chef de mission et l’économe distribue les paquetages. Le type de paquetage est défini par un jet de d20 sur une table aléatoire. Il contient les armes, l’armure et divers équipements. Une fois la mission effectuée, un bilan est établi.

Le livre inclut également une règle pour le mode Campagne. Cela comprend un enchainement de missions, une progression des employés et des promotions mais aussi un mystère, un secret ou quelques intrigues politico-financières. On y trouve également des conseils pour créer une mission dans le cadre d’une Campagne.

FAIRE VIVRE LE DONJON

Faire vivre le donjon est un important chapitre qui offre moult conseils au meneur de jeu pour bâtir sans douleur son donjon. On y trouve des informations consacrées au jargon, des exemples d’annonces, des listes de rumeurs et ragots, des aides pour animer les séances « hors-mission ». Le chapitre fournit aussi des conseils pour la rémunération des employés et les prix à appliquer pour les différents services. Il inclut également des exemples d’établissements destinés aux employés (taverne, auberges, établissements de luxe, maisons closes) et des conseils pour mettre en place des rapports sociaux privés et professionnels.

C’est ici que l’on trouve une galerie de monstres (les résidents non salariés), des listes d’objets et bien sûr, des archétypes de clients (du justicier aguerri au téméraire novice) avec les butins qui leur sont attachés.

LES ANNEXES

Dans les annexes, les meneurs de jeu peuvent trouver 3 missions prêtes à jouer, avec PNJs et cartes des lieux

L’AVIS DE G&P

Avec Donjon & Cie, Benoit Felden nous propose un jeu qui sort vraiment des sentiers battus. Incarner les créatures que l’on s’emploie généralement à exterminer, quelle jolie idée ! Cependant, au-delà de l’exercice de style, vraiment bien exécuté, et du plaisir de la découverte, restait à définir le potentiel ludique de ce produit atypique. Voici mes impressions.

Tout d’abord, comme je le disais plus haut. Au niveau cosmétique, on a affaire à une belle réussite avec une illustration de couverture de Thierry Ségur et des intérieurs de Laetitia Combe. Ensuite, dès la première lecture, on prend conscience que Donjon & Cie, ce n’est pas une œuvre vulgaire issu d’un délire de potache. Le livre est parfaitement construit, bourré d’informations et de conseils. D’ailleurs, s’il est tentant de privilégier un angle d’attaque parodique, il est parfaitement possible de mettre en scène une atmosphère de jeu très sérieuse. Et cela fonctionne tout autant !

C’est sur le choix de Macchiato Monsters comme choix de motorisation que le jeu va diviser. Tout d’abord, il faut savoir que si la mécanique est simple, c’est un aspect à double effet. Cela permet aux joueurs de favoriser le roleplay, c’est vrai, mais, à contrario, elle est trop lâche pour des joueurs débutants qui vont souvent être en manque de repères. C’est un système qui exige logique et pratique de la part des joueurs et du meneur, et donc une certaine expérience de jeu. Que cela soit sur les sujets création des personnages, résolution des actions ou vie dans le donjon, Benoit Felden donne champ libre aux joueurs et meneurs pour leurs gestions. Il est de plus fortement conseillé, pour profiter pleinement du jeu, de cultiver des cultures medfan et rolistiques.

Pour conclure – car il le faut bien – je pense que Donjon & Cie est un excellent jeu de rôle qui s’adresse à des joueurs expérimentés qui souhaitent changer de paradigme ludique. Cela peut se faire rapidement car le système, basé sur l’OSR, ne leur posera aucun problème. Seul le meneur de jeu aura un peu de travail à faire, aucun donjon n’étant livré « clé en main » (seules 3 missions sont incluses dans le livre). Heureusement, les inspirations de manquent dans le paysage rolistique. Récupérer un donjon existant et le convertir pour son emploi dans le jeu ne doit pas être trop compliqué.

LA FICHE TECHNIQUE

DONJON & CIE

Conception: Benoît Felten
Textes: Benoît Felten
Système de jeu: Benoît Felten en adaptant Macchiato Monsters d’Eric Nieudan
Conception graphique et logo: Pierrick May
Illustration de couverture: Thierry Ségur
Illustrations intérieures: Laetitia Combe
Maquette et mise en page: Pierrick May
Directeur de publication: Emmanuel Gharbi
Edition: John Doe / Black Book Editions
Prix: 39,90€
A paraître
Retrouvez Donjon & Cie sur le site de Black Book Editions

Nicolas Lamberti

Nicolas Lamberti, journaliste et traducteur freelance, critique littéraire et réalisateur de télévision

Nicolas Lamberti

Nicolas Lamberti, journaliste et traducteur freelance, critique littéraire et réalisateur de télévision

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