1 - boite

Pour l’amateur de jeux de stratégie, il est parfois difficile de trouver un partenaire dans son voisinage. Cela l’est encore plus pour le wargamer français, son hobby se situant carrément dans le domaine du confidentiel. Heureusement, de nombreux éditeurs ont bien compris cette situation et se sont penchés à faire entrer dans leurs catalogues des séries de jeux solo ou, tout du moins, des wargames incluant l’option « un seul joueur ». La tendance s’est généralisée à un tel point que les boites de jeu affichent désormais un indicatif, sur la forme d’une échelle allant de 1 à 10, signalant l’intérêt du produit quand il est utilisé en solo (c’est bien entendu assez subjectif).

Empire aux Amériques, aux éditions Les jeux du Griffon n’a pas besoin d’une telle notification puisque ce jeu est une version française d’un produit de la collection de jeux solitaires State of Siege, édités en anglais par Victory Point Games. Cette gamme de wargames (14 jeux au catalogue à la date d’aujourd’hui) réunit un grand nombre de célèbres concepteurs américains, comme Darin A. Leviloff, Hans von Stockhausen, John Welch, Chris Taylor, ou Joseph Miranda pour Empires aux Amériques (Empires in America – 2009) qui sont également des spécialistes du remue-méninge égoïste.

4- tour 3
Zoom sur la piste des Grands Lacs

Un produit moche… euh, artisanal.

Bien que l’éditeur français ait décidé de privilégier une distribution en boîte plutôt qu’en ziplock, les jeux de la gamme State of Siege restent de type « artisanal » – comprenez par là que ce n’est pas la qualité ou la beauté du matériel qui va vous séduire avec Empires aux Amériques. Ce choix de packaging me laisse d’ailleurs perplexe. La boîte est moche, assez fragile, et encombrante au regard du peu de matériel qu’elle contient (un plateau de jeu souple plié en deux volets, un deck de 48 cartes, 52 pions en carton, les dés ne sont pas fournis). Bref, elle est pleine de vide. J’aurai préféré un ziplock, à la manière des produits Vae Victis (ou VPG). Force est cependant de signaler que l’emploi d’une boite n’a que très peu d’impact sur le prix du produit, qui reste très raisonnable (20€).

Un seul objectif : résister !

Dans Empires aux Amériques, le joueur incarne le parti français et il a pour tache de résister aux offensives anglaises. Son travail est principalement défensif mais, s’il en a la possibilité, il ne doit pas hésiter à frapper les corps expéditionnaires britanniques qui progressent vers les différentes places fortes de Nouvelle-France. Cela contribuera à les retarder. La règle tient en 8 pages. Le système, une fois décrypté, est simple et intuitif. Par contre, la lecture du « livret » de règles est laborieuse et sa mise en forme peu logique. Je ne sais pas si c’est le fait d’une traduction poussive mais, pour connaitre un peu les jeux VPG, je pense que le problème se situe en amont, leurs règles étant souvent assez peu limpides.

Une partie peut s’achever de deux manières :

– Dés qu’une armée britannique s’empare de Montréal, la partie s’achève immédiatement sur une victoire anglaise et la chute de la Nouvelle-France. L’Histoire est respectée.

– Quand la dernière carte du deck est piochée, on entame le dernier tour de jeu. Si Montréal n’est pas pris à la fin de ce tour, c’est une victoire française. L’Histoire est changée !

Le jeu mis en place
Le jeu mis en place

La mise en place du jeu prend cinq minutes. Le joueur pose les decks de cartes Historiques « bleues » et « rouges » sur l’emplacement désigné sur le plateau, après avoir écartés les quatre cartes de marque « blanche » qui composent sa main de départ. Il place ensuite les marqueurs Armée britannique sur leur emplacement de départ. Les armées françaises ne sont pas représentées sur la carte.

Un tour de jeu se divise en trois phases.

La phase Historique

Si la Guerre de 7 ans n’a pas encore débutée, le joueur tire aléatoirement trois cartes Historique bleues. Si elle a débutée, le joueur tire 4 cartes après avoir mélangé ensemble les cartes Historique bleues et rouges.

Exemple de cartes Historique
Exemple de cartes Actions

Les cartes Historique sont de différents types :

– Les cartes Evénements : à exécuter immédiatement, elles influencent les forces présentes sur plateau. L’une d’elle annonce le début de la Guerre de Sept Ans.

– Les cartes actions : elles constituent la main du joueur. Elles peuvent être jouées pendant le Phase de jeu française.

– Les cartes Chefs : si c’est un chef français, il est posé à coté du plateau (le tableau), et reçoit les marqueurs de Bataillons (placé sur maximal) et de Réputation (ajusté à médiocre). Si c’est un chef anglais, le joueur lance 2D6 pour déterminer son emplacement sur le plateau. Si l’emplacement est déjà occupé, c’est le chef ayant la meilleure réputation qui a la priorité, l’autre est « sacqué » (comprenez retiré et placé dans la Réserve).

Une carte chef fraçais et ses cartes actions
Une carte chef français et ses cartes actions et provinciaux

– Les cartes Provinciaux : représentent les forces qui peuvent être utilisées par les chefs français ou britanniques lors des batailles. Elles ont parfois des attributs ou des conditions d’utilisation particulières.

La phase britannique

Le joueur avance d’une case, sur leurs pistes respectives, les marqueurs Armée britanniques qui bénéficient d’un chef. Si le marqueur arrive sur une case Forteresse ou une case zone sauvage sur lequel est placé un pion Fort français, un assaut est engagé. Si d’autres types de batailles peuvent se produire, l’assaut dans lequel est impliqué deux chefs opposés est le cas le plus fréquemment rencontré et le plus lourd de conséquences.

Voici un exemple d’assaut, qui s’est déroulé au tour 3 de l’une de mes parties.

assaut2bis

Lors de la Phase britannique, l’armée de la piste Champlain, sous le commandement d’Abercombrie, doit avancer d’une case, ce qui l’amène à la case Fort William Henry, où se trouve un marqueur fort français. Un assaut a donc lieu, et Abercombrie se voit apporter le support de la milice de New-York, qui doit être utilisée dès que se produit une bataille sur la piste Champlain. Comme chef français, je choisis Bougainville qui n’a pas encore été activé dans ce tour. Bien que disposant de peu de bataillons (deux seulement), j’espère sur l’appui du Train de siège et des alliés Algonquins.

assaut4

Je dois tout d’abord déterminer quelle armée a l’initiative, c’est-à-dire celle qui va frapper en premier. Pour ce faire, je dois lancer un d6 pour chaque armée, le score est modifié par le Rang du Chef et d’éventuels modificateurs apportés par les cartes Action ou Provinciaux posés sur le Tableau. Dans notre exemple :

Armée anglaise : 2 (score au dé) + 1 (rang d’Abecombrie) = 3

Armée française : 3 (score au dé) + 2 (rang de Bougainville) + 1 (bonus d’infanterie légère apporté par les Algonquins) + 1 (présence d’un pion forteresse) = 7

L’armée française remporte donc haut la main l’initiative !

assaut5

L’armée française tire. Je lance un nombre de d6 égal au nombre de bataillons de Bougainville (2), plus la force du Train de siège (2) et la force de l’alliée Algonquin (3), soit 7d6. Pas mal! Tous les scores de 5 et 6 sont des réussites. Malheureusement, je n’ai pas trop de chance et n’obtient que deux touches. Je dois déplacer le marqueur Bataillons d’Abercombrie de 2 crans vers la gauche. L’Anglais a perdu deux points, mais sa force est encore considérable, au regard de la puissance la Milice de New-York.

assaut6

Je dois alors lancer 7d6 pour le joueur anglais (3 pour Abercombrie et 4 pour la milice). J’obtiens trois touches, qui sont retirées à Bougainville. Celui-ci n’ayant que deux bataillons, il est carrément éliminé (défaussé). C’est une victoire totale pour les Anglais ! Comme le Français a perdu, ses deux cartes de Provinciaux sont défaussées, tandis que celle de l’Anglais est placée dans la réserve (c’est-à-dire qu’elle pourra peut-être être réutilisée). Le pion Fort est défaussé, l’armée britannique de la piste Champlain prend sa place sur case Fort William Henry et se rapproche de Montréal, son objectif (et la défaite pour moi). Il va falloir que je réagisse ! Quand à Abercombrie, sa Réputation grimpe d’un cran et passe de Médiocre à Reconnu.

La phase française.

5-tour4
Chute de la forteresse de Louisbourg !

Le joueur dispose d’un nombre de points d’action égal à la somme des Rangs de ses Chefs (avec un plafond de 5). Ces points d’actions sont utilisés pour poser sur le Tableau des cartes Action qu’il tient en main, acheter et placer des Comptoirs ou des Forts sur le plateau de jeu, attaquer une force ennemi (le système de résolution est globalement identique à l’assaut) ou remplacer des pertes subies.

Ressenti

Après les premières hésitations, conséquence directe d’une règle manquant de clarté, la partie prend un rythme agréable. Le système est fluide et intuitif, et le thème fortement présent (j’ai particulièrement appréciés tous ces petites précisions historiques, dans la règle, mais aussi sur les cartes). On oublie vite l’aspect cheap du matériel pour se plonger pleinement dans le déroulement de la partie.

Sans être impossible, la victoire française est difficile à obtenir car la situation devient très compliquée quand éclate la Guerre de 7 ans (et que les cartes rouges sont ajoutées au deck) – j’ai remporté l’une des mes trois parties. Un équilibre est présent grâce, entre autres, à la présence d’une règle qui fait que l’écart de Chefs entre les deux partis est limité (2 au maximum). On enchaine les tentatives d’autant plus volontiers qu’elles sont assez courtes (environ ¾ d’heure). Au final, ce système de script ludique (incrémentation sur piste au tour par tour) peut apparaître comme peu original et assez primaire mais il se prête très bien à ce jeu, qui cherche à reconstituer l’étouffement progressif de la colonie française sous la poussée des Britanniques et des colons des Treize Colonies.

pavé1

Empires aux Amériques (Jeu du griffons – 2012)

Titre original : Empires in America

Un jeu de Joseph Miranda

Un joueur

A partir de 12 ans

Environ 45 minutes

Nicolas Lamberti

Nicolas Lamberti, journaliste et traducteur freelance, critique littéraire et réalisateur de télévision

Nicolas Lamberti

Nicolas Lamberti, journaliste et traducteur freelance, critique littéraire et réalisateur de télévision

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *