JEU DE RÔLERENCONTRE

RENCONTRE AVEC… FARID BEN SALEM

Régulièrement, il m’arrive de causer de ma passion pour les jeux à un auditoire de profanes.  Pour le plaisir de les surprendre, j’en arrive souvent à aborder le sujet du milieu professionnel, et du poids économique que pèse ce loisir. Quand je leur raconte la foule se pressant à l’entrée du Festival International du jeu de Cannes, nombre d’entre eux dodelinent de la tête pour afficher leurs doutes. Jusqu’à ce que je leur montre quelques photos. Ils en restent béas. Et quand je leur dis que le jeu peut également être un métier, qu’il peut être au centre d’un projet de vie, alors, là, certains me regardent comme si j’avais perdu la raison, d’autres pensent que je plaisante. Alors, je leur parle de Farid ben Salem…

Bonjour, Farid ! Pour ceux qui ne vous connaitraient, pourriez-vous vous présenter et nous dévoiler le chemin qui vous a conduit vers le monde du jeu ?

Ciao, je suis petit fils de migrant sicilien et fils de migrant tunisien. Je suis indépendant, avec ses avantages et ses défauts, les fins de mois ne sont jamais évidents. Je suis auteur de jeux, enseignant en game design, gamificateur auprès d’entreprises, influenceur dans le monde du jeu, j’ai animé une émission webTV sur les jeux, enseigné l’escrime pendant 25 ans, fait du management, suis père de 4 enfants, fondateur du sport de combat au sabre laser, et quelques trucs en plus. Bref, mon objectif est de faire reconnaître le jeu pour ses qualités cognitives et sociales partout où je passe.

Je suis arrivé au jeu du fait d’une grande frustration dans mon enfance. Avec un père très sévère pour qui ne comptaient que l’école et le conservatoire. Je suis parti à 18 ans de chez mes parents, juste après le bac. Et je me suis rattrapé, même si j’étudiais, bossais et sortais en boite en même temps. La liberté faisait que la fatigue ne se faisait jamais sentir.

Mon argent allait beaucoup dans l’achat de jeux de tous genres. Même mes potes de l’époque avec qui je jouais la plupart du temps, me posaient la question de l’intérêt de posséder autant de produits ludiques. La réponse est venue quelques années plus tard. D’ailleurs je ne créais que pour eux et investissais beaucoup de temps dans la création et l’animation de nos parties de jeux de rôle, jeux de plateau et jeux vidéo voire, déjà à l’époque, d’escape games.

Cela m’a servi dès que j’ai commencé à travailler dans le jeu, mais aussi le fait que je crée depuis tout petit. Donc j’ai une habitude cognitive concernant la création, découlant aussi de la curiosité (oui, une envie de toucher à tout), le bricolage donc du prototypage, des idées dans tous les sens mais surtout leur réalisation, et l’habitude de lancer des projets, parfois farfelus mais qui peuvent aboutir.

Vous êtes un maître d’arme, une qualification qui ne doit pas être inutile pour nous causer heroic fantasy. C’est votre passion pour l’escrime qui vous a amené à apprécier le genre, ou l’inverse ?

C’est un peu cela mais avant tout je suis un passionné de sport. J’ai fait beaucoup de foot, de roller, j’ai touché un peu à tout et suis extrêmement intéressé par les aspects techniques et tactiques des différents sports. Et comme les sports sont des jeux, en tout cas pour la plupart… mais on ne va pas lancer le débat. Et l’escrime est techniquement très riche. Tout cela s’accompagnait d’un amour de la science fiction et du fantastique, des mondes imaginaires. Les profs disaient que j’étais trop souvent dans la lune. Sûrement pour une bonne raison : s’échapper. Ce qu’a permis le jeu de rôle.

Vous avez d’ailleurs créé une école pour l’enseignement du combat au sabre laser. L’idée n’a pas semblé saugrenue auprès de vos camarades d’escrime ? Où en est son développement ?

Au départ, si. Personne n’y croyait et tout le monde pensait que ce n’était que de l’opportunisme en rapport avec l’arrivée de la dernière trilogie Star Wars. Aujourd’hui, je me suis retiré, parce que le bénévolat c’est bien mais il faut payer les factures et le sport de combat au sabre laser est reconnu par la fédération française d’escrime et les autres pays nous envient. Cela a demandé beaucoup de travail concernant la mise en place des aspects techniques, pédagogiques, de la structure d’un cours que je voulais proche de celui d’un cours d’escrime. Dès le départ, il fallait que ce soit un sport. Etonnamment, nous avons eu tout type de public. En une semaine, 200 licenciés à Paris et tous les médias sont venus nous voir. J’ai formé des dizaines d’instructeurs de la France entière qui ont repris à leur compte le sport. Encore un projet dont je suis fier et même si, aujourd’hui, je l’ai mis de côté, je suis sollicité régulièrement pour des conseils, des interviews.

Créateur de jeu, enseignant, présentateur de webTV, rédacteur dans des magazines, vous avez de nombreuses cordes à votre arc. Toutes reliées au monde du jeu. Est-ce le désir de concilier toutes ces occupations qui vous a emmené vers l’enseignement du game design ? Pouvez-vous nous raconter comment vous avez décidé de pratiquer ce type d’enseignement ? Avez-vous suivi un cursus particulier ?

En fait, j’ai toujours proposé de la formation dans les différentes entreprises dans lesquelles je travaillais pour du management et de la gestion. Que je gaméfiais déjà, comme l’escrime. D’ailleurs, c’est l’un de mes élèves à l’escrime, directeur des licences à Paris 8 pour les Sciences de l’Information et de la Communication qui se posait la question de nouvelles matières, de nouveaux vecteurs pour les apprenants. Au courant que je travaillais déjà pour les jeux et que j’avais co-inventé une technologie, il m’a demandé si je pouvais proposer quelques chose, j’ai aussitôt mis en place des cours de création de jeux de plateau et de jeux de rôle. Plus accessible et plus spectaculaire. Mon objectif, dès que j’ai commencé à enseigner le GD était de pousser à la création. Il n’y a rien de plus satisfaisant pour un individu l’accomplissement d’une œuvre suite à un processus de création. C’est valable dans n’importe quel domaine. Mais autour d’un jeu, il y a souvent plusieurs personnes et un écosystème. Une certaine reproduction de la réalité, certes abstraite.

Dungeon Mini, un jeu hybride, une création de Farid ben Salem

Vous enseignez la création de jeux à Science Po. Il existe un Game Design Master à l’école des Gobelins, où vous êtes intervenant. La même chose à Paris VIII. Hors, pour beaucoup, le mot jeu est synonyme de passe-temps, de hobby peu sérieux. Pouvez-vous leur expliquer en quoi consiste cet enseignement ?

Comme dit plus tôt, pousser les apprenants à la création. Mais c’est aussi les accompagner dans la création, leurs donner des clés pour les mécaniques, pour l’esthétique, pour le prototypage, pour les aspects littéraires. La création d’un jeu est très riche parce qu’elle fait appel à différents domaines. L’idéal étant d’être polyvalent. Mais c’est l’une des caractéristiques principales du game designer, outre le fait d’être cultivé, d’être curieux, de s’intéresser à tout.

Créateur de jeux de plateau ou de jeux de rôle, un métier ? Quels sont les débouchés, ou les apports, quand l’on suit un tel enseignement ? En quoi cette matière peut intéresser les élèves des grandes écoles ?

Il est très difficile de vivre en tant qu’auteur de jeux indépendant. On peut évidemment être salarié dans ce domaine, mais ce sera surtout pour le jeu vidéo. Par contre, il faut absolument s’intéresser à l’approche du jeu en entreprise, ce qu’on appelle la gamification. Cela permet d’autres approches en rapport avec le domaine ludique.

Il y a une recette à suivre pour créer un bon jeu ? Ou un jeu qui rencontre le succès (si pour vous, cela est synonyme) ?

