CRITIQUEJEU DE RÔLE

Te deum pour un massacre (Editions du Matagot -2010)

Durant presque une décennie, j’ai, pour le compte de Scifi-Universe – et pour mon plus grand bonheur -, testé de nombreux jeux de rôle. Pour la grande majorité très intéressants, voire parfois même géniaux. Ces découvertes, j’ai eu, le plus souvent, le privilège de les partager avec les internautes dans les colonnes du site. Mais pour certaines d’entre elles, ce fut impossible, en raison de leur appartenance à un genre qui ne collait pas avec la ligne éditoriale de SFU. J’avais beau chercher des «angles d’attaque» pour pouvoir les faire entrer dans une «case compatible», rien n’y faisait. Parfois, j’en arrivais même à reprocher au(x) concepteur(s) de ne pas avoir glissé dans leurs bébés un peu – voire un soupçon, diantre! – de fantastique. Comme pour Te Deum pour un massacre, le plus regretté de ces «laissés-pour-compte».

Le titre Te Deum pour un massacre fait référence à la Saint-Barthélemy. On a donc affaire à un jeu de rôle historique dont l’action se situe au XVI°siècle, durant les guerres de religion. Les joueurs, y incarnent des personnages, pouvant être issus de milieu sociaux très divers, évoluant dans une France plongée dans une sorte de chaos organisé. Au gré des scénarios, et de leurs places dans cette société du XVI° siècle, ils pourront vivre une grande variété d’aventures, allant du simple brigandage au complot de palais, mais ils devront forcément, à un moment ou à autre, prendre parti pour les huguenots ou les catholiques.

Image

Tout d’abord, il me faut signaler que Te Deum pour un massacre (je parle là de la seconde édition, corrigée et enrichie, de 2010) est un très bel ouvrage, qui peut fièrement s’exposer sur les linéaires des bibliothèques les plus élégantes. Un joli coffret au format A5, contenant deux livres d’environ 500 pages, à la couverture similicuir. A l’intérieur, un texte bénéficiant d’une mise en forme très lisible, agrémenté de nombreuses illustrations (de qualité variable, ceci dit). Bref, du superbe boulot, de la part des éditions du Matagot, au cachet classieux et classique qui nous plonge de suite dans l’ambiance.

Le premier livre est un ouvrage pédagogique au ton joliment romancé qui décrit en détail les particularismes de la période. Le meneur de jeu peut y trouver tous les éléments nécessaires à la construction et à la conduite d’un scénario bien ancré dans le siècle, sans avoir à se référer à un autre ouvrage. Le travail de synthèse effectué est en tout point remarquable. Ça va doit au but mais rien d’important n’est négligé. L’ensemble compose une mine d’informations diverses et d’anecdotes sur les royaumes de France et de Navarre pendant les guerres de religion, dans les domaines politiques, géographiques, sociétaux et religieux. Le tout est enrichi par la présence d’une bibliographie et d’une filmographie. En fait, ce bouquin, de par la nature de son contenu, est intéressant pour toute personne voulant découvrir la période, même s’il ne compte pas jouer à Te Deum pour un Massacre.

Image
Image

Le deuxième livre regroupe les règles de jeu et cinq scénarios. La création des personnages se fait via un QCM qui construit lentement un citoyen du XVI° siècle. Ce n’est qu’au bout du processus que le joueur prend connaissance des caractéristiques et des capacités de son personnage. Avec les surprises que cela peut impliquer. Cette méthode géniale a comme seul petit défaut d’être un peu longue, et pourrait gêner ceux qui désireraient juste essayer le jeu. Il est dommage que les auteurs n’aient pas pensé à fournir un autre système, plus rapide, voire même une série d’archétypes. Mais bon, je pinaille.

La mécanique de simulation est à la fois accessible et complexe. Elle exploite les caractéristiques et les compétences du personnage. La valeur de caractéristique donne le type de dé à utiliser (D4 pour la plus faible, D20 pour la plus haute) qui, combinée à la compétence sollicitée, doit atteindre un seuil de réussite ou battre un score d’opposition. Le jet de dé est ouvert, c’est-à-dire qu’un score maximal permet d’ajouter le résultat d’un autre lancer, et qu’un score minimal contraint de soustraire le résultat d’un autre lancer. En plus de cela, certaines qualités vertueuses éventuellement possédées par le personnage peuvent optimiser le résultat final. Le seul petit défaut de ce système est l’énorme différence entre le d12 et le d20 qui fait que le meneur devra veiller, les premières heures de jeu, à ce que les joueurs privilégient le roleplaying sur l’optimisation de leurs avatars. On peut également regretter que le système n’approfondisse pas plus certaines spécificités martiales de la période, comme l’escrime. Par contre, la gestion des maladies et des poisons est très bien pensée et met en relief la fragilité des personnages débutants.

Image
Image

Je n’ai testé qu’un seul scénario, intitulé Comme on sert le serf. Un scénario one shot, pouvant toutefois faire suite aux autres, dans lequel les personnages vont vivre un huis clos des plus intrigants. L’histoire est très intéressante, riche en possibilité, avec des PNJ extrêmement bien construits, et demande de la part des joueurs pas mal de subtilité. Les autres scénarios, issus de la première édition, semblent aussi sympathiques, et bien que liés par un fil rouge, donnent un bel exemple de la variété d’histoires pouvant être vécues par les personnages.

L’AVIS DE G&P

En conclusion, ce jeu de rôle créé par Jean-Philippe Jaworski (l’excellent roman Gagner la guerre) est un pur bijou pour qui aime cette période de l’Histoire de France et les univers réalistes. Les possibilités de jeu sont multiples, il est donc superflu d’essayer d’en faire une description précise, mais, personnellement, je trouve que c’est dans le domaine de l’intrigue et de l’investigation que Te Deum pour un massacre exprime tout son potentiel (la relative « simplicité » du système ne favorise pas la construction de parties essentiellement axées sur le combat).
Cerise sur le gâteau, l’ouvrage est magnifique.

Te Deum pour un massacre
Un jeu de Jean-Philippe Jaworski
Illustrateurs : Rolland Barthelemy, Xavier Deiber, Sandie Levent, Alain Rozenblum
Couverture : : Rolland Barthelemy
Auteurs : Jean-Philippe Jaworski, Mathilde Bartholin, Stéphane Chapuis, François-Xavier Cuende, Sylvain Ferrieu, Josselin Moneyron, Alain Rozenblum, Jean-Baptiste Syda.
Edition du Matagot – 2010

Nicolas Lamberti

Nicolas Lamberti, journaliste et traducteur freelance, critique littéraire et réalisateur de télévision

Nicolas Lamberti

Nicolas Lamberti, journaliste et traducteur freelance, critique littéraire et réalisateur de télévision

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *