Jean-Jacques Cousteau. Un mythe, une légende, une star parmi les fans de zoologie et de biologie marine. Certains disent que Blue Planet est LE jeu de rôle de Jean-Jacques Cousteau. En réalité, la première édition est en effet un hommage au regretté biologiste marin décédé en 1997. Cette seconde édition le dit clairement, avant même son sommaire. Il y a donc bien un lien direct entre la légende française et ce fantastique jeu de rôle. Oui, fantastique car si les jeux de rôles de science-fiction sont légion, peu sont vraiment très spécifiques. La plupart optent soit pour une approche plutôt “hard SF” comme le fameux Eclipse Phase qui pousse les concepts de Ghost in the shell et d’Altered Carbon, soit ils lorgnent vers un côté pulp comme les jeux de rôle de Star Wars, Cobra, Starfinder. Enfin, certains ont choisi un bon équilibre entre ces deux extrêmes comme le légendaire Traveller. On a évidemment tous les jeux cyberpunk ou post-cyberpunk (comme Infinity) mais force est de dire que la science-fiction à thème océanique est très peu représentée. Le plus connu de ces jeux est surement Polaris (génial mais avec ses défauts, liés à son système) et le moins est peut-être Subabysse. Blue Planet est souvent comparé, via une mise en opposition, à Polaris. Un aspect que l’on abordera plus tard. Je vais vous parler, dans un premier temps, du contexte du jeu et notamment de son côté accessible. Ensuite, j’abordera son système de jeu et son lien étroit avec le Player’s Guide et enfin, on parlera du Moderator’s Guide et du ton qui est donné au jeu.
Nous sommes en 2199 sur la planète Poséidon. Par le passé, une énorme catastrophe, connue sous le nom du Fléau (Blight en VO), a détruit l’agriculture terrienne. Les conséquences, désastreuses, ont causé une crise d’envergure mondiale, économique et sociale, entraînant la mort de milliards de personnes. Heureusement, l’année 1957 avait vu débuter une ère d’exploration spatiale et, en 2078, des essais avaient permis d’établir de manière sécuritaire les voyages spatiaux afin d’évacuer les humains vers une autre planète. Finalement, en 2080, le vaisseau géant Cousteau a permis de sauver la plupart des humains ayant survécu au Fléau. Les Nations unis ont pris le temps, durant des décennies, dans le secret, de créer leur successeur sur la planète Poséidon : GEO. Les buts de l’organisation sont écologiques ainsi qu’entretenir son objectif originel : veiller à maintenir la paix.
Toutes ces informations sont fournies dans le Player’s Guide, qui coûtait à l’époque une vingtaine de dollars. Pour un format noir et blanc, à la couverture semi-souple mais surtout, fichtrement bien écrit. En effet, comprendre et expliquer Blue Planet est simple ! Le vocabulaire est accessible à tout lecteur, sans phrases ni formules élaborées. Appréhender le contexte est également chose simple car développé en début du Player’s Guide et appuyé en fin d’ouvrage par une chronologie bien détaillée et très cohérente. On trouve même dans les premières pages une carte du monde !
La première chose que l’on voit de Blue Planet, puisqu’elle figure en couverture du Player’s Guide (version Fantasy Flight Games, la couverture de l’édition fasa est différente) est cette illustration où une orque appareillée semble faire équipe avec un humain. On pourrait alors se demander si l’on peut jouer ce genre de personnage. La réponse est évidemment : OUI ! Bien que Blue planet soit un jeu avec un contexte sérieux (un brin optimiste), le jeu est écrit par des gens qui maîtrisent ce qu’ils disent et ce qu’ils font. De ce fait, oui, on peut jouer des cétacés (les cétacés de Poséidon sont plus intelligents, forts et sociables que ceux que la Terre) et pour les humains, le transhumanisme existe et on peut par exemple jouer des hommes-félins ou hommes-singes. Pas d’homme-canins, mais je pense que l’on peut s’arranger. Le personnage est défini par 3 grands axes : attributs, compétences et implants (qu’ils soient biologiques ou cybernétiques, on s’en fout un peu, le propos n’est pas celui de Cyberpunk). Dès le début, vous choisissez un niveau de puissance parmi “quotidien” où vous obtenez un personnage assez compétent, “exceptionnel” si vous voulez jouer des personnages badass sans pour autant être trop puissants et enfin “Elite” qui est si puissant qu’il n’y a pas de limite aux implants (lorsque je fais jouer des personnages joueurs de ce niveau de puissance, j’utilise la limite “exceptionnelle” car je vous jure que les personnages deviennent bien trop forts, même pour moi). Vous avez ensuite des bonus d’attributs, des scores d’aptitudes (ceux-ci déterminent le nombre de D10 que vous lancerez lors des tests), et les scores pour acheter les packages de compétence et les points libres. Cette création de personnage marche vraiment très bien. Tout est clair, des builds »pré-faits » et de nombreux exemples guident les joueurs et le catalogue d’équipements est très fourni. Entre l’accessibilité des packages professionnels et la personnalisation par les points libres, c’est un vrai plaisir de construire son personnage.
Le système de jeu est vraiment chouette. Lors d’un test vous faites la somme d’un attribut et d’une compétence. Vous lancez ensuite de 1 (pour une aptitude normale) à 3 (pour une aptitude très forte) dès à 10 faces et vous prenez le plus petit (c’est à dire le meilleur). Ensuite, plus votre marge est grande, mieux c’est. Simple, rapide et très efficace. On sent que le système a été testé pour notamment rendre des tests étendus rapides et les poursuites et autres actions physiques punchy. En effet, on est sur une planète encore plus aquatique que la Terre (et rappelez-vous que la Terre est composée à 70% d’eau!), donc il est évident que la natation, les sauts et autres pilotages sont essentiels. Le combat n’est pas bien plus compliqué car le jeu se veut quand même assez réaliste et donc mortel. Chaque arme a un score de dégâts, vous soustrayez au score de dégâts la robustesse (et également l’armure) en cas de toucher et vous lancez 3 dés à 10 faces, chaque D10 faisant en dessous du score cause une blessure. Une seule, ça va. Deux, cela devient compliqué et 3…J’espère qu’un médecin n’est pas loin… Là encore, le jeu se veut accessible, le prix modique du Player’s Guide (comme je l’ai dis moins de 20$ comparé à notre Player’s Guide de Dungeons & Dragons 5 qui en coûte…50!). Le fait que le jeu soit super bien écrit, développé, sans être lourd, avec la présence de catalogues, exemples, illustrations, chronologies, cartes. C’est un plaisir.
Et après les tests me direz-vous ? Et bien, c’est tout aussi efficace. Un ami qui a testé le jeu comme seul personnage-joueur est bien d’accord avec moi : l’absence de limite des implants au niveau de puissance “élite” a vraiment rendu son personnage »craqué »! Et encore, il jouait un transhumain. Par rapport à Polaris où les personnages sont très fragiles et la création très longue, on sent une nette différence. Mais qu’on se comprenne bien : Polaris est un très bon jeu et bien écrit mais ce sont vraiment certains éléments de son système qui le desservent au plus haut point.
Bon, j’ai dis déjà pas mal de bien au sujet du Player’s Guide mais, qu’en est-t-il du guide destiné au meneurs de jeu? Et bien, pour faire court, c’est tout aussi exemplaire. Le Moderator’s Guide est À LA FOIS un atlas, un “bestiaire” puisque on ne va pas combattre toute la faune et la flore, un setting de campagne, une collection de scénarios, une collection d’ennemis et enfin une collection de secrets. Le tout pour moins de 30$. Alors certes, c’est toujours en noir et blanc mais pour le coup, c’est un livre avec une couverture dure bien solide que se voit équipé le meneur de jeu. Les cartes sont sacrément détaillées avec un niveau de précision qui est atteint dans les jeux de SF écrits par des vrais passionnés (je pense, là encore, à Eclipse Phase), le meneur de jeu ne sera jamais perdu et il peut aisément, s’il dispose de ce livre en PDF, imprimer les cartes dont il a besoin.
Chaque lieu est suffisamment détaillé pour lui donner vie et on a évidemment le profil technique des PNJs que l’on y rencontre. Le bestiaire est donc plus proche d’un livre de zoologie marine que d’un bestiaire, Cependant, certaines créatures n’étant pas des animaux ou des plantes que nous connaissons, elles figurent dans le guide du meneur car il est possible de s’en servir autrement que comme ennemi. Idem pour les plantes. Le format de la collection de scénarios, ennemis et secrets est simple et efficace. Les ennemis sont dans des paragraphes “most wanted” mais certains “ennemis” pourraient ne pas en être ou avoir de très bonnes motivations, assez pour poser des dilemmes moraux ou politiques.
Les secrets sont dans des encarts “access denied” car ce sont des informations secrètes à fort impact dans le jeu. Comme je l’ai dis, le jeu garde un équilibre entre un côté aventureux et pulp, voire héroïque et réaliste. Ainsi, ces secrets ont pour but de finir dans les mains des personnages. D’ailleurs au passage, le hacking de Blue Planet est très particulier : aucun gameplay spécifique, avec comme explication qu’il est à présent qu’on ne peut quasiment pas hacker les ordinateurs en raison de leur complexité. Il faudra donc passer par la hiérarchie et donc, faire intervenir du social! Les scénarios sont dispatchés dans le livre à travers la description des endroits ou PNJs.
J’aime bien Polaris. Je ne dirais jamais le contraire, mais, je ne peux nier que je préfère Blue Planet V2 (et je suis fort curieux et impatient de mettre la main sur la V3, appelée “Recontact” qui sera en dur, en couleur et récupère des notions d’aspects façon FATE System pour être encore plus moderne) sur bien des points : les possibilités de jeu, l’accessibilité sans pareille, l’équilibre entre fun et sérieux, le système de jeu, le ton général… C’est un vrai tour de force et un bijou d’équilibre que cette version. Si vous avez l’occasion un jour de la tester, plongez la tête la première! L’eau est bonne !