Je dois avouer que j’ai longtemps hésité avant de me pencher sur Abstract Donjon. Je suis passé à côté de la campagne de financement des XII Singes et, plus tard, un fois le produit sorti, le format et le thème ne m’ont pas intéressé plus que ça. C’est en surfant sur internet, en lisant les posts de mes contacts sur les réseaux sociaux, tous enthousiastes, que je me suis finalement décidé à commander un exemplaire. Et franchement, comme vous allez pouvoir le lire, je ne suis pas déçu ! Loin de là !
Abstract Donjon se présente sous la forme d’un livre au format A5 à couverture souple. Le papier, légèrement glacé, tout comme la mise en page aérée et ses nombreux exemples rendent la lecture des plus confortables. C’est déjà un bon point mais au-delà du flacon, ce qui importe vraiment, c’est le contenu n’est-ce pas ? La question est : qu’est-ce qu’Abstract Dungeon amène à un type de jeu de rôle mille fois visité, à savoir le porte-monstre-trésor, autrement dit le dungeon crawling ? Les XII Singes usent comme argument de vente principal l’exploitation d’une mécanique très originale. Et à la lecture de l’ouvrage, j’ai été ravi de constater que leur déclaration n’a rien d’excessive. Car, à ma connaissance, il n’existe rien qui peut être comparé à Abstract Donjon.
Pourtant, tout cela part d’une idée assez simple. L’originalité du système repose sur le fait que le joueur effectue tous ses jets de dés à la création de son personnage. Il dispose donc d’une réserve de scores de d6 qu’il répartit dans 4 caractéristiques (Force, Dextérité, Sagesse, Intelligence) et trois traits qui affinent le profil de son avatar. A titre d’exemples, une liste de traits est disponible dans le livre mais le joueur est libre d’en créer du moment que sa description soit suffisamment précise et qu’elle colle à l’environnement créé par le MJ. Il peut ainsi attribuer à son personnage des traits aussi divers que « doué en cuisine », « spécialiste des nœuds », « expert en crochetage », « alcoolique », « possède un rottweiler » ou « fine lame ». Il va ensuite dépenser ces d6 pour surmonter les obstacles et l’adversité qu’il va trouver sur sa route en justifiant par la narration l’utilisation de telle ou telle caractéristique, ou de tel ou tel trait, ou de la combinaison des deux.
Quand les aventuriers se retrouvent devant une difficulté, comme une porte verrouillée, le MJ va leur annoncer la hauteur du défi, qui se traduit en lançant x d6. Par exemple, si la complexité de la serrure est définie par 1d6, le MJ lance le d6 et obtient un 3. Un des joueurs va donc devoir dépenser un ou plusieurs dés, pris dans des domaines légitimes (comme la Dextérité et/ou « expert en crochetage » par exemple) pour obtenir un total supérieur ou égal à 3. Au fil de la partie, même si certaines situations vont lui permettre d’en récupérer quelques-uns, la réserve de ses dés va donc se réduire. Pour progresser dans l’aventure, les joueurs vont donc devoir collaborer pour gérer leurs ressources de la meilleure des manières.
Du côté du MJ, c’est presque la même chose car il dispose d’un pool de dés qu’il va avoir à gérer tout au long du scénario. Ainsi, s’il investit trop de dés dans les premiers niveaux du donjon, il va se retrouver bien marri quand il va faire entrer en scène son boss qui, par manque de dés, va se retrouver incarné par un kobold asthmatique ! Il s’établit donc entre le MJ et les joueurs une petite joute stratégique enrichie par un sympathique élément narratif.
De par sa mécanique de contrition et un système qui laisse énormément de liberté aux joueurs et aux MJs, avec une mise en place très rapide, j’aurai tendance à dire qu’Abstract Donjon est vraiment un jeu idéal pour les scénarios one shot. A contrario, j’émets plus de réserve pour ce qui concerne les campagnes et les scénarios devant se dérouler sur plusieurs séances. A mes yeux, les personnages ne sont pas assez affinés pour ce faire (même si rien n’empêche un joueur d’enrichir son personnage par des descriptifs plus élaborés que nécessaire) et le système de réserves de dés n’est pas vraiment pensé pour la gestion de parties longues. Pour en revenir au type de setting, si le dungeon crawling semble être privilégié, il est cependant possible de construire d’autres types d’aventures. Les scénarios qui sont inclus dans le livret donnent d’ailleurs un intéressant aperçu de l’éventail de récits possibles et les XII Singes proposent dans leur catalogue une variété de settings, comme Abstract Aventures Steampunk ou Abstract Univers, qui éloignent Abstract Donjon de ses origines pour en faire un véritable système générique.
Force est de dire, toutefois, qu’Abstract Donjon a peu de chance de remporter l’adhésion des joueurs pointilleux qui aiment que sur une feuille de personnage rien ne soit laissé à l’arbitraire et à l’approximation. Quatre caractéristiques, trois traits, tout cela va leur sembler bien pauvre. De même, les amateurs de sensations fortes trouveront surement que les séances manquent cruellement de jets de dés. Dans Abstract Donjon, oubliez la montée d’adrénaline quand vous vous apprêtez à effectuer un test qui a une chance infime de réussir. Soit vous avez déjà les dés pour passer l’obstacle (ou terrasser votre adversaire), soit vous ne les avez pas et vous subissez les conséquences (dans le cas d’un combat, vous perdez des points sur les dés encore présents sur votre feuille de personnage). Si vous vous situez dans ces cas, vous n’êtes décidemment pas la cible visée par cette règle.
Si vous cherchez un système pour mettre en place rapidement un scénario de jeu de rôle, ou carrément improviser une séance sur le pouce, Abstract Donjon se pose comme le système qu’il vous faut. A cette facilité de mise en place et d’accès s’ajoute une mécanique extrêmement originale, voire révolutionnaire, qui met tout autant en valeurs les aspects tactiques et narratifs qui peuvent composer une partie de jeu de rôle. Cerise sur le gâteau, le travail créatif des XII Singes effectué sur le livre est de très bonne facture, avec la présence d’une aventure solo qui fait office de tutoriel et de plusieurs scénarios en deuxième partie d’ouvrage. Sans compter une gamme qui ne cesse de s’étoffer avec des suppléments.
Type: Jeu de rôle
Oeuvre: Abstract Donjon
Direction éditoriale: Franck Plasse
Traduction: Cédric Ferrand, Patrick Perret, Gabriel Ollier
Textes additionnels: Jean Balczesak, Cédric Ferrand, Bruce A. Heard, Patrick Perret, Franck Plasse
Illustration de couverture: Camille Kuo
Illustrations: Jeshields, Whitney Misch, Miguel Santos, Didier Guisérix
Thème: Fantasy
Mécanique: Réserve de D6
Matériel: Livre de 208 pages N&B au format 15×21 à couverture souple
Edition: Les XII Singes (2015)
Distribution: Novalis
Prix: 25,00€