Voilà, qu’est-ce qu’un bon jeu ? Un jeu qui se vend bien ? Un jeu avec lequel vous vous amusez avec vos potes mais qui n’intéresse personne d’autre ? La question n’est pas évidente. Un bon jeu est un jeu qui atteint l’objectif fixé au départ. Souvent des objectifs de vente. C’est pour cela qu’il faut être capable de s’intéresser à tous les publics ciblés. Si un auteur a l’habitude de créer des jeux de type Core Game, et qu’on lui demande de faire un jeu très accessible destiné à un public famille, s’il accepte, il doit être capable de s’adapter dans le processus de création. Et le résultat des ventes sera le meilleur arbitre. Certes les aspects marketing rentrent en ligne de compte. Mais même cela, selon moi, un auteur doit avoir en tête le fonctionnement commercial d’un jeu.

Sinon, il y a toujours LE jeu qu’on a toujours rêvé de créer. Pour moi, c’est un jeu de civilisations, parce que j’adore l’Histoire, ou un jeu de plateau qui reproduit les sensations d’un jeu vidéo FPS.

Le monde de Yo-Ho, un autre jeu hybride créé par Farid ben Salem

Quels sont vos types de jeux de plateau préférés ? Généralement, les rôlistes sont plus attirés vers le thème que vers la mécanique, c’est également votre cas ?

Oui en général, je regarde plus les mécaniques et moins le setting. On a déjà plein de jeux avec des univers de folie plus ou moins connus. J’aime bien les jeux de type deck building intragame mais avec une certaine immersion. Ainsi que les card-driven qui sont l’idéal pour simuler une période historique.

Quel est, dernièrement, le jeu de plateau, ou de cartes, qui a particulièrement retenu votre attention ? Et pourquoi ?

Pour jouer avec les petits, Clank! est excellent. Avec sa mécanique de deck building intragame. Sinon, Voyages en Terre du Milieu, accompagné par une app, est très bon pour de l’immersion, la gestion de sa main définissant les actions de son personnage est très bien faite. Sinon, je ne refuserais jamais une partie de BattleStar Galactica pour le fait que tout reprend très bien ce qui se passe dans la série télé.

Toujours partant pour une partie de jeu de rôle ? (si oui, à quoi jouez-vous ?)

Tout de suite maintenant s’il le faut. La quintessence du jeu. je fais pas mal de parties d’initiation avec de nouveaux joueurs. Et même avec des célébrités comme Bernard Werber qui veut y rejouer. Selon leurs gouts et surtout leurs connaissances d’univers, cela peut être du Star Wars, du Cthulhu CO, du Vampire, mais surtout mon jeu de rôle Dungeon Dangerous que j’ai fait le plus jouer finalement. Mais sans être maitre de jeu. C’est celui que je propose à mes étudiants dès les premiers cours. Donc pour une classe, on va constituer 5-6 groupes. Je leurs indique les règles en 5 minutes et la trame du scénario. Les fiches de perso sont des cartes qu’on assemble. Il est très accessible et fonctionne très bien. Cela s’est toujours bien passé et il y a toujours de bons moments de rigolade même si certains se sont improvisés Maître de Jeu pour la première fois.

Après quelques années difficiles, on assiste à un retour en forme du jeu de rôle. D’après vous, quelle est/sont la/les raison/s de ce nouvel engouement pour le jeu de rôle papier.

Et oui. Carrément. Alors qu’il y a 7-8 ans, j’annonçais tout seul dans mon coin que le jdr allait connaitre une rennaissance, pas grand monde y croyait. J’avais indiqué cela dans des articles, sur les réseaux sociaux, et certains sont venus me faire la leçon comme quoi, c’était un hobby niche de niche, que cela le resterait et que le grand public ne s’en soucierait pas. Et bien, ils se sont bien trompés. L’arrivée de la nouvelle mouture de D&D et ses ventes spectaculaires, le coming-out de personnalités qui avouent avoir joué ou jouer au jdr, le streaming qui propose des parties de jdr énormément suivi, et la lassitude des jeux vidéo, surtout des MMO, qui ne proposent plus grand chose de nouveau. Le fait que je côtoie beaucoup de monde dans les différents formats de jeux, peut m’indiquer les sensations de futurs événements propres à ce domaine, ce qui me permet d’anticiper l’arrivée d’éléments ludiques.

On voit sur le marché de plus en plus de jeux hybrides mariant la technologie et les genres. Depuis peu, Voyages dans les terres du milieu, de FFG, a mis la barre encore plus haute en offrant aux joueurs un jeu mêlant application digitale, plateau et figurines.  Que pensez-vous de cette tendance ?

C’est parfait. Avec l’atelier, nous avons travaillé sur les premiers jeux hybrides de ce type. Encore une fois, pas grand monde y croyait ou restait accroché à l’aspect tangible seul. On voit que ce type de produits se développe. Mais il faut qu’il y ait un intérêt concernant cette hybridation. Il faut que la techno apporte de l’originalité, soit dans le game design, soit dans la narration. Il ne faut pas que ce soit seulement un gadget comme on a pu le voir souvent car cela ne se vend pas.

Bruno Cathala, Antoine Bauza, Ludovic Maublanc, pour ne citer qu’eux côté français, ou Richard Garfield, Wolfgang Kramer et Corey Konieczka, pour les étrangers ; quand l’on se rend dans les conventions, l’on voit des foules se ruer vers eux pour une dédicace. Une starification du milieu ?

Et il ne faut pas oublier les illustrateurs qui font beaucoup pour la qualité des jeux et qui, eux aussi, sont de plus en plus reconnus. Tant mieux qu’il y ait une starification, car ces individus deviennent les prophètes, les porte-paroles, les gonfanoniers du Jeu et la plupart le font très bien.

Quel regard portez-vous sur le marché actuel ? Et sur son évolution ? Comment voyez-vous le jeu dans, disons, dix ans ?

J’ai toujours encouragé le développement du jeu et fait au mieux pour que cela ne s’arrête jamais. Le jeu sera de plus en plus présent auprès des gens et ce, à presque chaque instant de leur vie. Le jeu en entreprise se développe et se démocratise. Comme je l’indique souvent en conférence, les générations passant, il y a de plus en plus de gamers. Ces personnes, lorsqu’elles sont face à une problématique, ont naturellement l’envie d’employer le jeu comme solution, d’une façon ou d’une autre. Le jeu est un très bon vecteur pour apprendre, pour découvrir, même pour les adultes. Car il crée l’anecdote dont le souvenir. Je suis intimement persuadé que le jeu de rôle va connaitre une révolution, et que nous le retrouverons partout. Il est important qu’il soit présent à l’école, parce qu’il apporte des qualités sociales et managériales. Mais aussi il mène vers la lecture, l’écriture et la création. Il doit être une matière à l’école.

Quels sont vos projets personnels ?

Ils sont multiples, comme d’habitude. Il faut être sur plusieurs projets pour espérer qu’un tiers aillent au bout. C’est beaucoup de déceptions mais quand un se concrétise… Pas mal de projets pour tout ce qui tourne autour des jeux et du sport. En ce moment, c’est une grosse tendance : les jeux qui font transpirer. Vous jouez et vous prenez du plaisir à faire des efforts et à vous faire mal aux muscles. Sinon, de plus en plus d’escape games, comme je l’avais déjà indiqué sur les réseaux sociaux, le mot Escape est devenu un nom commun et est employé à toutes les sauces. Des projets de jeux de rôle très séduisants avec des grosses licences inattendues ou la reprise d’anciens. Un écrivain célèbre me demande de créer un jdr sur un de ses bouquins. J’espère pouvoir en parler très prochainement. Des livres autour des jeux. Des collaborations dans tous les domaines du jeu, les professionnels usent de mon réseau afin d’établir de contacts ou étudier notre hobby. Et, cerise sur le gâteau, je suis sur l’écriture d’une série télé et un long-métrage autour des jeux et de l’eSport en collaboration avec un auteur-réalisateur. Peut-être un autre rêve qui va se concrétiser. Dans tous les cas, faire en sorte que le jeu se démocratise, soit le plus présent possible, aussi bien dans le domaine domestique que professionnel.

Merci Farid.

Nicolas Lamberti

Nicolas Lamberti, journaliste et traducteur freelance, critique littéraire et réalisateur de télévision

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