J’ai profité de la prochaine sortie de MOON, une extension pour le jeu de plateau GANYMEDE, pour interroger Emmanuel BELTRANDO, créateur et responsable de la jeune maison d’édition SORRY WE ARE FRENCH.

Salut Manu ! On se connait depuis un petit bout de temps maintenant mais pour les internautes qui te découvriraient, peux-tu leur dresser un petit portrait professionnel? Ton arrivée dans l’univers des jeux, puis ton parcours au sein au sein de la profession ?

Oui je crois qu’on se connait depuis 2009, juste avant GOSU, on s’était peut-être croisé avant mais c’est en 2009 qu’on a pas mal papoter jeux et NFL 😊. J’ai commencé le jeu avec D&D et j’ai enchainé avec à peu près toutes les productions rolistes des années 80, puis le jeu de société « moderne » et les TCG. Je travaille dans le milieu du jeu depuis 1994, j’ai travaillé pour SEGA, Wizards of the Coast, Asmodée, J’ai organisé la GenCon France et j’ai monté des structures telles qu’Ostelen, Parkage, Moonster Games, Moonster Games ASIA et aujourd’hui Sorry We Are French. Et j’oublie des milliards de petites choses 😊 😉 .

En plein travail à Séoul avec Gary KIM (Koryo)

L’un des principaux faits marquants de ta carrière fut peut-être ton départ d’Asmodée, cette grosse société, pour te lancer dans la création de Moonster Games ? De nos jours, on voit d’ailleurs plus souvent se produire le phénomène inverse. Qu’est-ce qui a motivé ton choix, et comment as-tu appréhendé cette nouvelle aventure ?

C’était un moment important, le jeu de société « moderne » était en train d’exploser, c’était fascinant, nous avons fait plein de choses folles avec GOSU, c’était l’eldorado ludique. Je n’ai pas vraiment quitté Asmodée par choix, mais pour faire simple, on va dire que le courant ne passait pas du tout entre le nouveau DG et moi…

Je sais que tu partages ton planning entre l’Europe, la Corée du Sud et le Japon, et cela dès la naissance de Moonster Games. Qu’est-ce qui a motivé ce choix ? Les créateurs coréens ou japonais sont plus inventifs que les européens ?

Mon passeport m’indique plus de 60 voyages en Corée du Sud et au Japon entre 2014 et 2017, c’était une période folle, c’est plus calme aujourd’hui, mais j’avais besoin de trouver des jeux différents que ceux disponibles sur le marché français pour pouvoir me démarquer en tant qu’éditeur, et puis, de fil en aiguille, j’ai monté une boite à Seoul, ce qui prend forcement beaucoup de temps. Les auteurs Japonais et Coréens étaient plus « neufs » et moins « influencés » à l’époque, c’était « fresh ». Des fois même un peu trop 😊 😉

Test de jeu à Tokyo avec Seiji KANAI (Love Letter, Braverats)

Puis vient la création de Sorry We Are French. Deux questions : pourquoi le choix de ce nom ? Et quels sont les raisons qui t’ont poussé à créer une société, au lieu de t’en tenir à Moonster Games ? La création de Ganymède, ce jeu de Hope S. Hwang, y est pour quelque chose ?

Le nom est une idée d’Adrien Martinot (Days of Wonder) autour d’un barbecue dans la cour de Cocktail Games. J’ai adoré l’idée. Lorsque j’ai voulu monter cette boîte, je lui ai demandé s’il été OK que je reprenne son idée. J’aime l’idée d’avoir un nom de société qui donne le « smile » direct. Ganymede est arrivé après la création de SWAF. Les 2 premiers projets de SWAF étaient Immortal 8 et COLORAGE (revendu à Asmodée depuis).

La vie d’éditeur, c’est quoi ? Beaucoup de joueurs éloignés du milieu cultivent une image d’Epinal, avec des journées passées à s’amuser à jeter des dés et pousser ses meeples.

Cela dépend des éditeurs et de la façon dont on veut travailler, je me considère plus comme un studio de développement que comme un éditeur classique. On aime tester nos jeux pendant des mois, les travailler dans les moindres détails, les bichonner, ce sont nos vrais bébés 😊 😊 Notre équipe est constitué d’un illustrateur (David Sitbon), deux game designer (Matthieu Verdier et moi) et d’un dominator.

Quel est ton type de jeu favori ? Et quand tu édites un jeu, parviens-tu à prendre de la distance vis-à-vis de tes goûts ? En d’autres mots, pourrais-tu éditer des jeux que tu n’aimes pas, si tu y vois un potentiel ?

Non, j’aime tous les jeux que j’édite, c’est vital pour moi. Du coup Greenville, Immortal 8 et Ganymede font partie de mon top 10 actuel 😊 😉 Avec Gloomhaven, Root et Wingspan par exemple.

D’ailleurs, en parlant de potentiel, quel est, à ce jour, ton plus gros succès commercial en tant qu’éditeur ? A ton avis, quel est le secret de sa réussite ?

Hmmm… GOSU, KORYO et Minivilles pour l’époque Moonster Games. Pour SWAF (Sorry We Are French), Ganymede et Greenville 1989 sont déjà de très beaux succès. Le secret de la réussite, bosser ENORMEMENT les jeux pour être sûr de la mécanique et de l’expérience jeu, ne pas se tromper de cible, avoir une DA de fou, une UI optimisé et encore une fois ne pas se tromper de cible pour son jeu.

Quand je te parle de l’état de santé du jeu spécialisé en France, tu penses ‘’peut mieux faire’’, ‘’ouais, c’est cool !’’ ou ‘’on est au top !’’ ?

C’est un marché complétement fou mais c’est aussi une course de poulets sans tête élevés aux hormones. Le marché est incroyable, c’est un rêve mais aussi un cauchemar car le succès et l’argent comme dans tous les milieux créent de nouvelles maisons d’éditions qui ne sont là que pour faire du fric, qu’importent les moyens… Pour beaucoup d’éditeur la « comm » est devenue plus importante que le produit, les gens sont « hype » d’acheter ou de « pledger » un jeu de merde, c’est vraiment compliqué. Il y a trop de jeux qui sortent chaque semaine, les magasins ne peuvent pas suivre. Les joueurs et les magasins doivent impérativement mieux se renseigner avant d’acheter un jeu sinon cela va s’empirer. Le consommateur doit être beaucoup plus prudent face aux chants des sirènes des éditeurs. Certain magasins, comme « Au Beau Jeu » à Lille ont dorénavant une attitude différente face aux sorties incessantes de nouveaux produits, ils testent presque tout et ne commandent que ce qu’ils trouvent de bien, voir même et surtout de très bien, c’est une bonne façon de faire pour réguler le marché de la surproduction et leurs clients sont contents de ne pas acheter une « bouse ».

Si je te demande de citer trois personnes que tu admires particulièrement dans le milieu ?

CROC en 1. Loin devant tout le monde. Puis Marc Nunes. Et enfin, Peter Adkison.

Quand tu regardes en arrière, des regrets ? Des occasions manquées ? Ou, au contraire, si tu en avais la possibilité, tu ne changerais rien.

Le regret d’avoir travaillé avec une certaine personne qui aujourd’hui est partie en vrille, le succès lui est monté à la tête et a décuplé son « mythomètre ». Il se reconnaitra. Sinon, aucun autre regret, toute erreur est aussi une expérience, sans échec il ne peut y avoir de réelles réussites.

La vie d’éditeur est faite de joie et de déception. Quel est le jeu, ou les jeux, dont tu es le plus fier ?

GOSU, un super jeu, une boîte toute blanche, sans même le nom du jeu sur la couv. Une hérésie pour certain à l’époque qui prédisaient la catastrophe annoncé du jeu…

GREENVILLE 1989, car discrètement on apporte un peu de jeu de rôles chez les joueurs.

Et celui, ou ceux, qui te rendent un peu amer ?

Aucun, même si Hatari n’a pas du tout rencontré son public 😊

Pour un éditeur comme Sorry We Are French, il n’est pas trop difficile d’imposer sa griffe, de se faire une place, quand on se retrouve confronté à des boites comme Asmodée ou Iello, par exemple ?

Si, bien sûr, si Ganymede était sortie chez Asmodée il s’en serait certainement vendu 10 fois plus (et ne parlons pas de Greenville 1989). C’est le jeu ma pauvre Lucette 😊 😉 Après les joueurs apprennent à connaitre notre vraie ADN, ils savent de plus en plus que nous sommes un vrai éditeur qui travaille ses jeux pendant des mois, 8h par jour, non-stop.  C’est notre marque de fabrique.

