Barbarians: la critique
Il y a peu je vous avais parlé, via une vidéoAMP, de Barbarians of Lemuria, un jeu de rôle qui invite les joueurs à vivre des aventures formidables dans un univers de Sword &Sorcery. Mais cet excellent produit ludique n’est pas le seul à pouvoir recréer ces ambiances pulps propres aux ouvrages d’Howard et consorts sur nos tables de jeu de rôle. Dans la langue de Molière, il existe en effet d’autres alternatives, comme Beasts & Barbarians, sorti en 2017 chez Black Book Editions.
Shangor lança un regard suspicieux vers la jungle sombre devant laquelle il se tenait. Né dans les bois du Nord sauvage, il était généralement à son aise dans la forêt, mais celle-ci cachait quelque chose d’étrange parmi ses arbres inconnus, couverts de lierre.
Son nez était empli d’une odeur viciée par la corruption d’un mal ancien. Il avait la chair de poule, comme si des yeux invisibles l’épiaient.
Sa main caressa instinctivement la garde de sa hache. Le contact avec le bois, poli par l’usage, rassurait l’imposant barbare. Il s’accroupit pour examiner les traces dans la boue. Au moins cinq hommes étaient passés par là, portant Korala, la fille du maître de la caravane, qu’ils avaient enlevée plusieurs heures auparavant. Les empreintes de pieds nus étaient notablement plus petites que celles d’un homme adulte.
« Des Pygmées » maudit Shangor…
Beasts & Barbarians est un setting pour Savage Worlds qui peut être, il est bon de le signaler, très facilement adapté pour Savage Worlds Adventure EditionAMP. C’est un livre-univers qui, pour être convenablement exploité, nécessite la possession et l’utilisation du livre de base. C’est en effet dans ce dernier que vous pourrez trouver l’indispensable, c’est-à-dire la description du système et les règles de création de personnage.
L’ouvrage se présente sous la forme d’un livre de 248 pages au format mook 21×17 à couverture cartonnée. La mise en page est très aérée, la lecture est confortable et le tout est mis en valeur par une sympathique cosmétique vintage agrémentée de nombreuses illustrations à base de sorciers terrifiants, de barbares bodybuildés et de femmes légèrement vêtues. Autant de stéréotypes propres à la littérature pulp et qui donnent de la couleur au texte, quand bien même tout est en noir et blanc.
Avec Beasts& Barbarians, Black Book Editions, l’éditeur français, nous propose un univers calqué sur celui d’Hyboria, continent sur lequel se déroulent les aventures de Conan, ces récits colorés sortis de l’imagination luxuriante de Robert E. Howard. Mais attention, même s’il peut apparaitre comme un banal succédané de l’œuvre du célèbre écrivain texan, ce setting n’en est pas pour autant inintéressant car il présente quelques particularismes qui lui amènent une vraie personnalité… et une belle jouabilité.
Pour ce qui est de l’univers présenté dans la première moitié de ce livre, les concepteurs ont puisé sans vergogne dans l’imaginaire pulp howardien pour constituer le paysage géopolitique, la mythologie et la cosmogonie des Dominions de la mer du Désastre, un monde post-apocalyptique où cohabitent (parfois difficilement, sinon cela ne serait pas drôle) des civilisations diverses et variées. Les Dominions forment en quelques sortes une mosaïque microcosmique, un terrain de jeu peu étendu où se croisent Amazones, Pygmées, Nordlanders (semblables aux vikings), Hommes de Jade (aux allures de Tibétains), Valks (les Mongols des steppes), Tricaniens (un peuple qui évoque les Melnibonéens), tribus des savanes et des représentants d’un empire en déclin qui rappelle un peu le bas-empire romain. Même constat pour le panorama. Jungles au sud, chaines de montagnes enneigées au nord, déserts arides dans l’est, étendues océanes vers l’occident. A noter que la présence de nombreuses îles, dans l’océan, mais aussi dans des mers fermées qui sont les conséquences d’un gigantesque cataclysme provoqué par la chute d’un astéroïde. Une importance de l’élément marin et qui contribue à l’originalité de ce monde.
Pour ce qui est de l’environnement, Beasts & Barbarians baigne dans une bonne vieille atmosphère Sword & Sorcery. La couverture du livre signée Simon Labrousse, qui imite les couvertures des anciens magazines pulps américains, annonce d’ailleurs de manière explicite la nature de ce supplément : une invitation à s’aventurer dans un univers épique, héroïque, assurément macho et violent. Donc pour ce qui est des possibilités d’immersion, rien à redire, le descriptif fait le taf avec, en prime, la présence d’une liste de concepts héroïques propres à ce type d’univers (d’Amazone à Voleur, en passant par Gladiateur ou Sorcier). Des concepts qui peuvent même être combinés, pour personnaliser ses avatars. Par exemple, votre personnage peut être un fugitif qui avait épousé une carrière de soldat avant d’être réduit en esclavage. Il bénéficie ainsi des spécificités liées au deux concepts héroïques.
Sont inclus également de nombreux encarts où des récits légendaires et de mise en situation donnent de nombreuses informations sur les différentes cultures, religions et traditions rencontrées au sein des peuples des Dominions. Des textes bienvenus qui viennent en complément des descriptifs fournis dans la première partie du livre. Il s’achève par des descriptions assez succinctes des différentes zones géographiques, mais qui suffisent à faire ses premiers pas dans les Dominions.
Comme précisé précédemment, Beasts & Barbarians n’inclut pas le système général de règles. Cette partie forte d’une vingtaine de pages est en fait consacrée à détailler les règles dédiées particulièrement à cet univers de Sword & Sorcery. On peut donc trouver dans ces pages :
– des Compétences, Handicaps ou Atouts existants mais qui sont modifiés pour coller au monde des Dominions de la Mer du Désastre ( la compétence Discrétion, l’Handicap Poche Percée…)
– Une liste de Compétences, d’Handicaps et d’Atouts qui figurent dans le livre de base et qui ne peuvent s’appliquer à Beasts & Barbarians.
– De nouveaux Handicaps mineurs et majeurs, comme Fétard ou Personne en détresse.
– 37 nouveaux Atouts mineurs et majeurs ! Des atouts de background, professionnels ou de pouvoir, comme Brute, Cavalier-Buffle, Chasseur de démons ou Sauvage)
Le livre est fort de nombreux exemples et de conseils, des éléments qui s’avèrent très utiles car ils assurent les rôles de guides au cœur d’un système qui autorise de nombreuses liberté et permet d’éviter de « trahir » le genre (conseils que l’on peut ignorer si on le souhaite). Ainsi, les concepteurs vous conseillent grandement de faire de la magie (ou plutôt de la sorcellerie) un art rare et redouté. Oui, car généralement, dans les univers de Sword & Sorcery, les sorciers sont des individus à la fois mauvais et très puissants. On ne doit donc pas les croiser à tous les coins de rues. Bien entendu, il n’est pas interdit d’avoir un sorcier dans le groupe de personnages joueurs, mais il est fortement déconseillé qu’il en contienne plus d’un.
Il y a trois types de « magiciens » dans Beasts & Barbarians : les Sorciers, les Maîtres du Lotus et les adeptes de la Voie de l’Illumination.
Les Sorciers sont tels que les décrit Robert E. Howard, Fritz Leiber ou Karl Edward Wagner dans leurs nouvelles et leurs romans, c’est-à-dire malfaisants, cupides, mégalomanes et pervers. Leur magie est puissante mais dangereuse car souvent bâtie à base de compromis avec des forces surnaturelles et capricieuses (démons, esprits de la nature, etc.).
Les Maîtres du Lotus ont étudié les facultés intrinsèques d’une plante propre à l’univers des Dominions de la Mer du Désastre : le Lotus. Ils fabriquent diverses concoctions à base de cette plante rare et précieuse. Leurs effets sont différents, en fonction de la nature même du Lotus, mais aussi de celles des excipients et des parties utilisées. Le nombre de recettes existantes est immense, du philtre d’amour à la bombe incendiaire, et certaines restent encore à découvrir. Un Maître du Lotus est un individu puissant qui peut, en fonction des besoins, et de ses envies, tuer ou guérir.
La voie de l’illumation est enseignée par les moines du Lhoban. C’est plus d’une discipline martiale et philosophique que de la pure magie. Mais les effets n’en sont pas moins impressionnants. Un adepte de la Voie de l’Illumination est capable des plus grandes prouesses dans l’usage des techniques de combats mais il est aussi un guérisseur capable de canaliser les énergies pour soigner les blessures les plus graves.
La description de ces Concepts Héroïques est suivie de celles des nouveaux pouvoirs qui y sont associés. Ainsi, dans Beasts & Barbarians, un sorcier peut convoquer un Allié, un Maître du Lotus fabriquer un poison indétectable, et ils ont bien entendu accès à tous les pouvoirs décrits dans le livre de base qui sont autorisés par le MJ.
Après un chapitre dédié aux équipements et aux systèmes monétaires des Dominions, on passe à la deuxième moitié du livre qui est réservée au meneur de jeu.
Le chapitre Maîtriser Beasts & Barbarians est composé d’un ensemble de conseils pour instaurer une ambiance pulp autour de la table de jeu. La table des évènements post-aventure est très générique, et c’est volontaire. Il est ainsi plus facile d’introduire de manière très naturelle dans le jeu en l’adaptant à la situation réelle. C’est au meneur de jeu, en accord avec le joueur, a trouver une cohérence à cet évènement.
Le texte insiste aussi sur la pratique de la magie, qui doit être peu commune, et quand elle survient, se montrer spectaculaire et effrayante. Lors des combats, il convient d’instaurer une ambiance épique et surréaliste, à grands renforts d’actions extraordinaires et d’exploits au rendu cinématographique. Le système Savage Worlds est parfait pour cela. Il ne faut pas hésiter à en faire des caisses. Idem quand les héros et leurs sous-fifres se retrouvent errant dans des jungles inextricables ou cherchant leur chemin dans un marché coloré et populeux !
Mais ce chapitre n’est pas composé que d’une masse de conseils. On y trouve également une listes d’objets rares et de reliques qui pourront meubler les parties de Beasts & Barbarians, et faire les sujets de quêtes.
Meneur de jeu pressé et/ou en panne d’inspiration, ce chapitre est pour vous ! Le Générateur d’Aventures fonctionne avec le deck de cartes (celui que vous utilisez pour tirer l’Initiative ou pour les évènements Post-aventure). Vous tirez 4 cartes du paquet que vous positionnez les unes à coté des autres. Chacune, lue dans un tableau, forme alors un ensemble qui construit une sorte de storyboard grossier qui va définir l’aventure. La première carte définit le décor et l’introduction de l’aventure, la deuxième la nature de l’adversaire et l’atmosphère de l’aventure, la troisième le type de conflit et le retournement de situation, et la quatrième la récompense et le dénouement.
Un système finalement assez malin qui peut servir comme source d’inspiration plutôt que d’être utilisé ex abrupto.
Comme le laisse penser son titre, ce chapitre réunit le bestiaire, avec leurs descriptifs et leurs caractéristiques chiffrées. Ce bestiaire n’est pas très important, mais présente quelques créatures originales comme le diablotin kéronien, le singe à crocs, le zombi sans tête ou la fille d’Hordan, sorte de naga femelle aussi sexy qu’impitoyable.
C’est dans ce chapitre que l’on peut également trouver les archétypes associés aux concepts héroïques. Ils peuvent servir de PNJ comme de guides pour la création de personnages joueurs.
Le livre se termine sur LA VENGEANCE DES DIABLES MARQUÉS, un excellent scénario à l’ambiance pulp, rempli d’actions, de rebondissements et de situations propices aux prouesses et autres actes héroïques.
Beasts & Barbarians est un excellent supplément pour Savage Worlds. Il bénéficie en effet d’une motorisation qui est parfaitement adaptée à l’esprit pulp qui est cultivé dans les œuvres de Sword & Sorcery. En plus ce cet atout, le livre peut s’enorgueillir d’une excellente rédaction qui, de plus, est mise en valeur par une chouette cosmétique vintage. Si les Dominions de la Mer du Désastre sont décrits en surface, on a affaire ici à un riche terrain de jeu qui ne demande qu’un peu d’imagination pour l’enrichir (ou acquérir les autres suppléments). Seul petit bémol, le prix, 40€ pour un livre au format Mook 21×17, c’est un peu cher. Mais bon, c’est son seul défaut, et il est également disponible en pdf pour une somme bien moins élevée (10,00€).
BEASTS & BARBARIANS
Idées et textes supplémentaires : Jonathan M. Thompson, Piotr Koryś and Tomasz Z. Majkowski.
Édition : Dave Blewer, Mike Slabon, Bartek Kowalczyk, Jordan Trais, Jeanne Trais
Carte des Dominions de la Mer du Désastre : Justin Russell
Illustrations intérieures : Magdalena Partyka, Tomasz Tworek, Rick Hershey et Jehremy Moler (Empty Room Studio), T. Jordan Peacock, Claudio Pozas, Mario Zuccarello, Maxwell Song, Bradley K McDevitt, Kuźnia Gier, William McAuslands (Outland Arts), Cobra-Games © Weyns Peter, certaines illustrations sont copyright Michael Hammes et Philip Reed, utilisés sous licence. www.roninarts.com
Mise en page : winnicki art studio (winnicki.pro)
Pour Black Book éditions :
Directeur de publication : David Burckle
Traduction : Yannick Le Guédart, Manuel Ponce
Relectures : Damien Coltice, Yannick Le Guédart, Manuel Ponce
Couverture : Simon Labrousse
Illustrations supplémentaires : Dorian Collet
Mise en page : Damien Coltice, Jérôme Cordier et Yannick Le Guédard
Édition: Black Book Éditions
Distibution: Novalis
Matériel: livre de 248 pages N&B au format mook 21×17
Prix: 40,00€
Le livre est épuisé mais est encore disponible en pdf sur le site de Black Book Éditions