JEU DE PLATEAURENCONTRE

Time of Legends: Joan of Arc, l'interview de Léonidas Vesperini

Sur la petite – mais ô combien dynamique ! – scène du jeu spécialisé, la jeune société Mythic Games occupe une place privilégiée. Cette notoriété, elle la doit à son audace et à sa créativité, deux qualités ayant accouchés de Mythic Battles : Pantheon, un jeu de combat avec figurines impliquant dieux de l’Olympe et autres créatures mythologiques. Un jeu hybride ambitieux (inspiré de Mythic Battles, le jeu de cartes de Benoît Vogt), ayant bénéficié d’une importante campagne promotionnelle, avec une production assurée par un financement participatif qui a largement atteint ses objectifs.
 Aujourd’hui, fort de l’engouement généré par Mythic Battles : Pantheon, Mythic Games revient à la charge avec un nouveau projet intitulé Time of Legends : Joan of Arc, un jeu pensé et conçu par Pascal Bernard, personnalité bien connue du milieu ludique pour ses deux passions : le jeu de société et l’histoire médiévale. Léonidas Vesperini, conducteur de ce projet et dirigeant de Mythic Games,  nous dit tout sur ce nouveau défi.
 L’Anspessade : Bonjour Léo, pour nos lecteurs qui ne seraient pas des initiés en matière de jeu spécialisé et, plus particulièrement, de jeu à figurines, pourrais-tu nous faire un petit bilan de ta longue, et brillante, carrière dans le milieu, et nous présenter ta société ?
 Léonidas Vesperini : Bonjour Nico ! Je suis – comme toi et c’est d’ailleurs comme ça que nous nous sommes connus ! – passionné depuis l’enfance de jeux de toutes sortes : jeux de rôle, wargames, jeux de figurines… Une passion dévorante qui m’a poussé quand j’étais étudiant à créer un fanzine qui s’est fait remarquer chez les éditeurs professionnels et m’a ouvert la voie au monde de l’édition. Ainsi, j’ai commencé par traduire des jeux de rôle américains (Shadowrun, par exemple), à en faire éditer certains (Thoan, Dark Earth), à piger dans les magazines spécialisés de l’époque (Casus Belli, Supplément Descartes, Tatou pour ceux qui connaissent…) avant de devenir moi-même rédacteur en chef d’un magazine de jeux : Lotus Noir. Je suis resté ainsi journaliste rédacteur en chef de différents magazines spécialisés (Lotus Noir, Mana Rouge, Ravage…) durant quinze ans. Mon statut de journaliste m’a permis de développer un gros réseau et aussi de devenir pendant quatre ans membre du jury du Festival des jeux à Cannes, qui décerne chaque année en France l’As d’Or du jeu de l’année, le plus célèbre prix français. J’ai quitté cette institution en même temps que j’arrêtais la presse pour me consacrer à des projets plus personnels. D’abord Conan, un jeu de plateau avec figurines créé par mon ami Frédéric Henry, projet qui naquit lors d’une discussion entre nous deux à la Gen Con en 2009. Conan a rencontré un tel succès que j’ai décidé de me lancer à temps complet sur cette activité et ce genre de projets. J’ai donc créé une société d’édition, Mythic Games, avec mon ami Benoît Vogt, pour relancer le jeu qu’il avait créé et édité, Mythic Battles. Nous l’avons renommé Mythic Battles: Pantheon et l’avons complètement revampé pour en faire un jeu de plateau avec figurines adapté au marché d’aujourd’hui, en particulier à une commercialisation sur Kickstarter. Là encore, nous avons connu un énorme succès, qui nous a permis de financer le prochain projet : Time of Legends: Joan of Arc.

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Des tuiles hexagonales, inspirées des wargames

ANS. Raconte-nous un peu la genèse de Time of Legends : Joan of Arc. D’où sort l’idée de produire un jeu au thème et au concept si particuliers ?
L.V. : Conan, comme Mythic Battles: Pantheon et maintenant Joan of Arc, sont des projets gigantesques en termes de préparation et d’investissement. Des jeux « hors norme ». Grâce à mes contacts, je connais beaucoup d’auteurs et d’artistes, certains comme Pascal Bernard sont des amis. Pascal a suivi mes premiers projets et m’a soumis l’idée d’un projet qui irait dans la veine des précédents, mais correspondant à ses aspirations de toujours. Car Pascal est un passionné d’histoire, en particulier d’histoire médiévale et de la guerre de cent ans. C’est une véritable encyclopédie vivante sur le sujet, et ce n’est pas pour rien que le premier jeu qu’il s’est fait éditer s’appelait Montjoie! et était déjà consacré à la guerre de cent ans. C’était en 1998, il y a presque 20 ans. L’idée de faire un jeu moderne sur ce thème extraordinairement riche nous a séduits, tout comme mon associé Benoît Vogt. Le public Kickstarter étant plus habitué aux belles figurines et au fantastique, nous avons réfléchi à une manière de proposer un produit qui plaise autant aux habitués de Kickstarter qu’aux amateurs de cette période historique. Les concepts du jeu sont arrivés à ce moment-là.
Ainsi, la première contrainte qu’on s’est donnée est la présence de figurines. Nous en voulions beaucoup ! Pascal avait comme référence le jeu Cry Havoc, avec ses multiples scénarios, mais au lieu des pions, on pouvait se permettre de proposer des figurines. Seulement, forcément à une plus petite échelle que le 32mm, qui ne permettrait pas de disposer de lieux d’exploration suffisamment vastes, sauf à jouer sur des tables de 3 mètres. Nous avons donc opté pour le 15mm. La technologie digitale permet d’obtenir des figurines qu’il aurait été impossible de sculpter à la main. Grâce à cette petite échelle et aux économies que nous pouvions faire sur les moules et l’injection par rapport au traditionnel 32mm, nous nous sommes dits que c’était l’occasion de fournir aussi des éléments de décors 3D. Et d’en fournir beaucoup ! Nous tenions absolument à ce que ces éléments 3D servent le jeu, et ne soient pas seulement cosmétiques. C’est pour cette raison qu’on peut visiter les bâtiments, découvrir les personnes qui se trouvent à l’intérieur, fouiller les lieux, etc.
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Des figurines 15mm de grande qualité

Enfin, plutôt que de nous limiter à de l’historique pur et pour plus d’originalité, nous avons décidé d’intégrer les mythes médiévaux à notre univers. Pas du fantastique à la D&D, les vrais mythes de l’époque, comme les sorcières, les loup-garous, les démons, les anges, les cavaliers de l’Apocalypse… Tout de suite, nous avions un univers original, à mi-chemin entre Game of Thrones (qui s’inspire de la guerre de cent ans) et Warhammer (pour ses créatures fantastiques et ses combats de masse, on va y venir). Pour ce qui est du système de jeu, Pascal a voulu quelque chose de très dépouillé, très simple à comprendre, mais qui offre une énorme profondeur grâce aux multiples choix possibles. Il a travaillé sur cette mécanique durant presque 3 ans. Je te l’ai dit, chaque jeu est un long processus ! Et je ne te parle même pas des investissement colossaux dans tous les domaines : illustrations (on travaille avec des pointures mondiales qui travaillent pour Games Workshop, Magic ou encore World of Warcraft); sculptures (nous avons beaucoup d’anciens sculpteurs de Rackham ou de Games Workshop); ou marketing (nous tournons dans la France entière, nous rendons dans les grands salons comme Paris est Ludique, la Gen Con, Essen, produisons des prototypes très aboutis pour les séances de tests, prévoyons des campagnes sur d’importants médias, avons prévu des vidéos spectaculaires, et enfin, nous payons le développement des scénarios du jeu à toute l’équipe). Bref, c’est une énorme machine qui monopolise toute notre équipe à 100%.
ANS. Alors, au final, Time of Legends: Joan of Arc, c’est quoi ? Dis-nous tout!
L.V. Maintenant que tu connais toute la genèse, qu’est-ce que ça donne? Eh bien, c’est un jeu de société à scénarios, prévu pour 2 à 4 joueurs, qui se déroule durant une guerre de cent ans mâtinée de mythes médiévaux. On peut y rejouer les grandes batailles historiques (Crécy, Azincourt, Brossinière, etc.), mais on peut aussi jouer de plus petits scénarios d’investigation, avec beaucoup moins de figurines. C’est là toute la force du jeu. La même mécanique peut permettre une gestion d’une dizaines de figurines par camp, jusqu’à la gestion de plusieurs dizaines de troupes lors de batailles de masse. Chaque partie dure moins d’une heure, et surtout, un même scénario rejoué plusieurs fois ne se déroulera jamais de la même manière. Tout simplement parce que son évolution dépend d’une multitude de choix qui sont faits à tout moment : vais-je activer plutôt ces personnages-ci que ceux-là ? Vais-je aller fouiller ces ruines pour trouver des indices ou plutôt interroger ces paysans ? Dois-je être menaçant ou aimable avec cette vieille femme qui a l’air un peu folle ? Vais-je jouer plutôt agressif, sans chercher à interroger les gens ? Les sensations de jeu sont multiples, et ne se limitent pas à l’affrontement, même s’il y en a.
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ANS.  Le jeu permet de mêler des éléments fantastiques (issus du folklore traditionnel, donc) et des éléments propres au wargame historique. Sera-t-il possible de n’exploiter que le deuxième aspect sans pour autant perdre trop dans la profondeur de jeu ?
L.V. Oui, absolument. Il est tout à fait possible et même prévu de jouer en pur historique. Notamment les batailles historiques. Tout se décide au moment de la construction des paquets de cartes du scénario. Si vous voulez intégrer du fantastique, vous devez prévoir des cartes de « Mythe », qui pourront être acquises et utilisées en cours de partie, par exemple pour faire un pacte avec le Diable, ou pour faire appel aux Anges. Si vous préférez jouer en pur historique, ces cartes de Mythe, qui vous donnent un avantage indéniable sur le terrain, sont remplacées par des cartes stratégiques, qui se jouent de la même façon mais confèrent des avantages de techniques de batailles, apportées par vos leaders. Qu’on joue en mode fantastique ou en mode historique, le jeu reste donc aussi riche.
Un autre mode de jeu, le mode affrontement, permet de constituer des armées et de s’affronter sur un terrain déterminé. Là encore, il sera parfaitement possible de recruter une armée d’Anglais et de Français sans y adjoindre la moindre créature fantastique. La construction d’armée se fait avec un budget à dépenser pour ses diverses troupes, ainsi qu’un schéma à respecter selon l’armée (plus d’archers pour les Anglais, plus de chevaliers pour les Français par exemple). On pourra aussi bien jouer des escarmouches que des parties impliquant des dizaines de combattants de chaque côté.
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ANS.  Pourquoi avoir choisi l’échelle 15mm, rarement vue dans le jeu à figurines fantastiques et le jeu de plateau ?
L.V. Nous voulions absolument des figurines dans le jeu, nous en voulions beaucoup, et l’idée fut de choisir la plus petite échelle possible pour que les figurines ne soient pas des pions mais de « vraies » figurines, bourrées de détails, dynamiques, et surtout, lisibles à l’œil nu. Nous avons fait des essais, y compris en 10mm. Mais c’était trop petit. On arrivait à donner beaucoup de détails, mais ils n’étaient plus vraiment visibles à l’œil nu. Le 15mm est le meilleur compromis, surtout grâce aux progrès offerts par la sculpture digitale. Quand on montre des photos de nos figurines, la première réaction des gens est de dire « c’est vraiment du 15mm, ça ? ». Alors oui, c’est un pari. Personne ne l’a encore fait, notamment sur Kickstarter. En tout cas, pas avec les ambitions que nous avons. Nous espérons que les gens vont aimer ce format, qui permet de jouer avec beaucoup de figurines et beaucoup de décors sur une table de taille normale, de jouer aussi avec les rapports de taille, en mettant de « petits » humains face à des créatures gigantesques (mais alors VRAIMENT gigantesques). Cela permet aussi d’avoir beaucoup plus de figurines dans une même boîte. Si Time of Legends: Joan of Arc marche, nous sortirons d’autres jeux à cette échelle, sans abandonner le 32mm, évidemment.
ANS. Sorte de jeu hybride entre le jeu à figurines fantastiques, le jeu d’Histoire et le wargame traditionnel, avec son plateau de jeu à hexagones, ses figurines 15mm et son thème fantastique, ne crains-tu pas que Time of Legends : Joan of Arc puisse effrayer ces trois publics ?
L.V. J’espère au contraire qu’il va les attirer tous les trois ! En fait, le jeu doit tout simplement être attirant pour un maximum de personnes. Et c’est d’ailleurs ce que nous constatons sur les salons, où toutes sortes de publics s’y retrouvent. Les amateurs de Warhammer aiment les créatures fantastiques ainsi que les magnifiques chevaliers qui les affrontent; le public familial apprécie la simplicité des règles, le côté « mignon » de ces petits villages et ces petits bonshommes; les wargamers et amateurs de jeux historiques apprécient de retrouver les grandes figures de la guerre de cent ans (Le Prince Noir, John Chandos, John Talbot, Falstaff, le Duc de Bedford, Du Guesclin, Jeanne d’Arc, La Hire, Gilles de Rais, Jean de Dunois, etc.) ainsi que des figurines 15mm d’une définition sans précédent et ultra respectueuses de l’équipement de l’époque. Ils aiment aussi les décors compatibles avec du 15mm. Dans tous les cas, le thème parle à tout le monde. Le Moyen Âge a marqué les esprits. On le voit même dans notre pop culture, puisque la série la plus populaire du moment, Game of Thrones, s’est inspirée des grands épisodes de la guerre de cent ans (George R. R. Martin est un grand fan des Rois Maudits). En lisant un excellent livre tout simplement appelé La Guerre de Cent Ans (par Georges Minois), je réalise à quel point l’ambiance sombre et violente de Game of Thrones prend ses racines dans ce conflit séculaire. C’est absolument flagrant.
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ANS. Time of Legends : Joan of Arc en est au stade de projet très bien avancé. Une campagne de communication est déjà lancée. Peux-tu nous expliquer le principe des ambassadeurs ? Les protos présentés seront-ils fidèles à ce que sera le jeu final ? À quel niveau sera pris en compte le retour des joueurs ayant participé aux démos ?
L.V. Nous commençons effectivement la communication en ce moment même, car nous venons de finir de livrer à l’imprimeur les fichiers de Mythic Battles: Pantheon, ce qui a été un énorme boulot, mais gratifiant. Contrairement à Mythic Battles, nous ne comptons pas communiquer pendant un an avant de lancer le jeu sur Kickstarter, nous n’avons que quelques mois. Pour cette raison, alors que nous avions fait une tournée en comité réduit pour le jeu précédent, nous avons décidé d’opérer de manière différente cette fois, grâce au principe des « ambassadeurs ». Cela consiste à fournir un prototype à différentes personnes que nous connaissons grâce à notre tournée précédente ou à notre réseau personnel, ces personnes étant localisées dans différentes régions de France. Chacun des ambassadeurs reçoit un prototype, les règles, un scénario à faire jouer, et pourra ainsi faire découvrir le jeu dans sa région. Nous nous chargerons des animations dans les grands salons (Paris est Ludique, Gen Con, Essen, etc.) et jouerons aussi le rôle d’ambassadeurs dans certains cas, mais l’avantage d’avoir une équipe éparpillée aux quatre coins de France est évidente : on peut couvrir tout le territoire beaucoup plus facilement et beaucoup plus rapidement et même parfois simultanément. Le feedback est ultra important pour ce genre de projets. La tournée et les tests innombrables que nous avons faits avec Mythic Battles: Pantheon explique en grande partie le succès du jeu. Nous allons faire de même avec Joan of Arc.
Les protos restent des protos ! On les veut jolis, mais la version finale sera beaucoup plus pro, beaucoup plus finie, beaucoup plus jolie. Au fur et à mesure de l’avancée de la maquette, on verra d’ailleurs des protos de plus en plus beaux. C’est quelque chose que nous dirons à nos ambassadeurs : ils font jouer avec du matériel non final, et moins joli que ce que nous proposerons à la fin. Les retours seront bien évidemment intégrés et ce, jusqu’au dernier moment, c’est-à-dire jusqu’au lancement sur Kickstarter.
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ANS. La production de Time of Legends : Joan of Arc sera financée par la méthode de financement participatif. Quand devrait débuter le Kickstarter ?
L.V. Nous tablons sur les trois mois qui suivront la rentrée. Donc, soit septembre, soit octobre, soit au plus tard novembre. La date finale sera annoncée quand nous l’aurons, et elle dépend de plein de facteurs différents : la finalisation de la maquette, des sculptures (on est déjà très avancé), la rédaction des scénarios, le planning de lancement des gros projets concurrents, etc. C’est pour cela qu’on se donne, pour le moment, cette grosse plage de 3 mois.
LE GROUPE FACEBOOK (FRANCOPHONE) DE TIME OF LEGENDS: JOAN OF ARC

Nicolas Lamberti

Nicolas Lamberti, journaliste et traducteur freelance, critique littéraire et réalisateur de télévision

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Nicolas Lamberti, journaliste et traducteur freelance, critique littéraire et réalisateur de télévision

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