Immortal 8 est un excellent jeu, pourtant la campagne de financement participatif fut un échec. Comment l’expliques-tu ? Depuis, le jeu est sortie en boutique, et c’est tant mieux pour les joueurs et toi. Alors, un peu échaudé par la plateforme ou prêt à remettre le couvert ?

Oui, c’est un excellent jeu (en tant qu’auteur hein), mais nous n’étions absolument pas connus à ce moment et nous avons mal communiqué sur le marché US, donc gamelle assumée et normale. Nous ne sommes pas très fan des plateformes participatives mais nous risquons de ne pas avoir le choix dans les mois à venir sur certains titres. Comme tu le dis plus haut, nous ne sommes pas Asmodée ou Iello, et nous avons de TRES gros problèmes de cashflow.

Venons-en  à l’actualité. Commençons par Greenville 1989. Là, SWAF change complètement de genre avec ce jeu narratif, pur coop’, (aux visuels magnifiques) de Florian Fay. J’ai pensé de suite à Stranger Things. C’est ton gout pour le jeu de rôle qui t’a amené à penser qu’il pouvait entrer dans votre catalogue ? N’y avait-il pas un risque de désorienter votre clientèle habituelle ?

Oui, ce jeu réunit mon gout fort pour le jeu de rôles et la POP culture des années 80. De plus, je suis un vrai fan de Stranger Things, donc tout cela s’emboite à la perfection. Notons quand même que le jeu a été signé avant la diffusion de Stranger Things sur Netflix ^^.Pour ce qui est de désorienter notre clientèle, si c’est le cas, c’est cool, il faut essayer plein de styles de jeux, ne pas rester enfermé en monocycle ludique, peut-être qu’un jour nous ferons un jeu de rôle, qui sait…

Ganymède se voit bientôt enrichi par Moon. Qu’est-ce que tu peux nous dire sur cette extension ? Des changements fondamentaux ?

MOON introduit deux nouveaux plateaux pour chaque joueur, dont la Lune, mais aussi des conseillers que les joueurs vont pouvoir « recruter », chaque conseiller change les règles du jeu uniquement pour le joueur qui l’a recruté ou lui confère un pouvoir unique très fort. Cela introduit une grosse part tactique dans un pur jeu stratégique, c’est très agréable. C’est une vraie extension de fou, on y a mis tout notre cœur et environ 500 heures de boulot 😊 😉

Que peux-tu nous dire sur les prochains projets de Sorry We Are French ?

MOON, l’extension de Ganymede en juin/juillet, pour les 50 ans du premier pas sur la lune 😊

NINE, fin 2019, le nouveau KORYO revisité par l’équipe de SWAF, une version « boostée » au PCP dans l’univers d’Immortal 8, un must absolu.

XXXXXX pour février/mars 2020, ah oui c’est top secret oups 😊

XXXXXX pour juin 2020, ah oui ça aussi c’est secret 😊 😉

GOSU 2020, « 10-years anniversary » pour ESSEN 2020. Une nouvelle version folle de GOSU pour 2 joueurs ou chaque joueur a un deck différent à chaque partie !!!

Des sorties prévues en janvier 2021 et juin 2021.

Etc…

Le foot US, l’autre passion d’Emmanuel Beltrando

Pour finir, quelques questions ‘’people’’. Je sais que tu partages comme moi une passion pour le football américain. En dehors de ce sport, quels sont tes autres centres d’intérêt ? J’ai cru comprendre que tu avais une attirance pour l’écriture.

La liste est longue, donc je vais allez aux plus importants, j’aime la NFL (même si ces derniers années mon intérêt a baissé pour différents raisons propres aux règles de la NFL), le soccer, les jeux (mais là c’était évident), la SF (j’adore la SF, mais genre, tu vois, vraiment) et oui depuis quelques temps j’écris, je débute donc c’est tendu, mais c’est un process important pour moi, je ne sais pas si cela me mènera à quelque chose mais c’est vital.

Merci, Manu, à bientôt, et bonne continuation pour SORRY WE ARE FRENCH!

Nicolas Lamberti

Nicolas Lamberti, journaliste et traducteur freelance, critique littéraire et réalisateur de télévision

Nicolas Lamberti

Nicolas Lamberti, journaliste et traducteur freelance, critique littéraire et réalisateur de télévision

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *