Fabula Ultima: l’avis de Julien

Qu’est-ce que Final Fantasy? Qu’est-ce que le J-RPG?
En effet, je pense qu’il est temps qu’on réfléchisse à cette question car ma dernière campagne de Fabula Ultima s’est terminée sur un constat amer, une déception. Pire encore, je pense que l’on s’est tous planté. Cela peut sembler brut voire violent, de dire ça comme ça mais il nous arrive tous de nous planter en approchant des JDRs (je ferai d’ici peu un article sur Marvel 616 ou j’expose l’avis inverse). Mais pour cela, il faut revenir aux racines du J-RPG et de Final Fantasy.
J’ai découvert le J-RPG à l’age de 11 ans, avec Pokémon rouge, à l’époque ou la franchise était toute fraîche (j’ai connu le fait d’échanger des cartes à foison avec des potes de la cour de récré). A 15 ans, j’ai découvert la saga Final Fantasy avec le 7 (comme beaucoup) et les Shin Megami Tenseis avec le 3ème opus (Nocturne au Japon et Lucifer’s Call chez nous). Et là, déjà, on peut établir un constat : tous les J-RPGs ne se ressemblent pas. Si on compare le dernier Trails et Clair-Obscur : le gameplay affiche des différences: l’un permet de switcher de l’action au tour par tour brut alors que le second est du tour par tour avec des parades et esquives qui se font parfois au dixième de seconde près. De même, bien que Pokémon, Final Fantasy 7 et Shin Megami Tensei 3 présentent des similitudes (les Shin Megami Tensei peuvent être considérés comme les ancêtres des Pokémon), ce sont assurément des jeux différents.
Le constat est le même avec la saga Final Fantasy. N’allez pas me dire que le premier (plus proche de D&D que des FF actuels d’ailleurs) est identique à Final Fantasy 16. La mythologie Final Fantasy a évolué, le gameplay également. Parce que c’est l’un des fondements de la saga : faire différent (même au sein de la trilogie FF13 ou la duologie FF10 le gameplay diffère !). Et je ne parle même pas des Final Fantasy massivement multijoueur que sont le 11 et le 14, des titans dans le genre. Tout ça pour dire : la proposition de base de Fabula Ultima est.. fausse. On ne peut pas faire TOUS les sous-genre de J-RPGs et de Final Fantasy avec un seul jeu.

Un jeu trop mécanique?
Le premier gros reproche que je peux faire au jeu, c’est d’être bien trop mécanique. Bien que l’idée d’avoir du multi-classage à foison semble sexy et que les builds peuvent générer des personnages très forts, je ne pense pas que ce soit une super idée. Déjà parce que si on devait choisir une époque de Final Fantasy émulée par Fabula Ultima, ce serait l’époque Super Nintendo/NES, doncles Final Fantasy 4 à 6. Hors, à cette époque, les personnages étaient surtout dotés d’une seule classe de personnage. Kain est un chevalier dragon, point. Même les personnages de Final Fantasy 5 avaient une classe primaire et une secondaire et on ne pouvait pas faire n’importe quoi (genre garder des compétences de guerrier alors qu’on est mage, celle-ci étaient donc moins puissantes..). Donc en fait, D&D est plus proche de Final Fantasy que Fabula Ultima de Final Fantasy. En fait, le premier Final Fantasy est un D&D! Pas encore d’invocations, de chocobos, de Cid, de Moogles. Tout cela est venu plus tard. Car Final Fantasy, ce sont surtout des tropes.
Mais là où le bât blesse vraiment, c’est sur la mécanique des combats. En effet, Fabula Ultima opte pour du tour par tour. Un PJ agit puis c’est au tour d’un PNJ. Hors, dans Final Fantasy a été créée la barre d’Active Time battle, une barre de vitesse d’action qui désigne celui qui doit agir. En gros, l’initiative. Hors, dans Fabula Ultima, on propose aux PJ d’organiser leurs tours, cela ne marche pas bien ! Car des PJ vont prendre des coups entre temps. Une initiative normale marcherait tout aussi bien, voire mieux.
Le jeu a aussi un gros souci : les points de vie. Ceux-ci montant très peu car l’auteur a voulu reproduire la grande marge de niveaux, et cela s’avère être une pas si bonne idée que ça. En effet, beaucoup de J-RPG démarrent avec un seul personnage ou deux, hors se retrouver en sous-effectif dans Fabula Ultima est terriblement punitif. Ne tentez vraiment pas de faire comme Cloud qui fait du 1 vs 4 dans Final Fantasy 7, vous allez être KO. Et c’est un souci.
Le jeu est clairement fait pour du multi-joueur ou bien pour être accompagné par des PNJ. D’ailleurs, les PNJ la conception des PNJ prend du temps et peut donner lieu à un véritable casse-tête. Pour vous dire, je suis en train de refaire une campagne avec le Cypher system et c’est bien plus rapide et simple. Et il y a également des choix étranges : par exemple la classe de Gardien qui ne donne pas la maîtrise des armes martiales ou celle de Furie (Berserker) qui ne donne pas celle des armures martiales. Enfin, le système de classe. Il fonctionne comme les dons de Pathfinder 1 : si on a pas telle ou telle classe, on ne maîtrise pas telle ou telle chose. Hors, par exemple, dans certains FF, il n’y a même pas de classe.

Paie ton livre mal fini
Alors là, ça va gueuler mais j’annonce la mauvaise nouvelle de suite : le jeu est PLEIN d’errata. Pourtant l’éditeur se permet de sortir des suppléments. Je trouve ça vraiment problématique. Alors il y a toujours des gens pour dire « oui, mais c’est bien, ça prouve que l’auteur veut améliorer le jeu ». Donc, cela ne vous pose pas soucis de payer 40€ pour un livre où vous allez devoir mettre plein de post-its ou remplir de ratures? Rendant le prix de la vente à néant?
NEUF pages d’errata. Et l’auteur (ndr Emanuele Galletto) va sans doute en mettre davantage parce que le mec est obsédé par l’équilibrage. Certes, je comprends mais NEUF pages d’errata, c’est grave. Ce n’est pas pour rien que Franck du Podcast anonyme avait recommandé à l’époque d’acheter le PDF de Shadowrun Anarchy et non la version physique. Et du coup, quand on a eu la version française, sans bug, avec les ajouts, on était bien content. Comme comparatif, Marvel 616 que j’avais injustement défoncé a aussi NEUF pages d’errata, mais 8 d’entre eux ne concernent que les PNJ et encore, l’auteur recommande de pas hésiter à les modifier. Ce n’est pas grave. Je ne vous dirai pas de ne pas acheter Fabula Ultima mais, j’ai un pincement au cœur pour ceux qui se retrouvent avec une version collector buggée et erronée.

Le manque de monde et le conflit de situation
Le jeu a voulu, parmi ses nombreuses inspirations, s’inspirer des jeux Powered by the Apocalypse, ces héritiers d’Apocalypse World où, notamment, les joueurs contribuent, avec le MJ, à créer le monde et où l’improvisation et la surprise font partie du cœur du jeu. C’est par exemple pour cela que Monster of the Week est un excellent jeu et qu’Urban Shadows est un excellent clone du Monde des ténèbres. Mais malheureusement, les Final Fantasy sont souvent… linéaires..Y compris le 4 qui est le meilleur à ce jour en termes de scénario. Ce paradoxe écorne également la légitimité de Fabula Ultima comme projection d’un FF sur un table de jeu de rôle. Quand à la création du monde, ce n’est pas quelque chose qui est donné à tout le monde. C’est une compétence de savoir créer un monde cohérent.
La meilleure saga de J-RPG en la matière : les Legend of Heroes : Trails…” a vu son développement démarrer il y a plus de vingt ans et il pas fini à ce jour. Le premier arc concerne un petit pays et s’étend sur 3 jeux, le second une ville de la taille de Luxembourg ou Monaco et s’étend sur 2 jeux, le suivant un empire et s’étend sur 5 jeux. A l’heure actuelle, il s’agit d’un grand pays et on en sera à 3 jeux lorsque sortira The Legend of Heroes : Trails beyond the Horizon.
Le manque d’univers proposé est donc, à mon sens, un souci. Et, ce n’est pas pour copier les jeux de rôles japonais qui se basent souvent sur Sword World (le D&D japonais), qui proposent un univers et même des comptes rendus de scénarii et campagnes ! Comme c’est le cas du JDR Goblin Slayer. C’est parce, au final, Fabula Ultima n’est pas du tout beginner friendly! Que ce soit pour les MJs ou les joueurs.

Des alternatives solides?
Par chance, oui, les alternatives existent et il y en a plein ! Mais alors vraiment ! Vous avez deux grands axes, voire trois.
Le premier est simplement d’utiliser les D&D like modernes. Oui,c ‘est aussi bête que ça. Que ce soit le SRD de Donjons et Dragons 5 (surtout avec la possibilité de créer ses propres espèces), Chroniques oubliées 2 ou Pathfinder 2 (en sachant que Pathfinder 2 remaster est compatible avec sa première version, mais pas l’inverse), vous avez du matos solide, des aides de jeu partout, gratuites (par exemple pour Pathfinder 2 vous avez Archives of Nephtys et Pathbuilder 2, approuvés par Paizo). Vous pouvez même utiliser 13ème Age qui a son SRD gratuit. Bref, vous avez là quelque chose de solide, testé et dont l’ADN a permis l’existence même du premier Final Fantasy. Vous avez aussi TOUT l’OSR. Et là, si vous êtes créatifs, cela va rouler tout seul. Que ce soit le Black Hack, Mork Borg, Old School Essentials..Vous pouvez chopper le SRD d’un OSR, le hack… Surprise, certains OSRs sont plutôt équilibrés. J’ai par exemple utilisé une version personnelle de Mork Borg ou Black Hack pour faire du Trails. Et c’est passé crème. Le côté technique étant léger, les joueurs et joueuses qui ont compris le potentiel créatif ont pu plonger facilement dans l’univers et le ton sans perdre le côté héroïque et action.
Vient ensuite, et là, beaucoup vont tirer la tronche, les systèmes génériques. Certains systèmes génériques sont parfaits. FATE Core par exemple fera le taf (ma première vraie campagne était du Final Fantasy avec FATE et j’étais une quiche en règle et mastering, et pourtant..). FATE marche très bien sur tous les aspects, même le combat. Vous avez aussi le Cypher System de Monte Cook qui a plein de bons conseils et permet de générer très facilement les PNJS. Il marche aussi pas trop mal pour les Pokémons-like du coup.

Conclusion : Le Mieux est l’ennemi du bien
Fabula Ultima a peut-être gagné un prix, des fans mais… J’irais presque jusqu’à dire que c’est une énorme déception pour moi. Il m’aura fallu du temps pour le voir et je comprends que certains et certaines ne l’ont pas encore vu. Mais à force de vouloir rassembler tous les J-RPG, et bien… il n’en incarne aucun. Même pour les Final Fantasy dont il se rapproche le plus, ce n’est pas foufou. Je sais que le jeu a beaucoup de fans. Comme eux, j’ai l’ai adoré avant de me rendre compte de ces défauts et de ses limites. En fait, J-RPG veut seulement dire “jeu de rôle japonais”, ce n’est même pas un genre . Donc avec des fondations mal comprises et donc mal retranscrites, le jeu n’atteint pas son but.
Vous pouvez l’aimer, le jeu a du succès mais, tout comme D&D 5 a ses problèmes, Fabula Ultima a les siens. Et pour une fois où, enfin, nous avons été très nombreux à voir en Fabula Ultima le JDR pour faire du Final Fantasy, j’ai finalement réalisé que la promesse était un leurre. Ce n’est pas le seul d’ailleurs. Le JDR officiel FF14 est, à mon sens, également à côté de la plaque (et j’ai plus de 1500 heures dessus..). Quand des jeux qui ne cherchent PAS à faire du Final Fantasy ou d’autres RPGs japonais le font mieux que le jeu dont c’est l’objectif, c’est qu’il y a un souci.
