Si l’on remonte aux années 80, on se souvient qu’il existait déjà des jeux de rôle adaptés de romans ou de films à succès. L’Appel de Cthulhu et Star Wars restent peut-être les plus connus. Et cette tendance n’a pas cessé, Nous avons eu au fil des années pléthore d’adaptations et, d’ailleurs, certains systèmes génériques le permettent aisément (par exemple : Anime was a mistake, Shiver pour l’horreur etc). Sortis dans les salles de cinéma en 2005, Avatar : le Dernier Maître de l’Air et sa séquelle, La légende de Korra, sept ans plus tard, ont marqué l’histoire de l’animation. Hors, il aura fallu près de dix ans pour que ce superbe univers et ses personnages mémorables ainsi que ses thèmes très adultes (pour un animé qui vise les enfants – mais on en reparlera), soit adapté en jeu de rôle par Magpie – qui récoltera plus de 8 millions de dollars sur kickstarter! L’un des financements les plus rentables de l’histoire du jeu de rôle. L’édition anglaise d’Avatar Legends est parue en 2023 et Arkhane Asylum Publishing a rapidement traduit le jeu, permettant une sortie en 2024 qui sera, elle aussi, couronnée de succès. Nous allons donc voir ici l’univers du jeu, les personnages importants, le système du jeu notamment, tout le principe d’équilibre, la section meneur et enfin, je passerai un gros coup de gueule quand à certains avis envers le jeu que je juge déplacés.
Un monde mystique en danger perpétuel
“L’Eau, la Terre, le Feu, l’Air. Il y a très longtemps, ces quatre peuples vivaient en parfaite harmonie mais, un jour, la Nation du feu décida de passer à l’attaque. Seul l’Avatar, maître de ces quatre éléments, pouvait mettre fin à la guerre. Mais juste au moment où l’on avait besoin de lui, il disparut. Cent ans plus tard, mon frère et moi avons découvert le nouvel Avatar, un fils de l’air appelé Aang et, même si sa maîtrise de l’air est exceptionnelle, il a encore beaucoup à apprendre avant de pouvoir qui que ce soit. Mais je suis sûre que Aang peut sauver le monde…” (Katara dans l’Opening d’Avatar : le dernier maître de l’air),
Le monde d’Avatar est un monde mystique, où certaines personnes peuvent contrôler par la volonté un des quatre éléments que sont l’eau, la terre, le feu et l’air. Bien sûr, avec un niveau de puissance et de maîtrise suffisant, des déclinaisons sont possibles (glace et soin pour l’eau, foudre et combustion pour le feu, métal, sable, boue et lave pour la terre etc). Cependant, seul l’Avatar, être mi-physique / mi-esprit peut contrôler les quatre éléments et même bien plus (comme retirer la
maîtrise d’une personne ou la restaurer, capacité qui sera le sujet central dans la première saison de Korra). Inspiré par l’animation japonaise et la culture asiatique (les arts martiaux sont très présents, le blocage de Qi existe, et la maîtrise est souvent liée aux arts martiaux et la méditation), Avatar s’intéresse au destin d’Aang, actuelle réincarnation de l’Avatar qui va devoir rétablir l’équilibre du monde en acquérant les maîtrises qui lui font défaut, afin d’arrêter la puissante Nation du feu qui persécute le monde depuis un siècle – en ayant, par exemple, exterminé les nomades de l’Air!
Korra, qui se situe presque un siècle plus tard nous présente une nouvelle réincarnation de l’Avatar sous les traits d’une jeune femme du nom de Korra. Impulsive, fonceuse, adolescente amoureuse douée dans la maîtrise de tous les éléments – sauf l’air -, la jeune femme sera confrontée à des ennemis extrémistes, les privant de toute possibilité de rédemption. Le premier étant Amon, un chef de secte charismatique capable de retirer la maîtrise à toute personne qu’il touche…Le tout dans un environnement où la technologie a bien évolué ; les bateaux, avions, voitures et mêmes méchas existent, et surtout l’omniprésence de la police, (sous la direction des maîtres du métal), la politique et la presse…
Pas trop long ou trop courts, avec quantités de personnages intéressants dont, pour certains, le développement se poursuivra dans Korra, des saisons bien structurés, une gestion du ton presque impeccable, des affrontements stylisés, des enjeux importants et des conséquences parfois dramatiques (comme à la fin de la saison 3 de Korra par exemple)… La double saga est devenue légendaire.
Au niveau des personnages, nous avons évidemment les deux Avatars les plus connus : Aang et Korra, qui sont très différents. L’un, du haut de ses 12 ans, doit progresser et apprendre pour sauver le monde, porter l’héritage de toute une culture, le tout sans sombrer dans le désespoir bien qu’il soit tout le temps l’objet d’une traque. L’autre a grandi dans un contexte bien plus préparé à sa venue alors que la vie et ses ennemis se montreront bien plus vicieux et insidieux. Pire encore, certains avaient de bons fonds et de bonnes idées mais leur extrémisme en fait des importants antagonistes. Parmi les personnage secondaires marquants, on peut citer Katara (qui deviendra l’épouse d’Aang), Sokka (qui a une excellente évolution), Toph, maîtresse de la terre prodige qui découvrira la maîtrise du métal et Zuko, prince déchu de la Nation du feu, rejeté par son père, qui est souvent comparé comme étant l’inverse de Sasuke Uchiwa de Naruto, évoluant de la position d’antagoniste complet à celle de meilleur ami d’Aang – avant de devenir Seigneur de la Nation du feu. Pour Korra, si les alliés les plus jeunes sont surtout sources de drama adolescents (la romance étant présente et importante dans Avatar), on peut dire que les adultes sont juste géniaux tels Tenzin, le fils d’Aang lui-même, Lin et Suyin Beifong, les filles de Toph ou encore le petit fils de Zuko qui fait honneur à Iroh, l’oncle de Zuko, en étant un badass fiable qui représente la Nation du feu à son meilleur! Et évidemment, le père de Korra lui-même, un dirigeant superbement bien écrit.
Les antagonistes ne sont pas en reste. Dans Le dernier maître de l’air, Zuko évolue, certes, mais sa sœur Azula et ses acolytes sont tout bonnement incroyables. En effet, l’adolescente se montre redoutable sur bien des plans, éclipsant facilement les dangers que représentent son frère et son père. Avec Korra, chaque saison apporte un méchant emblématique : Amon, pour la saison 1 peut retirer la maîtrise et a toute une secte qui lui est dévoué. Dans la saison 2, Unalaq, l’oncle de Korra contrôle tout un pays et aura un légendaire allié de poids. Zaheer, chef de la secte du Lotus rouge tuera presque Korra en cherchant à provoquer l’anarchie et en détruisant les gouvernements. Enfin, Kuvira, ancienne militaire de la Nation du Métal, deviendra progressivement une dictatrice impitoyable alors qu’elle avait protégé tout le royaume de la terre pendant que Korra était portée disparue..
Mais en plus de ces deux contextes, le jeu de rôle nous permet de jouer à d’autres époques en précisant les enjeux, dangers, antagonistes. Une liberté formidable qui ne nous limite pas à juste l’animé. Pour ma part, j’ai maîtrisé à l’époque d’Aang, je maîtrise en ce moment une campagne qui est un “what if” de la saga de Korra et je compte maîtriser une campagne qui se passe 100 ans après la fin de Korra, la technologie ayant encore évolué et l’Avatar n’étant pas encore identifié alors qu’il existe depuis près d’une vingtaine d’années…
Apocalypse et Équilibre
“Tu t’es déjà demandé si tes ennemis avaient quelque chose à t’apporter?[…] Réfléchis. Qu’est-ce qu’Amon désirait? L’égalité pour tous.Unalaq? Il a ramené les esprits et Zaheer croyait en la liberté absolue…Le problème de ces hommes, c’est que leur équilibre était totalement bouleversé et cela a poussé leur idéologie trop loin.” (Toph Beifong à Korra,La légende Korra, saison 4, épisode 4)
Désireux d’offrir un système léger et ouvert à la créativité, Magpie a décidé de se tourner vers le “Powered by Apocalypse”, ce système né de l’esprit de Vincent Baker – avec son Apocalypse World – mais qui a fait du chemin depuis (il suffit de lire Monster of the week ou Monsterheart, par exemple, pour en prendre conscience). De ce fait, les livrets de personnages proposés ne sont pas des livrets basés sur les maîtrises mais sur des concepts de personnages qui affirment leur équilibre spirituel autour de deux notions.
- L’Audacieux(se) est un personnage qui se base beaucoup sur sa réputation et doit concilier son assurance personnelle et sa loyauté envers les autres.
- La Fripouille est un délinquant qui doit équilibrer son pragmatisme de la survie sans nuire à ses amitiés
- Le Gardien (la Gardienne) est un protecteur qui a du mal à avoir confiance en les autres en dehors de la personne qu’il a choisi de protéger.
- L’Héritier (l’Héritière) vient d’une lignée déchue qui doit restaurer l’honneur de sa famille sans renier l’utilité du progrès
- L’Icône, un peu différente, doit concilier respect de la tradition et liberté individuelle.
- L’Idéaliste est quelqu’un qui a souffert et doit apprendre à pardonner quand il faut et agir, quand il le faut.
- L’Inflexible est quelqu’un qui veut agir mais doit savoir se retenir parfois pour ne pas que ses résultats en souffrent.
- Le Marteau est un bourrin qui doit apprendre que parfois, la délicatesse sera plus efficace que l’action ou la violence
- Le pilier est un chef d’équipe qui doit, par rapport aux autres, savoir quand faire preuve d’autorité et quand soutenir ses alliés.
- Le Prodige est quelqu’un de très bon qui surfe sur la limite entre l’arrogance et l’assurance, le tout vis-à -vis des autres.
On a donc des livrets qui portent plus sur la psychologie et la spiritualité des personnages que leurs capacités. Par exemple, l’Idéaliste est clairement inspiré d’Aang, le Marteau, de Korra, l’Héritier de Zuko et le Prodige d’Azula.
En parallèle, le jeu propose 4 caractéristiques qui sont liées à 2 manœuvres propres à l’univers:
- Harmonie permet de Réconforter/Conseiller un personnage et de Supplier un personnage.
- Créativité permet de Duper un personnage et Évaluer la situation.
- Enthousiasme permet de Jouer avec le feu et Intimider un personnage.
- Concentration permet de Compter sur ses capacités et son entraînement.
La plupart des manœuvres sont donc physiques et sociales et, cela marche très bien. En effet, si on ajoute les manœuvres spécifiques aux livrets, on a beaucoup de latitude. Combiné au principe d’équilibre, on a donc, comme le dit mon collègue Vieux Geeks, un très bon PTBA qui a compris à la fois le système et son univers.
Pour ce qui est du combat, le jeu offre deux approches : une plutôt stricte avec des techniques nommés, comme des sorts de D&D, ou une approche plus souple (attention aux murder hobos, le jeu n’est clairement pas pour eux) qui permet notamment de jouer avec des états et, c’est là que les cartes de combats aident beaucoup car les états sont puissants, certains étant décisifs lors des affrontements – et c’est normal quand on voit l’illustration utilisée (en fait, il y régulièrement dans les exemples des références aux animés). De même, lors des duels (comme pour le fameux Agni Kai du dernier maître de l’Air), les cartes de combat se montrent très utiles. La fatigue est bien présente et si les PJs peuvent être facilement KO, la mort est plutôt rare (cela dépend, comme pour les jeux de super-héros et de comics de la situation). Les soins et le repos sont puissants. Il faut dire que la technologie et les arts martiaux ne sont pas en reste, notamment grâce au blocage de Qi ou aux gadgets. Cette dernière “maîtrise” est notamment bien expliquée car en fonction de l’époque, elle n’a pas du tout la même forme.
Un jeu généreux pour les meneurs
“J’avais besoin de comprendre la vraie nature de la souffrance pour développer ma compassion envers autrui” (Korra dans La légende de Korra et dans le livre de base d’Avatar Legends)
Avatar Legends est très généreux et didactique pour les meneurs qui n’ont jamais fait de PbtA ou même de jeu de rôle. En effet, pas moins de 4 chapitres sont dédiés à la maîtrise du jeu.
- Le premier, le plus complet et important, explique comment gérer les manœuvres, les PNJs, la maîtrise des éléments et les combats. Forte d’une vingtaine de pages, cette section est riche en exemples, en PNJs (qui se combine avec les annexes de la fin du livre ou encore avec l’écran, très bien fait).
- La seconde partie est consacrée à l’art de faire ses propres saisons, comment développer des menaces, des arcs narratifs, des one-shots, des phases plus personnelles. Dotée d’une dizaine de pages, cette partie est vraiment la bienvenue pour les meneurs d’Avatar débutants.
- La troisième partie contient un scénario, l’explique, le développe avec tout ce qu’il faut : PNJs, endroits etc…
- Enfin 3 annexes complètent cette seconde partie : la liste des techniques, des PNJs que ce soit ceux que l’on utilisera beaucoup et quelques avatars dont Aang et Korra et enfin d’autres annexes utiles comme la liste des manœuvres par exemple.
Une forme impeccable
“La vraie sagesse quand on commence par accepter les choses comme elles le sont” (Tenzin, La légende de Korra)
Un petit mot sur la forme quand même : Avatar Légendes est très très beau : couverture stylisée, papier glacé et épais, illustrations de toute beauté – issues de l’animé ou originales -, forme aérée même si je trouve qu’il manque des sauts de lignes et que c’est parfois écrit petit. Les tableaux et autres sont propres, les cartes de combats sont solides et lisibles. L’écran, dont le côté MJ est impeccable mais, pourtant, je suis un peu déçu au regard de la beauté de l’œuvre.
Ceci dit, Avatar Légendes possède l’une des plus belles versions collector qu’il m’a été donné de voir (et d’avoir) avec ce côté métallisé ou l’on voit entièrement Korra (ce qui a été mon choix) ou Aang. Sans compter que la quatrième de couverture à l’Avatar n’est pas identique à la première. Je trouve que beaucoup de collectors, aux couvertures plus sobres que celles des livres de base, ne sont pas engageantes mais cela reste un avis très personnel. Ainsi, je trouve les versions “Dragon rouge” des jeux de rôle de Studio Agate très belles et je n’aime pas les versions “Grand Ver”. Le pire par exemple, pour moi étant le collector Loup-garou l’Apocalypse V5 en blanc avec le logo de Pentex dessus..On ne sait même pas que l’on joue à Loup-garou..
Un jeu “enfantin” : mon coup de gueule
“C’est très facile de ne rien faire mais, c’est très dur de pardonner!” (Aang dans Le dernier maître de l’air et dans le livre de base d’Avatar Legends)
Bon, je le rappelle avant tout : je ne suis pas “journaliste” professionnel. Cette review est subjective. Mais, si je comprends que l’on aime pas le PbtA ou que l’univers ou les personnages ne parlent pas à certaines personnes (les goûts et les couleurs..), je ne peux que m’indigner face à la l’expression de certaines personnes qui argumentent, comme raison de leur désamour, claqué au sol : “ le jeu est trop enfantin”.
C’est vrai, Avatar était produit par Nickelodeon, une chaîne qui visait un public ENFANT mais, on peut parfaitement apprécier Avatar (et Korra encore plus) d’un point de vue adulte. Et ce n’est pas en basant son jugement sur deux épisodes pris au hasard et sans lire correctement le livre qu’on peut affirmer avec assurance “c’est trop enfantin”…
- Parce qu’une œuvre dans laquelle il y a eu un génocide, y compris sur femmes et enfants (il y a DERNIER dans “Le dernier maître de l’air”), c’est enfantin peut-être?
- Parce qu’une œuvre dans laquelle un tyran monte ses enfants les uns contre les autres, s’en servent comme outils, sans aucun amour en retour, poussant sa cadette a causer des massacres, c’est enfantin peut-être?
- Quand on a des passages horrifiques avec des esprits malfaisants qui pourraient venir de Warhammer,c‘est enfantin peut-être?
- Quand on a une secte qui veut sacrifier une jeune femme et qu’elle manque de mourir par asphyxie, puis qui se retrouve en fauteuil roulant durant un temps avant de vivre une dépression durant des années suite à un empoisonnement au mercure, obligée d’aller voir celui qui lui a infligé ça en prison de haute sécurité pour s’en sortir c’est enfantin peut-être?
- Quand on a une femme avec un bon fond qui a viré dictateur SS prête à tuer son futur mari et à détruire une ville, c’est enfantin peut-être?
- Quand on a une adolescente qui devient totalement folle, désirant tuer sa mère car n’ayant jamais connu son amour, ayant brutalisé son frère et se rendant compte que son père ne l’a jamais aimé fini (de manière implicite) à l’asile, c’est enfantin peut-être?
J’ai l’impression que ce genre de propos est tenu par certains adolescents qui pensent que parce qu’il n’y a pas de sexe ou de scènes graphiquement sanglantes, ce n’est pas assez « adulte”… Pourtant, il y a bien des morts horribles dans Avatar, Le dernier maître de l’Air qui se déroule à la fin d’une guerre de cent ans et dans Korra, les extrémistes vont jusqu’au bout de leur idées…A un point où parfois la mort est la seule manière de les arrêter. Il suffit de voir la mort de P’Li, la tête explosée. Cela n’est pas graphiquement explicite mais la violence est bien présente.
Conclusion
Avatar Légendes est une énorme réussite qui continue son petit chemin, contribuant à faire vivre la saga au-delà des animés et comics (qui font parfois des choix étranges..). Le livre est beau, bien écrit et joliment traduit, fidèle à sa source et doté d’un système pertinent qui facilite le gameplay.
Le prix n’est pas exorbitant. D’autant plus que les accessoires sont pratiques (je trouve l’écran très bien fait du côté interne et les cartes d’états fort utiles) et que le set de dés est pour six joueurs. Il y a a des scénarios, un kit d’initiation franchement pas mal et pas cher et la gamme continue de se développer (un supplément sur la république de Korra doit bientôt être traduit et il y aura encore du contenu).
Si vous aimez l’œuvre originale, le jeu de rôle – ou l’un des deux -, et que le PbTA n’est pas un souci pour vous, il n’y a aucune raison de ne pas tenter l’expérience Avatar Légendes ..Au minimum!