ACTUS JEU DE RÔLECRITIQUEEXCLUSIF

Beast The Primordial: la critique

“Les cauchemars sont bien réels.”
Est-ce que vôtre cœur s’est resserré lorsque je vous ai dit cela?
Parce qu’il devrait…
Ces horreurs dont vous avez cauchemardé toute vôtre vie, ces
bras capables de vous entraîner dans les tréfonds boueux, ces choses
avec de grandes dents et beaucoup trop de jambes à l’affut étant
cachées dans l’ombre, le tueur élancé, fondant sur vous tel un rapace
depuis les cieux. Ils sont bien réels.
Mais ne tremble pas petit frère, tu n’auras plus jamais à te lever de
peur en pleine nuit. Les cauchemars sont bien réels et,
TU ES L’UN D’EUX !
Maintenant, festoyons !”

4ème de couverture du livre de base

Cette présentation succincte, qui nous invite à jouer des créatures cauchemardesques dissimulées dans un enveloppe humaine, un peu comme le font les changelins du Monde des Ténèbres, est, force est de le dire, très accrocheuse. Le fait d’assumer pleinement que l’on joue un monstre et un méchant. Ce sont des éléments conceptuels qui étaient jusqu’alors toujours plus ou moins lissés dans les jeux de rôle exploitant le Monde des Ténèbres, et celui des Chroniques de Ténèbres, univers auquel appartient Beast – ce fameux univers parallèle qui est né avec les Chroniques du Dieu-Machine et Vampire le Requiem.

Pourtant, en lisant TOUS les classements et autres articles ayant comme sujet d’étude les jeux des Chroniques des Ténèbres, on se rends compte que Beast pose problème, ou plutôt, pose PLEIN de problèmes! Certain(e)s disent même que l’auteur devrait être enfermé dans un asile. D’autres pensent qu’il s’est juste mal exprimé. Mais là ou les goûts et les couleurs de chacun apportent certes de la nuance dans l’opinion (certains n’aiment pas trop Geist, the Sin-eaters dont j’ai déjà fait la critique), il y a quand même un consensus sur certains jeux comme Loup-garou les Déchus, placé souvent dans le haut du panier, Vampire le requiem ou Chasseur, les Veilleurs (Hunter : the vigil). D’autres jeux sont jugés positivement avec une subjectivité qui les place plus ou moins haut. Hors Beast se retrouve systématiquement toujours au plus bas, inférieur même aux œuvres des Chroniques de Ténèbres les moins appréciées et, quand bien même les avis viendraient de ceux qui ont bien compris le concept! Je me suis donc interrogé sur les raisons qui font que Beast se voit qualifié d’œuvre malfaisante, à la manière de la série Dexter ou de certains films de David Cronenberg. Dans un premier temps, on va se pencher sur ce qu’est réellement ce jeu, puis on abordera le côté technique (système et création de personnage, les pouvoirs) et, enfin, la philosophie et les les éléments conceptuels de ce jeu afin de comprendre réellement s’il est mal compris, raté ou si l’auteur est vraiment pas net..

La faim vous guette

Vous avez faim, vous avez mal au ventre. Quelque chose gronde en vous. Cette soif de vengeance, de justice, de violence, de cupidité…Car vous n’êtes pas un vampire qui a soif de sang, un loup-garou qui a faim de chair ou un mage avide de savoir. Non, ce que vous recherchez est plus abstrait. Dissimulé dans un corps humain, vous guettez votre proie, peu importe qu’elle soit quelqu’un de parfaitement innocent ou la pire des ordures. Tôt ou tard, il faudra satisfaire votre appétit, sinon les choses vont devenir compliquées car, en plus des humains que vous appréciez et qui risque de payer le prix fort votre nature profonde, vous connaissez les autres créatures de la nuit, Pour vous, tous sont presque de la famille mais ce sentiment n’est parfois pas mutuel. Les familles traditionnelles arrivent parfois à s’entre-déchirer, mais cette famille là est encore plus dangereuse. Malgré vos terrifiants pouvoirs qui vous permettent de cracher du feu, de mettre en pièces vos cibles et ennemis, de terroriser vos victimes  »façon Pennywise », n’importe quelle créature de la nuit représente un danger. La plupart des autres créatures de la nuit sont soit très puissante comme les momies, les démons, les prométhéens, soit elles se regroupent et jonglent entre leur nature et les outils de l’homme. De plus, d’étranges héros surgissent, et comme dotés de la folie de Batman, ils vous traquent inlassablement. Sans compter qu’ils semblent faits pour vous contrer. En cas d’affrontement, vous perdrez…

Les Engeances (Begotten en VO) suivent la même règle que les autres créatures de la nuit des Chroniques des Ténèbres, c’est à dire diversifiées en plusieurs familles : les Anakim sont des géants, les Eshmakis sont les horreurs tapies dans l’ombre (comme les croque-mitaines qui se cachent sous le lit ou dans le placard), les Makaras sont les monstres des profondeurs qui inspirés de Lovecraft, les Namtarus sont des ecœurantes incarnations de la révulsion, les Ugallus sont les créatures aériennes qui fragilisent leurs proies à la manière des dragons, vouivres, phénix et autres choses volantes. Combinez à cela votre type de faim parmi: Pouvoir, Avidité, Mort, Sanction et Destruction et vous avez déjà une bonne base de choix pour construire vôtre personnage.

Traquer sa proie

On va aborder le côté le plus technique : la création de personnage suivi du système. Dans un premier temps, il vous faudra définir le concept de votre avatar. Quel type de monstre allez-vous jouer? Quelle est votre faim, quelle est votre méthode de chasse? On passe ensuite aux Attributs, ceux-ci sont classés entre attributs physiques, sociaux et mentaux. Vous démarrez avec un point gratuit dans chacun des attributs puis, vous placez 5 points dans un groupe d’attribut, 4 dans un autre et enfin 3 dans le dernier. Pour les compétences, la méthode est identique : vous placez 11 points dans un groupe de compétence, 7 dans un autre et enfin 4 dans le dernier. Vous bénéficiez également de 3 spécialités gratuites. Attention car les compétences ne débutent pas à 1, Ce chiffre représente que l’on a des bases dans ladite compétence, Ne pas avoir de point dans une compétence provoque un malus de dé à lancer.

Bien que le jeu propose de s’occuper des Traits monstrueux en suivant des historiques, je recommande de s’en occuper avant. Vous avez 10 points d’historiques (merits en VO), Cela amène, par exemple, à avoir des spécialités plus fortes, des alliés, des contacts, un refuge, des ressources etc. Pour les Traits d’Engeance, vous avez plusieurs choses à choisir : votre famille et votre faim dont j’ai parlé dans la première partie, votre légende et votre vie, qui sont des traits de personnalité pouvant vous aider à régénérer votre volonté (une ressource importante), votre Antre qui démarrera avec une valeur de 1 point (vous pouvez l’améliorer avec des points d’historiques), vos atavismes qui sont des pouvoirs très physiques (ex: mettre en pièce, souffle de dragon) et les cauchemars qui sont plus narratifs et abstraits (ex: “tu es seul”, “tu ne t’échapperas pas”). Vous calculez enfin vos dérivés : santé, volonté, défense, initiative, etc. et surtout votre Satiété qui illustre le niveau de votre faim. A savoir que nombre de vos pouvoirs dépendent de votre score d’Antre et leur usage vous affame.

Pour ce qui est du système, on garde le même que Vampire le requiem. Lors d’un test, vous rassemblez un nombre de dés à 10 faces égal à votre score d’attribut plus votre score de compétence, avec des modificateurs. Certains tests feront intervenir votre score d’Antre. Chaque lancer donnant 8 ou plus est une réussite, Chaque 10 comptent comme une réussite et se relance. De manière générale, une seule réussite suffit à exécuter son action et 5 réussites de plus que la difficulté ou l’opposition est une réussite critique. Petite astuce, empruntée à un autre jeu ayant le même système, pour rendre le jeu encore plus narratif : au moment du lancer de dés, chaque groupe de 3D10 peut vous donner une réussite automatique. En combat, l’initiative est modifiée par votre type d’armes. Les plus petites favorisent la vitesse et les plus lourdes les dégâts. La défense soustrait des dés à l’attaquant et peut vous rendre parfois intouchable. Enfin les dégâts sont divisés entre superficiels, mortels et graves.

Jeu mal compris ou auteur dangereux?

On va maintenant aborder le côté polémique du jeu et, je tiens à dire que ce qui va suivre n’engage que moi. On pourrait être amené à croire que l’auteur pousse à incarner des monstres qui sont des sociopathes en puissance avec des tendances comportementales vraiment… questionnables. Par exemple, que penser d’une engeance dont le but est de punir les femmes en les abusant sexuellement?! Ou de jouer un Kraken qui noie des enfants pour punir leurs parents parce que ces derniers polluent les océans? Alors oui, je sais, ces exemples sont extrêmes. Mais comme de nombreux jeux d’horreur où l’on joue des personnages monstrueux (à tout hasard : Kult, Kabbale ou même plus simplement Vampire et Loup-garou!), si un joueur ou une joueuse choisit ce type de personnage, est-ce la faute du jeu? Parce qu’ayant relu le livre pour rédiger cet article, il est certain que RIEN ne pousse à jouer de tels personnages. De plus, dans tous les jeux de rôle du Monde des ténèbres, et même dans Hunter (dans un certain sens), on joue des MONSTRES. Reprocher à Beast que l’on y joue un monstre avec une  »orange morality” tient bien plus, à mon sens, de l’hypocrisie quand on sait que Vampire n’est pas exposé à cette polémique. Pourtant, il est connu que la cruauté de certains clans envers les Humains, comme les Ventrues accrocs à la Domination ou les Toréadors, ne sont pas en reste en ce qui concerne la moralité douteuse. Idem pour les loups-garous qui, avant la 5ème édition du Monde des Ténèbres, comptaient dans leurs rangs des nazis et des individus antihumanistes. Même les fées ont une  »orange morality » et pourtant, on ne dit rien sur Changelin : le songe. En fait, absolument rien n’empêche de créer une engeance avec un côté justicier à la Punisher…Et puis, il me semble que le succès de la série Dexter repose beaucoup sur la moralité du personnage principal…
Tout ça pour dire que je ne pense pas que le jeu soit le problème et que s’il y a des soucis, ce sont les gens qui les causent. J’ai entendu dire que, peut-être, Beast serait, dans l’avenir, traduit par Studio Agate et sans doute par le biais de Batronoban, un expert des Chroniques des Ténèbres. Cela serait une super chose.

Conclusion

Je pense que Beast The Primordials est un jeu mal compris, pas si mal écrit que ça et qui, en aucun cas, n’encourage les gens à jouer des personnages détestables. Au contraire, la présence des Héros qui sont les reflets inversés des personnages joueurs amène des conséquences vraiment terribles. Je pense que c’est le jeu qui fait le plus sens dans les Chroniques des ténèbres car c’est le jeu qui assume les aspects cross-over et sombres de cet univers. Est-ce que c’est un bon jeu? Oui. Je pense que oui. Que ce soit en termes d’histoires, de personnages ou d’univers. Mais, il est certain qu’il n’est pas destiné à tout les publics, moins encore que Vampire ou Loup-garou. Je pense que Beast doit être maîtrisé par un meneur qui a bien compris le jeu et ses risques (tout comme Kult ou Kabbale) et qui saura s’en servir pour raconter de fortes histoires. C’est donc un bon diamant brut coupant qui n’est pas à mettre entre toutes les mains et où il faudra choisir soigneusement ses joueurs.

BEAST THE PRIMORDIAL
Un jeu de rôle de Matthew McFarland avec Rose Bailey, David Brookshaw, Jim Fisher, Emily Griggs, Andrew Heston, David A. Hill Jr, Dana Hughes, Renee Ritchie, Travis Stout, Peter Woodworth, Sam Young.
Avec des illustrations de Carlos Samuel Araya, John Bridges, Mike Chaney, Michael Gaydos, Becky Jollensten, Mark Kelly, Brian J. LeBlanc, Mauro Mussi, Borja Puig Linares, Bryan Syme, Drew Tucker.
Paru aux éditions Onyx Path Publishing (mars 2016)

Disponible uniquement en anglais

Julien Limosino

Journaliste bénévole au service du jeu de rôle

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