L’Appel de Cthulhu de Chaosium et son système BRP D100 règnent en maître depuis près d’un demi-siècle sur les tables de jeux de rôle ayant pour thème le mythe lovecraftien. Avec ses multiples éditions et la richesse de ses gammes, il a fidélisé plusieurs générations de rôlistes. Pourtant, il existe d’autres règles, d’autres concepts, qui abordent différemment l’univers imaginé par l’écrivain de Providence. L’un des plus connus, et probablement le plus joué après L’Appel de Cthulhu, est Trail of Cthulhu, un jeu de rôle des célèbres Kenneth Hite et Robin D. Laws exploitant le système Gumshoe. Trail of Cthulhu doit en partie son succès par une mécanique privilégiant la déduction et la logique, avec des personnages qui utilisent leurs compétences d’investigation sans que le joueur soit poussé à effectuer un test. Mais la version française de Trail of Cthulhu est aujourd’hui difficile à trouver, l’édition révisée de 7ème Cercle datant de dix ans. Et oui, déjà… comme le temps passe… Cependant, si vous voulez changer un peu de L’Appel de Cthulhu, ou plus simplement si vous n’appréciez pas le BRP, il y a une autre alternative, c’est Cthulhu Hack!
Cthulhu Hack est un jeu de rôle de Paul Baldowski édité en français chez Les XII Singes, sous le label Dark Monkeys. Il se présente sous la forme d’un livre de 80 pages format US à couverture souple. La direction artistique est sobre mais élégante avec une typographie très lisible et de sympathique illustrations. Cthulhu Hack est aujourd’hui vendu sous la forme d’un pack à 39€ regroupant ce livre de base, un écran 3 volets et le recueil de scénarios From the Vault. Un prix franchement très attractif au regard de la qualité du produit.
The Black Hack est la mécanique qui motorise Cthulhu Hack. Elle est animée par un système de gestion de ressources avec attrition et de sauvegardes.
Quand son personnage est soumis à une Menace, le joueur va effectuer un test de sauvegarde. Le type de la sauvegarde est défini par la nature de la Menace. Il y a des Sauvegardes de Force, des Sauvegardes de Dextérité, etc. Autant de possibilité que de caractéristiques. Qui sont au nombre de six : Force, Dextérité, Constitution, Sagesse, Intelligence et Charisme. Pour effectuer un test de sauvegarde, on lance un D20 et si le score est strictement inférieur à la valeur de la caractéristique impliquée, il est réussi. Sinon c’est un échec. Rien de révolutionnaire, n’est-ce pas ? Chaque personnage affiche une sauvegarde primaire dépendant de son profil (le professeur cela sera l’Intelligence, le pasteur la Sagesse), qui lui permet de faire le test lié avec un Avantage. A noter que les caractéristiques sont définies à la création du personnage en totalisant le score de 3D6, avec cependant une petite coquetterie : si vous obtenez un 15 ou plus lors d’un jet de dés, vous devrez lancer seulement 2D6 pour la caractéristique suivante, en ajoutant 2 au score.
Par contre, quand un personnage effectue une action comme fouiller un endroit, embobiner un garde ou résister à un choc, il va puiser dans l’une de ses trois ressources qui sont : la Torche, le Bagou et Santé Mentale. A sa création, en fonction de son archétype, un personnage se voit attribuer un type de dé pour chacune de ses ressources. Par exemple, un Aventurier a un D6 en Bagou, 1D8 en Torche et 1D8 en Santé Mentale alors qu’une Brute a 1D4 en Torche, 1D4 en Bagou et 1D8 en Santé Mentale. La règle précise également une méthode quand l’on souhaite créer son personnage sans se reporter à un archétype, en répartissant des niveaux de dés dans les Ressources, les Dégâts et le Dé de Vie.
Quand il souhaite que son personnage agisse, le joueur annonce son intention au meneur de jeu. Il ne fait pas de test. Si le meneur de jeu décide que c’est justifié, le personnage va accomplir son action et se procurer un indice. Par contre, il va ensuite effectuer un jet de Ressources. Le joueur lance le dé et s’il obtient un 1 ou un 2, le type de dé se voit dégradé (par exemple, un D6 devient un D4) et une petite complication survient. Et quand un joueur obtient un 1 ou 2 quand il lance un D4, il a épuisé sa réserve et ne peut plus agir dans ce domaine durant la durée du scénario. Un système judicieux pour ce qui est de forcer les joueurs à la coopération.
La Santé Mentale est une ressource gérée différemment de Torche ou Bagou. Le joueur doit effectuer un test de ressource Santé Mentale quand son personnage est témoin d’une scène horrible. En cas d’échec (un score de 1 ou 2), le dé est dégradé et le personnage est frappé d’une folie passagère. Le joueur lance un D6 sur une table pour déterminer la nature et la gravité de la folie. Et quand son D4 est dégradé, le personnage devient complètement fou. Et c’est fini pour lui.
Pour en finir avec cette partie, un personnage est défini également par des points de vie (le score de son dé de vie plus 8), des dés de dégâts en mêlée et à distance, mais aussi 3 capacités spéciales qui sont en lien avec son occupation (choisies parmi les 43 présentées dans le livre). Par exemple, Sens du danger permet au personnage de bénéficier d’un Avantage lors d’un jet de sauvegarde visant à éviter un piège ou les machines pouvant le blesser. Un Avantage signifie que le joueur lance deux D20 et choisit le meilleur score. Un Désavantage, c’est l’inverse, mais vous l’auriez deviné.
Dans Cthulhu Hack, qui est principalement un jeu d’investigation, le combat est réduit à sa plus simple expression. On se situe dans l’abstrait, les joueurs et les meneurs vont donc devoir faire travailler leur imaginaire. Tout d’abord, hormis le cas où ils bénéficient de plusieurs attaques, sachez que les ennemis ne ripostent pas. Et le meneur de jeu n’effectue pas de jets de dés. Pour combattre, un joueur effectue un test de sauvegarde en Force (au contact) ou de Dextérité (à distance). Si le test est réussi, il inflige des dégâts à l’adversaire en fonction de son dé de dégâts (qui peut être modifié par la nature de l’arme utilisée). S’il échoue, c’est l’adversaire qui lui inflige des dégâts, dont la hauteur est déterminée par son dé de vie et/ou ses capacités spéciales). L’importance des dégâts peut être minorée par des éventuels couverts et armures. L’on a donc affaire à un système très simple qui amène des combats rapides et rythmés.
Quand un personnage tombe à 0 points de vie, il tombe inconscient. Il est Hors-Jeu. A la fin du combat, le joueur lance alors un D10 sur un tableau. S’il obtient 1, le personnage est mort. Sur un 10, il est juste essoufflé.
La deuxième grande partie du livre est consacrée au Mythe, avec une introduction concise qui met un peu la lumière sur la cosmogonie et les principales entités cosmiques comme Azathoth, Nyarlathotep ou… Cthulhu. Rien de transcendant. A peine 2 pages. Il faudra donc se tourner vers des suppléments pour en apprendre plus sur le Mythe et la méthode pour mettre en place l’ambiance de l’univers lovecraftien. En attendant, le meneur de jeu qui ne connait pas les œuvres de Lovecraft va avoir du mal à mettre en forme autre chose qu’une simple enquête matinée de fantastique.
Suit ensuite une liste de 12 créatures du mythe, du Byakhee à la Goule, avec la description de leurs dés de vie, points de vie, armure, type d’attaque, etc. Toutes ces créatures connaissent un sortilège, dont la liste est précisée dans le chapitre suivant baptisé La Magie du Mythe.
Quand une créature inflige des dégâts, la valeur est signalée par le dé de vie. Les Dholes ont 8 dés de vie donc infligent 8 points de dégâts avec leurs morsures. Une Goule a 2 dés de vie et inflige 2 points de dégâts avec ses griffes (mais a deux attaques), etc. Attention à ne pas confondre dés de vie avec points de vie. Même si les deux reflètent la puissance de la créature et que la deuxième est une déclinaison de la première, ces deux valeurs sont à traiter différemment.
Pour faire lancer un sortilège à son personnage, un joueur doit effectuer un test de Santé mentale. C’est une action. A la place d’attaquer, un personnage peut donc décider de lancer un sortilège. Le livre décrit 25 sortilèges. Certains, comme la fameuse Poudre d’Ibn-Ghazi, sont bien connus des joueurs de l’AdC, d’autres, comme Aversion, un peu moins.
Le livre de base inclut deux scénarios.
Le premier, Sauver Innsmouth, est un scénario d’introduction à l’univers et au système. Il nous entraine dans la cité d’Innsmouth, quasiment abandonnée et en ruine. Les personnages incarnent des étudiants de Myskatonic qui visitent la ville à la suite de l’annonce de son achat par un investisseur qui souhaite la transformer en centre sportif. Des étudiants qui vont se retrouver égarés et apeurés à errer dans une atmosphère anxiogène aux odeurs de poissons pourris. Un excellent scénario, sorte de petit hommage au Cauchemar d’Innsmouth, très immersif et didactique.
Le second, Tout au fond, se déroule au Musée des Sciences Naturelles du Jardin des Plantes. C’est plus un cadre avec la présentation d’une série d’évènements à faire vivre par les meneurs de jeu qu’un scénario pour débutant. Ces derniers risquent en effet de s’égarer dans leur gestion. Malheureusement, les joueurs expérimentés, trouveront l’intrigue un peu trop convenue, et manquant de renouvellement. Je suis donc un peu mitigé sur ce scénario. Je pense qu’il aurait mérité un peu plus de travail. Pour le rendre plus accessible ou, à contrario, pour l’enrichir.
A un excellent système, où plutôt un système, The Black Hat, parfaitement adapté au genre, Cthulhu Hack ajoute un prix très accessible. La mécanique délaisse un peu les phases d’affrontement physiques mais, sincèrement, cela n’est pas vraiment ce que l’on recherche lorsqu’on explore l’univers lovecraftien. Ce livre de base efflore à peine la mythologie au profit de la description de la mécanique et de la création de personnages, mais avec à peine 80 pages, il était difficile de faire plus. Même constat en ce qui concerne la mise en place de l’univers lovecraftien avec ses particularismes. Cette règle s’adresse donc plutôt aux joueurs connaissant l’œuvre de l’écrivain, faute de quoi ils risquent de se retrouver plongés dans un simple jeu d’enquête avec des monstres. Les deux scénarios sont donc les bienvenus car ils retranscrivent l’atmosphère particulière des aventures lovecratiennes – même si je trouve Tout au fond assez peu à sa place dans un livre de base. Pour conclure, je pense que si vous appréciez (et connaissez) le mythe mais que vous en avez raz la casquette du BRP vous devriez vraiment tenter l’expérience Cthulhu Hack.
J’AIME BEAUCOUP
Thème: Science-fiction / Horreur / Mythe lovecraftien
Mécanique: The Black Hat (D20)
Complexité: Débutants et initiés
Rédaction: Paul Baldowski, Jérôme Barthas et Marcin Latallo
Illustrations: Maxime Plasse
Traduction: Jérôme Barthas
Matériel: 2 livrets de 80 pages, écran rigide 3 volets paysage 27,9 cm x 21,6 cm
Edition: Les XII Singes
Prix moyen: 39,00€