CRITIQUEJEU DE RÔLE

Les Chants de Loss: la critique

Basé sur les romans de l’autrice Axelle Bouet, Les Chants de Loss nous invite à vivre des aventures sur une planète lointaine, très éloignée de la Terre, dans une autre galaxie. Une courte introduction qui pourrait laisser penser découvrir en Loss un étrange univers de science-fiction de style planet opera, façon Dune ou Hypérion. En fait, il n’en est rien. C’est même tout le contraire. Comme vous allez pouvoir le découvrir à la lecture de cette chronique (je déteste le qualificatif de critique), ce jeu de rôle estampillé « Da Vinci-punk » garde, si j’ose dire; les pieds sur terre. En fait, Les Chants de Loss développe un univers qui est un reflet déformé du monde réel, avec un effet loupe sur certains concepts. Le but de cet exercice est de pointer du doigt telle ou telle particularité de notre civilisation, de mettre en avant des questionnements. Le tout enrobé dans un emballage exotique, ludique et dépaysant. Ici, Les chants de Loss se pose en partie comme le support fantasmé d’une critique sociétale et éthique.

Mais avant toute chose, Les Chants de Loss est un jeu de rôle. Et c’est ce qui m’intéresse avant tout. Dans le fond. Le reste…

UNE COSMÉTIQUE SÉDUISANTE

Les Chants de Loss est présenté sous la forme d’un ensemble de trois beaux livres (cela représente donc un petit investissement) à couvertures souples réunis dans un coffret. Très beaux. Vraiment. Des couvertures magnifiques, de jolies illustrations (le talent d’illustratrice d’Axelle Bouet n’est plus à démontrer), une belle mise en page, une police agréable et collant parfaitement au thème. C’est joliment écrit. Le texte est agrémenté par des extraits de nouvelles visant à nous plonger dans l’ambiance. Au final, même si je trouve que le contenu est parfois un peu… euh… indigeste (dans le premier livre), la lecture de ce triptyque a été pour ma personne un moment des plus agréables. Les Chants de Loss, j’insiste sur ce fait, est un très bel objet. Et c’est déjà un élément de satisfaction. Mais une fois ce constat cosmétique des plus flatteurs délivré, qu’en est-il du jeu en lui-même, de sa substantifique moelle? Les Chants de Loss, un énième jeu de rôle sur les étals des revendeurs spécialisés ? Ou bien plus que cela ? Hâte de le découvrir? Ami lecteur, je vous devine pendu à ma plume. Enfin, plutôt à mon clavier. Il est donc temps de passer, s’il vous le voulez bien, à l’étude de la matière. Et un livre après l’autre. Sachez cependant que je ne détiens pas la vérité. Ce qui suit est donc totalement subjectif.

LE MONDE DE LOSS

Le Monde de Loss présente… ben, le monde de Loss. Une planète éclairée par deux soleils et accueillant une civilisation affichant un niveau technologique proche de notre Renaissance. En un peu moins de 200 pages, les auteurs nous décrivent longuement l’histoire de Loss, sa géographie, sa géopolitique, sa cosmogonie, ses peuples et ses particularismes scientifiques, avec notamment la présence d’un métal étrange, aux propriétés extraordinaire, qui permet aux navires de voler: le loss-métal! Le loss-métal, c’est en quelque sorte la clé de voute de l’œuvre, puisqu’il justifie la présence des Chanteurs de Loss, qui sont en fait des magiciens inavoués par les conceptrices et qui se posent comme le noyau autour duquel gravite les autres éléments de l’univers de Loss. A leurs statuts de victimes (ils, ou plutôt elles, sont persécutées de part leur différence) et de symboles (tout n’est pas blanc ou noir, il existe une autre voie), les Chanteurs de Loss correspondent à un archétype qui va assurément attirer bon nombre de joueurs.

La description du monde de Loss abonde de détails d’une grande précision, le plus souvent intéressants, mais, force est de le dire, parfois superflus. Je ne suis pas physicien, et encore moins astrophysicien, j’ignore donc totalement si les exposés scientifiques qui occupent une place de choix dans le descriptif de la planète sont crédibles. Je fais donc confiance aux auteures. Mais, dans le fond, je m’en tamponne un peu d’apprendre que la température moyenne sur Loss est de 2 degrés supérieure à celle de la Terre et pas besoin de m’expliquer à base de démonstrations scientifiques pourquoi sur Loss les dinosaures et les mammaliens côtoient les navires volants. De toute façon, ils peuvent me raconter n’importe quoi (pas trop quand même), je l’accepterais puisqu’on évolue dans un univers imaginaire et fantastique. J’accepte bien d’entendre le son des chasseurs Tie lors des dogfights spatiaux de Star Wars tout en sachant que c’est débile. Je comprends toutefois la démarche des autrices : celle de proposer aux meneurs et aux joueurs un univers cohérent et « sérieux », une base solide, un terreau suffisamment riche pour que la pour la construction d’aventures soit la plus fluide possible. C’est juste un peu too much et cela peut apparaitre aux yeux de certains lecteurs comme du verbiage prétentieux et pompeux. Personnellement, même si je l’ai relevé, cela ne m’a pas gêné outre mesure, car à côté de cela, le monde de Loss est riche de nombreux atouts qui le rendent digne d’intérêt. Au-delà d’un monde ultra-détaillé et du loss-métal, il y a par exemple les symbiotes. Les symbiotes sont des petites créatures endémiques qui modifient le métabolisme de leurs hôtes, végétaux ou animaux. De l’état sauvage, ils sont désormais cultivés et sélectionnés par les Lossyans. Et le fruit d’un marché juteux.

Pour ce qui est des Lossyans, on a affaire ici à un ensemble de groupes ethniques aux sonorités culturelles terriennes. D’ailleurs, un peu comme dans les romans de Burroughs avec un John Carter projeté étrangement sur la planète Barsoom, des terriens apparaissent sans raison sur Loss. A noter que ces pauvres naufragés sont rapidement réduits en esclavage, voire tuées. Sur Loss, on trouve donc des asiatiques (les Hemlaris), des méditerranéens (les Athémaïs) ou des vikings (les Hégémoniens). En tout, une quinzaine de peuples dont les us et coutumes évoquent plus les âges sombres, voire le moyen âge, que la renaissance. La renaissance, on la trouve principalement dans certains objets technologiques, les savants (les génies) et leurs merveilles. Au menu de Loss figure donc le patriarcat misogyne, l’esclavage, le sexisme gras et l’obscurantisme religieux.  Un triste inventaire qui évoquerait presque l’anti-Terre de John Norman. Et le tout est orchestré par le dogme de l’Église du Concile Divin. Une église puissante dont les inquisiteurs traquent ceux qu’ils considèrent comme des parias, c’est-à-dire les Chanteurs de Loss, les chamans et… les roux. Oui, les roux, synonyme de malfaisance. Comme sur la Terre de l’Inquisition et des Puritains. Dis comme cela, mon propos peut faire sourire. Mais cela serait injuste car même si je m’attendais à un peu plus d’originalité, le boulot effectué pour apporter aux joueurs un environnement riche en opportunités d’aventures est colossal. Que vous souhaitiez construire des scénarios urbains et dans contrées sauvages, tout y est, rien n’est laissé au hasard, et encore moins délaissé. Et, cerise sur le gâteau, l’ensemble s’avère être solide et cohérent. Les Chants de Loss, ce n’est pas du travail bâclé. Oh que non!

LES LOIS DE LOSS

Les Lois de Loss est le livre qui rassemblent les règles du jeu. On y trouve le système de création de personnages et la mécanique de simulation.

Le principe de création des personnages joueurs est assez classique, avec un système par étapes. Le joueurs va déterminer pour son avatar, dans cet ordre : une motivation, un peuple, ses trois vertus, ses traits, un archétype, un historique (qui comprend l’enfance et la formation), ses talents, des avantages et des défauts (une longue liste qui affine le personnage, le modifie sensiblement et aide le joueur à son interprétation), des points bonus. Pour enfin, finaliser son personnage.

Si la Motivation n’est utile qu’au roleplay, les autres étapes se traduisent par des valeurs et des ajustements chiffrés. Un personnage est défini par trois Vertus, la Sagesse (l’esprit), l’Honneur (le social) et le Courage (le physique). A chacune de ces Vertus sont associés des Traits : l’Esprit et l’Instinct pour la Sagesse ; le Pouvoir et l’Empathie pour l’Honneur ; l’Agilité et la Puissance pour le Courage. Enfin, à ces Traits sont associées des listes de Talents. Par exemple, Commandement est associé à Pouvoir et Escalade à Agilité. Au début de la création, chaque Vertu a une valeur de base égale à 3. Le joueur peut alors répartir 6 points dans les Vertus (avec une valeur maxi de 10). Le choix d’un Peuple amène des ajustements sur ces valeurs de Vertus : l’Hégémonien a plus d’Honneur mais moins de Sagesse que les Forestiers. Il y a également une autre Vertu, la Foi, qui est réservée à une « élite » et qui peut être comparée à une capacité à manipuler la magie. Les Vertus et les Traits servent également à déterminer l’Initiative, le modificateur aux dégâts, le Niveau de Santé, de détresse (la santé mentale) et les Inspirations (des bonus aux jets de dés).

Le joueur va devoir choisir également un Archétype, certains sont liés à des avantages et/ou des défauts. Le joueur a le choix entre Artisan, Capitaine, Chaman, Chanteur de Loss, Chasseur d’Artefacts (ça, j’adore), Combattant, Dresseur, Enquêteur, Érudit, Génie, Navigateur, Négociant, Ombre, Physicien et Voyageur. Chaque Archétype amène des valeurs de Talent de base, dits Talents de prédilection. Tout comme l’enfance et la formation, qui contribue à les améliorer. La construction continue en choisissant des listes de Talents liés à une Vertu auxquelles il va ajouter des bonus lors des jets de dés. Puis, il va répartir 20 points parmi les Talents de son choix, en sachant qu’un Talent ne peut dépasser la valeur de 7 à la création du personnage. Il finit ensuite avec un budget de 20 points de création, qui lui servent à acheter des points de Trait, de Talent ou de Spécialisation. Toutes ces étapes amènent la création d’un futur héros qui se situe bien au-delà du vulgaire archétype.

Un personnage peut acquérir également certains pouvoirs. Pour le Chaman, c’est l’Ambiose, une sorte de magie à la fois spirituelle et naturelle (non, non, ce n’est pas de la wicca!). Mais il y aussi le Chant de Loss, qui modifie l’environnement, manipule les éléments. Ces deux types de « magie » sont définis en détails, avec ses nombreuses applications.  Si le Chamanisme n’étonne pas par son fonctionnement (qui m’a fait penser au Culte des Anciens dans RuneQuest), le Chant de Loss est particulièrement original, avec des talents qui sont divisés en trois domaines (la Gravité, l’Énergie et la Vie), et en échelons de maitrise, avec l’appui d’un focus (le loss-métal). C’est un système générique qui, tout en adjoignant des guides, laisse une grande capacité de création aux joueurs et aux meneurs de jeu. Le Chant peut soigner, peut blesser, peut être catastrophique ou bénéfique, il a également des effets sur l’entourage, pas toujours souhaités. Pas mal du tout !

La mécanique des Chants de Loss est simple. Un test suit toujours le même principe, que cela soit pour une action simple, une action de combat ou un Chant. Généralement, le joueur ajoute la valeur de Trait à celle du Talent concerné avec le score obtenu sur un d10. Le total est comparé à un seuil de difficulté, la difficulté moyenne étant de 15. Le jet de d10 est dit « explosif ». C’est-à-dire que si le joueur obtient 10 lors du jet, il relance le d10 et ajoute le résultat au précédent (mais il s’arrête là, l’on est pas dans le jet sans limite de Rolemaster!). Si le résultat est supérieur ou égal au seuil de difficulté, le test est réussi. Sinon, il est raté. Mais un joueur peut également tenter un ou plusieurs Exploits pour obtenir un résultat exceptionnel. Chaque Exploit augment le Seuil de difficulté fixé par le meneur de jeu de +5. A cas de réussite, chaque Exploit augmente le niveau de réussite mais en cas d’échec, le camp adverse récolte un Fursa. Kézako? Les Fursas sont des jetons de bonus de +5 au test. Au début de la séance, le meneur de jeu et chaque joueur possède un Fursa mais les joueurs vont pouvoir construire une réserve commune de Fursas (maximum 5) au fil de la partie, tout comme le meneur de jeu. A noter que le meneur de jeu peut transformer ses Fursas en Désastres (rien que la dénomination, vous avez compris que cela n’est pas bénéfique pour les personnages).

En combat, le seuil de difficulté de l’attaquant est de 15 + les éventuels modificateurs. Il également déclarer un ou plusieurs Exploits. Le seuil de difficulté du défenseur est celui défini par l’attaquant. Il peut également déclarer un ou plusieurs Exploits. L’avantage va au défenseur, c’est-à-dire que si les deux protagonistes réussissent, c’est le défenseur qui remporte l’échange. De plus, si le défenseur obtient un score de 20 ou plus, on dit qu’il réussit partiellement et, suivant le score obtenu, il annule un ou plusieurs Exploits de l’attaquant. Les dégâts infligés sont égaux à la somme de 1d10 + dégâts de base de l’arme, à laquelle on soustrait la protection de l’armure. Le résultat final détermine les Niveaux de Santé perdus. Pour ce qui est du déroulement du round de combat, chaque protagoniste lance 1d10 et y ajoute sa valeur d’Initiative pour obtenir un nombre de points d’action. Chaque participant agit alors en dépensant des points d’action, en débutant par celui qui a le plus haut capital. Par exemple, attaquer à mains nues consomme 2 points d’action. En fait, l’on se retrouve devant le système de rangs d’action du Basic Role Playing, mais lu dans le sens inverse.

Au final, comme vous pouvez le lire, rien de révolutionnaire. Mais faut-il toujours qu’il en soit autrement ? C’est précis, simple et efficace. Ni trop simulationniste, ni trop épuré. Une mécanique qui me convient tout à fait. Enfin, ce livre inclut une longue liste d’équipements, d’armes, d’armures et autres objets destinés aux personnages et à leurs adversaires, et le système de progression des PJs, partagé entre les points d’expériences classiques et un principe de légendes qui s’obtiennent via les actions héroïques et comme récompenses à la fin de chaque aventure.

LES SECRETS DE LOSS

Sur Les Secrets de Loss, un livre de 112 pages, je ne vais pas m’étendre. L’ouvrage dévoile en effet les dessous de l’univers ainsi que le meta-plot. C’est un troisième livre exclusivement destiné aux meneurs de jeu. Ces derniers complèteront au cours de leur lecture leurs connaissances sur les origines de Loss, les anciennes civilisations et les différentes sociétés secrètes. Il y a également une partie consacrée aux trésors, reliques, et autres objets mystérieux disséminés sur la planète. Une dizaine de pages est composée de conseils de jeu, avec l’exposition de l’approche des auteures vis-à-vis des tenants et des aboutissements. Le livre se clôt par la très utile description d’un décor urbain et trois scénarios (rien que ça !) d’introduction. Bref, que du bon !

L’AVIS DE GUERRE & PLOMB

Esthétiquement, le triptyque Les Chants de Loss est un très bel objet. La direction artistique est parfaitement maitrisée, l’œuvre est un vrai plaisir pour les yeux. Les illustrations sont superbes et nombreuses. Pour ce qui est de l’univers, il saute aux yeux que les auteures ont mis tout leur cœur dans sa construction. Un vrai taf de passionnées. Le monde de Loss, c’est un terrain de jeu vaste, très riche, fortement décrit, apte à satisfaire tous les gouts et les couleurs – à la condition d’aimer les environnements hybrides qui marient fantasy, uchronie et science-fiction.

Pour donner vie à cet univers, les auteurs ont opté pour une appropriation et une personnalisation assez futée d’un ensemble de mécaniques éprouvées (cela emprunte autant à D&D, qu’à GURPS, à Savage World ou au Basic Role Playing) qui amène, grâce au système des Exploits, un aspect héroïque bienvenu. Doté d’un tel moteur, le jeu tourne bien, et l’immersion en est facilitée.

Pour conclure, je dirais que Loss est un univers tellement riche et décrit avec tant de précision qu’il m’a été très facile de passer outre certaines expositions théoriques aussi indigestes qu’inutiles à mes yeux. Cela apparait comme des petits détails aux conséquences finalement minimes. Quant à la fameuse étiquette de militantisme féminisme et LGBT que se trimballent l’œuvre et ses autrices, cela n’a absolument pas gêné le total indifférent à cette cause que je suis, tant cet aspect est introduit naturellement dans l’ensemble (pas de point médian, youpi). Tant et si bien que j’ai trouvé les avertissements d’introduction superflus. Mais cela n’engage que moi, bien entendu.

Un bon jeu, doté d’un univers fouillé comme je les aime. Loss se positionne dans une gamme de jeux de rôle planet opera à fort potentiel, qui va de Glorantha à Talislanta, en passant par Shaan et autres Tschaï.

J’AIME BEAUCOUP

LA FICHE TECHNIQUE

LES CHANTS DE LOSS

Les autrices: Axelle Bouet, Alysia Loretan, Émilie Latieule
Les collaborateurs: Julien Salamin, Yann Décombaz et Stéphanie Roth
Rédaction et plume littéraire: Axelle Bouet
Révisions et pinaillage techniques: Julien Salamin assisté d’Alysia Lorétan
Direction artistique: Axelle Bouet
Graphisme, design et logo: Axelle Bouet, Inès de Carvalho, Pierre le Pivain
Illustrations: Axelle Bouet, Pierre le Pivain, Julien Fenoglio, Christine Deschamps, Sabrina Tobal, Émile Denis, Lunart, Jade River, Agathe Pitié, Radek FV, Inès de Carvalho.
Rédaction des scénarios: Vincent Lelavechef, Yann Décombaz, Nicolas Bernard
Matériel: Un coffret, un livre de 192 pages couleurs à couverture souple, un livre de 212 pages couleurs à couverture souple, un livre de 112 pages couleurs à couverture souple, un fiche de personnage en couleurs.
Édition: Open Sesame Games
Prix moyen constaté: 59,90€



Nicolas Lamberti

Nicolas Lamberti, journaliste et traducteur freelance, critique littéraire et réalisateur de télévision

Nicolas Lamberti

Nicolas Lamberti, journaliste et traducteur freelance, critique littéraire et réalisateur de télévision

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *