Super Fantasy Brawl est un jeu de combat d’arène édité en kickstarter par Mythic GamesAMP. La campagne officielle est actuellement achevée, et le jeu largement financé. L’éditeur continue, bien entendu, de communiquer sur l’évolution du jeu et sur les différents aspects de sa conception. Ici, c’est Léonidas Vespérini, boss de MG, qui interview Johannes Helgeson, l’illustrateur de Super Fantasy Brawl. Un entretien très intéressant que nous reportons ici.
Pourriez-vous vous présenter ? Comment avez-vous commencé à travailler pour Super Fantasy Brawl ?
Je m’appelle Johannes Helgeson. Je travaille comme « concept artist » et illustrateur depuis 2008, quand j’ai obtenu ma licence en arts numériques, à l’université de Skovde en Suède. Super Fantasy Brawl est ma première expérience professionnelle dans l’univers des jeux de plateau. Avant cela, j’ai uniquement travaillé dans l’industrie des jeux vidéo, pour des compagnies comme Activision-Beenox, Gameloft, Kabam et actuellement Sybo Games.
J’ai été contacté par Léonidas Vesperini, de Mythic Games, au début de l’année 2019. Il m’a parlé d’un nouveau jeu sur lequel Mythic travaillait, Super Fantasy Brawl, et m’a demandé si cela m’intéresserait de rejoindre le projet. Je connaissais le succès de Joan of Arc et de Solomon Kane, et j’étais très impressionné par la qualité de leurs figurines. Pour moi, c’était un rêve qui se réalisait : travailler sur un projet où j’aurais la chance de voir mes illustrations transformées en véritables figurines. Je sentais aussi que cela serait un grand défi, qui me permettrait d’étendre mes compétences. L’ampleur du projet fut un peu intimidante, au début. J’avais déjà une activité à plein temps, et je savais que tout le travail sur SFB devrait se faire sur mon temps libre. Mais j’avais compris que si je laissais passer cette occasion, je le regretterais jusqu’à la fin de mes jours. Je réussis donc à consacrer vingt heures par jour à Super Fantasy Brawl durant les huit mois suivants, ce qui me permit de concevoir toute une série de personnages et de cartes.
Super Fantasy Brawl sera bientôt sur les navires, qui iront livrer le jeu à des milliers de contributeurs passionnés. Pouvez-vous revenir sur cette expérience créatrice ? Qu’est-ce que vous en pensez, qu’est-ce qui vous a le plus impressionné ?
Tout d’abord, je voudrais remercier toutes les personnes qui ont contribué au financement participatif. Je suis les actualités de la campagne Kickstarter depuis le début, et voir la passion, l’enthousiasme, l’investissement que vous avez consacrés à Super Fantasy Brawl est émouvant, exaltant et une véritable leçon d’humilité. J’espère vraiment avoir été à la hauteur de vos attentes, et que vous serez contents du résultat final. Les réactions à la campagne Kickstarter m’ont rendu incroyablement heureux, et fier d’avoir pu contribuer à ce projet. Merci, du fond du cœur.
Je me souviens de m’être beaucoup amusé lors de la conception des personnages avec le directeur artistique, Stéphane Gantiez, et plus tard durant le projet, avec Arnaud Marchand. J’ai vraiment beaucoup aimé notre manière de travailler. C’était vraiment un processus collaboratif, et une part égale du crédit doit revenir à mes directeurs artistiques. Je me rappelle qu’il y a eu parfois de légers soucis de barrière linguistique, surtout lorsque j’ai interprété certaines des remarques écrites à la main par Stéphane sur mes croquis ! Heureusement que nous parlions tous les deux le langage de la fantasy, et que nous partagions un grand nombre d’influences et de références, cela nous a beaucoup aidés.
J’ai aussi été très impressionné par la logistique et la gestion administrative de Mythic Games durant ma collaboration avec la société. Tout du long, Mythic Games s’est montré très professionnel, et m’a accordé beaucoup de respect et de confiance. Chaque facture était payée rapidement, et nos communications furent globalement très efficaces. Un coup de chapeau à Benoît, dont les efforts nous ont permis de consacrer toute notre énergie au processus créatif.
J’ai été très impressionné par la façon dont Irek Zielinski a réussi à traduire en 3D mes différentes illustrations. Je pense qu’il est vraiment tombé juste à chaque fois ! Il a parfaitement respecté les illustrations (dans la mesure du possible), tout en comblant les « trous » où il manquait des informations visuelles. Et les peintures de Seb Lavigne sont hallucinantes, et ont ajouté tellement de vie et de détails ! Enfin, j’ai été totalement enthousiasmé en voyant le mois dernier la qualité de figurines en plastique. Je pensais que nous avions vraiment mis beaucoup de détails dans les différents designs, et je n’étais pas certain qu’ils se retrouveraient tous dans la production en plastique. Inutile de dire que de mon point de vue, le résultat final est stupéfiant.
Pouvez-vous nous décrire le processus de création ? Et de finalisation ?
Pour SFB, l’illustration d’un personnage m’a pris en moyenne une vingtaine d’heures, du début à la fin. Toutes les conceptions de personnages commencent par un briefing du client ou du directeur artistique. Mon directeur artistique sur SFB, Stéphane Gantiez, m’a envoyé au début une courte description du personnage, de ses fonctions en termes de jeu, deses armes, de son histoire, et des éventuels éléments spécifiques qu’il voulait voir apparaître. Il me communiquait aussi toutes les images de référence pertinentes.
Ensuite, j’ai effectué des recherches de mon côté. J’ai utilisé Pinterest, Google Images et toutes les ressources auxquelles j’ai pu penser. Je me suis ainsi construit une sorte de bibliothèque avec différentes idées, dans lesquelles j’ai pu puiser quand j’ai commencé mes croquis. Cette bibliothèque de référence a été en constante évolution durant tout le processus de conception. À chaque fois que je me rendais compte que je ne savais pas à quoi ressemblait un élément, j’ajoutais de nouvelles références pour combler cette lacune. Les références sont aussi très importantes pour ne pas copier par accident un concept qui existe déjà. La fantasy est un genre très saturé ; comme un grand nombre d’artistes conceptuels utilisent des paradigmes et des références similaires, il est tout à fait possible de créer par hasard un look qui existe déjà. Je sentais que pour SFB, il était important de ressentir un certain degré de familiarité, de respecter les archétypes, tout en ajoutant notre propre patte. Je laisse les joueurs décider si nous avons réussi cet objectif.
Personnellement, je pense aux personnages comme à différents archétypes de la fantasy. Certains sont forts et puissants, d’autres rapides et agiles, et quelques-uns sont malicieux ou sournois. Et ainsi de suite… J’aime bien m’imaginer comme étant le personnage que je conçois. Je me demande, et si j’étais ce type de personnage, à quoi est-ce que je voudrais ressembler, comment est-ce que je me comporterais ? C’est un peu comme jouer à faire l’acteur J’aime bien aussi penser à ce que mon public aimerait trouvera dans ses personnages, mais c’est très difficile à savoir, bien sûr.
Une fois ces recherches terminées, je me suis lancédans les premiers croquis. Il est très rare que la première idée soit la meilleure. Souvent, ces premières idées sont des images dérivées, « sans danger ». Pour chaque personnage, j’aime bien avoir au moins trois idées différentes, que j’esquisse grossièrement. J’ai utilisé Photoshop pendant tout le processus, avec une tablette classique Wacom Intuos pro. Lors de la phase de conception, j’aime réfléchir en grandes formes decouleurs, et j’utilise des lignes ici et là pour séparer les formes et ajouter si nécessaire de la clarté. Je ne pense pas qu’il ne faille utiliser que des formes ou que des lignes… Lors de cette phase, j’ai mélangégénéreusement les deux. Il m’est même arrivé d’ajouter quelques ombres, ou des reflets de lumière, si je pensais que cela soulignait un point essentiel du concept. Je gardais aussi à l’esprit le niveau de détails qu’il est possible de rendre sur une figurine de petite taille.
Lors de la conception d’une illustration, je tente d’identifier une ou deux formes distinctes que je peux utiliser comme armature, et sur lesquelles j’étoffeensuite mon croquis. Par exemple, je peux choisir d’utiliser des formes anguleuses, des rivets, des triangles. Ou je peux partir sur des formes plus carrées… Ou plus rondes et douces… Ensuite, j’essaie de répéter ces formes dans tout le croquis, en écho aux formes principales. Je pense qu’il est important qu’un croquis fonctionne bien quand il est représenté sous la forme d’une silhouette. Ensuite, je peux étoffer cette dernière avec de nouvelles formes secondaires et tertiaires, qui je l’espère, lui donneront du sens.
Après avoir préparé une série de croquis sommaires, ce qui m’a demandé environ une heure pour chacun d’entre eux, je les ai présentés à mon directeur artistique. Il m’a paru important de maintenir une certaine distance avec les idées présentées. Je ne voulais pas tomber amoureux de certaines d’entre elles, car je ne pouvais pas prédire quelle direction serait choisie. Si le DA choisissait une direction que j’aimais moins que les autres, je risquais d’être contrarié. Il valait mieux que je reste enthousiaste sur chaque suggestion. Puis, le DA a choisi un ou plusieurs croquis des croquis qu’il aimait. Parfois, il a eu envie que je mélange et fonde certains aspects qu’il appréciait particulièrement. Cela créait une sorte de « monstre de Frankenstein ». Si j’étais parti dans une mauvaise direction, je devais revenir en arrière et créer de nouveaux concepts. Heureusement, pour SFB, les descriptions étaient très claires, et on m’a laissé une grande liberté créatrice. J’ai rarement eu besoin de passer beaucoup de temps sur les croquis avant de continuer l’illustration.
L’étape suivante était de dessiner une pose approximative. Il fallait là aussi respecter le briefing initial, ou représenter une action spécifique que Stéphane voulait mettre en scène. Une fois la pose approuvée, je continuais mon illustration en transformant mon croquis en un dessin au trait, leplus propre possible. L’avantage d’un dessin au trait était double. Premièrement, il communiquait clairement le concept à l’artiste 3D ; et deuxièmement il m’offrait une excellente base pour la mise en couleurs. Une fois satisfait du résultat, je présentais le dessin au trait à mon DA, qui pouvait alors suggérer des modifications.
Il est important de comprendre que la création d’uneillustration de personnage de cette façon est un véritable processus collaboratif. Je contactais de nombreuses fois le DA durant ce processus, quand il était naturel qu’il ajoute sa contribution. Cela m’a aussi permis de minimiser le nombre de révisions à effectuer.
Je suis ensuite passé au rendu en couleurs. J’ai l’habitude de travailler de façon très méthodique et structurée. J’ai peint mon personnage à peu à la manière dont un logiciel de 3D crée un render. J’aicommencé par ajouter les couleurs sur chaque zone, en suivant les croquis réalisés précédemment. Puis j’aipeint une couche d’ombres d’occlusions ambiantes, suivie par les ombres projetées par la source de lumière principale. J’ai ensuite « sculpté » les contours de ces ombres, pour les rendre dures ou douces, selon la manière dont la forme se présentait, ou si la lumière était directement bloquée ou non. Puis j’ai ajouté la lumière principale, la lumière ambiante, les différents reflets, et si nécessaire des lumières secondaires. L’étape suivante était de compléter manuellement le rendu, en ajoutant parfois des détails et en clarifiant le dessin, pour retrouver l’essence du croquis. Finalement, j’ai souvent utilisé l’outil Doigt pour ajouter quelques coups de pinceaux ici ou là. Pour terminer, je plaçaisune ombre sous le personnage, pour qu’il soit parfaitement stable.
Tout compris, ce processus me prenait une vingtaine d’heures par personnage. Ce type d’approche systématique m’a permis d’être constant et efficace. De plus, elle m’offrait de nombreuses occasions de recevoir des commentaires et des retours.
Quel a été votre plus gros défi ?
Le plus gros défi, de mon point de vue, a été de faire passer le concept du personnage, et d’exprimer en même temps une histoire et une personnalité au travers de sa pose. Souvent, dans mes concept arts, je dessine des poses très neutres. Cela me permet d’exposer clairement les différents aspects d’une illustration, sans avoir trop à me soucier de la dynamique et de l’attitude. Pour les jeux vidéo, ma philosophie au niveau de la pose est généralement d’imaginer le personnage comme s’il posait pour une photo. Qu’est-ce qu’il souhaiterait montrer de lui ? Pour SFB, j’ai dû pousser ces poses beaucoup plus loin que ce que je faisnormalement, et je risquais que l’illustration perde en clarté. Si je n’arrivais pas à exprimer clairement un détail ou une forme, je savais que l’artiste 3D allait éprouver des difficultés pour interpréter mon dessin, et le transformer en sculpture. Je voulais vraiment faciliter le plus possible le travail de mes collègues, et donc pour moi, c’était un vrai défi de trouver l’équilibre entre pousser une pose pour qu’elle rende bien sur une figurine, tout en ne cachant pas les éléments conceptuels nécessaires au sculpteur 3D. Il y a un concept que j’ai envie de mentionner en particulier, c’est celui de Ko’lel. En fait, c’était deux personnages en un, et concevoir ces deux personnages, avec des poses naturelles, ayant du sens, a été vraiment bizarroïde ! Ko’lel a aussi changé de direction après sa description initiale, et c’est donc l’illustration qui m’a pris le plus de temps, et qui est passée par le plus grand nombre de versions.
Quel est votre personnage favori ?
Je les aime vraiment tous, chacun d’entre eux a représenté un défi unique, et illustre différents archétypes de la fantasy. Je pense qu’en tant que joueur, je les testerai tous ! Cela dit, j’aime tout particulièrement Mariusz et Loralei. Je pense que le thème du loup-garou, de l’armure et des os, fonctionne très bien pour Mariusz. J’aime bien imaginer qu’une tragédie est survenue dans son passé, comme celle d’un noble héros ayant succombé à ses instincts bestiaux, et qui incarne désormais la férocité et la rage. J’ai tendance à préférer les personnages de type chevalier dans la fantasy, et je pense qu’il possède beaucoup de ces qualités. Je trouve que Loralei est aussi très cool. J’aime beaucoup ses formes, et lesthèmes de la nature et de la dryade me parlenténormément. C’était aussi un personnage plus délicat, avec beaucoup moins d’armure que la plupart des héros, et j’ai beaucoup aimé ce contraste.
Il y a aussi quelques-uns des héros qui n’ont pas encore été dévoilés que j’aime beaucoup
Avez-vous l’intention de jouer à Super Fantasy Brawl ?
Bien sûr ! Je suis très impatient de le tester, avec mon épouse et mes amis. Je ne suis pas un gros pratiquant des jeux de plateau, mais je m’y essaye de temps en temps. Mon problème est que je peux devenir très compétitif, et que j’aime devenir bon lorsque je pratique un jeu, en apprenant de mes erreurs. Comme en toutes choses, cela demande de la pratique. J’espère que mon expérience des jeux vidéo au tour par tour, comme Darkest Dungeon, X-Com et Civilization, me donnera un avantage ! SFB a l’air d’avoir beaucoup de profondeur et un plafond de compétence élevé, tout en restant très accessible aux nouveaux joueurs. Je suis vraiment impatient de l’avoir entre les mains ! Voici quelques jeux de plateau auxquels j’ai joué et que j’ai aimés : Rising Sun, Dead of Winter, King of New York, Sherlock Holmes: Consulting Detective et Skull and Roses. Actuellement, je participe à une campagne de D&D 5E avec quelques amis.
Sans trop en révéler, pouvez-vous nous parler des concepts que vous avez réalisés pour les prochains champions, vendus en boutique ?
Je suis très impatient de les voir sous forme de figurine. Je pense qu’ils ajoutent vraiment quelque chose de nouveau au répertoire des champions, en termes de visuel comme de gameplay. Je peux vous révéler que certains d’entre eux ont des liens très forts avec d’autres héros, et que cela a beaucoup de sens dans l’univers du jeu. Je pense aussi qu’ils auront un bel impact sur le méta-jeu.
Si besoin est, je serai très heureux de revenir dans le monde Fabulosa, et de concevoir de nouveaux personnages que les joueurs pourront incarner. Peut-être même que j’arriverais à y introduire un paladin ou un croisé
Merci, Johannes !
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