Il y a bien longtemps, le monde était plongé dans une succession de guerres cataclysmiques. Il lui fallut des millénaires pour s’en remettre et nous voilà replongé dans une ère médiévale. Ou presque.
« Encore un post-apo médiéval?! Mais, mais…Julien, tu es encore en train de nous parler de Wasteland? On a compris que tu aimais le jeu…
Et bien non ! Il s’agit d’Hawkmoon. Un post-apo médiéval dont la rudesse se voit accentuée par l’Invasion du sombre empire de Granbretanne. Un élément qui ajoute une plus-value conséquente, ainsi qu’un changement de ton et de paradigme. De plus, cette version d’Hawkmoon est extrêmement centrée sur la Résistance française face à l’envahisseur Granbreton. Mais on y reviendra.
Allez, hop, mon avis sur cette quatrième édition d’un univers fou et sombre.
Hawkmoon est à la base, comme Elric, une série de romans de Michael Moorcock, un écrivain anglais à succès. Si Stormbringer et Mournblade sont des
jeux médiévaux fantastiques situés dans le passé, Hawkmoon (toutes versions confondues) se passe dans le futur post-apocalyptique baroque. Si l’oeuvre et ses
jeux de rôles n’ont pas autant marché que leurs frères jumeaux, en France, cela fut un succès. Les trois premières versions d’Hawkmoon, éditées par Oriflam, sont
assez connues, notamment la toute première à laquelle j’ai pu jouer. Cependant, je trouve que le système Chaosium a très mal vieilli et j’ai préféré me tourner vers celle du Département des sombres projets, ensemble d’auteurs et éditeurs dont j’apprécie beaucoup le travail. Et, force est de constater qu’encore une fois ils ne déçoivent pas.
Le monde d’Hawkmoon est un monde fou. Post-Apo futuriste revenu à une ère plutôt médiévale, le tout teinté de science complètement débridée qui ressemble
à du steampunk (mais du steampunk romancé à la Penny Dreadful par exemple) sans en être, avec sa dose de mutants hostiles propres au post-apo… C’est vraiment un univers noir et hostile mais dans lequel il existe quand même de l’espoir et des décors vraiment superbes. Le tout accentué par les Grandbretons, qui forment une nation hostile rappelant les romains dans le meilleur des cas et les nazis dans le pire…
Avant de poursuivre, il me faut vous parler des Granbretons. Les antagonistes principaux d’Hawkmoon sont DÉCISIFS dans le ton de l’œuvre et du jeu de rôle.
Venant d’outre-Manche, les Granbretons ont pour ordre de conquérir et de dominer toute l’Europe du tragique millénaire. Et ils le font sans aucune pitié, avec
méthode, en usant d’une science d’un tiers technologique supérieur. Hawkmoon n’est donc pas à mettre entre toutes les mains et n’est pas pour tous les joueurs non plus. Expériences sur des enfants par l’ordre du Serpent, viols par l’ordre de la Mouche, meurtres gratuits par l’ordre du Chat, ville détruite par l’ordre du Loup sont d’autant de choses choquantes mais courantes dans le monde d’Hawkmoon. Pourtant, et ce que je vais dire n’engage que moi, je trouve qu’il faut un
certain recul et une certaine maîtrise du raffinement affiché par ces antagonistes pour les rendre d’autant plus dangereux mais, plus intéressants et intrigants que s’ils étaient juste des débiles mentaux utilisant d’une science avancée.
Par exemple, l’ordre du Renard inclut des diplomates (officiellement) et des assassins (officieusement). Pourquoi, alors, ne pas envoyer un membre de cet ordre au profil plutôt sympathique, voire empathique, qui ne porte pas son masque et qui va convaincre les têtes pensantes et les seigneurs de l’intérêt de s’allier au Sombre Empire? En parallèle, un membre de l’ordre du Glouton (qui sont des soldats d’élite agissant souvent seuls) peut, grâce à la science, se mettre en mode “Prédator” et éliminer les potentiels résistants… L’Ordre du Serpent peut proposer aux sorciers (scientifiques) de les rejoindre dans leur quête de savoir, l’ordre du Loup peut montrer un intérêt à recruter des soldats efficaces et disciplinés, etc. Car, quelles que soient les versions, il y trouve d’ énormes paradoxes pour ces chevaliers technologiques masqués qui ont vraiment du style. Par exemple, dans le livre de base, on a le processus classique d’approche de l’ordre du Loup qui,
comme dit un peu ci-dessus, demande prudence, subtilité et propose même des alliances. Ok, pas de soucis, c’est un ordre militaire et tactique prestigieux. Mais
quelques pages plus avant, on a un traité d’un membre de l’ordre du Renard (diplomatie, espionnage et assassinat) qui suggère qu’on rase un quartier si l’on y soupçonne la présence d’une résistance. Je trouve que, pour un ordre basé sur la finesse sociale, agir ainsi est complètement débile. Je trouve dix mille fois plus intéressant et dangereux de proposer de l’argent ou des privilèges aux gens du pays qui dénoncent les résistants. Comme pour les chaotiques mauvais de Donjons et Dragons, plus les ennemis sont vicieux, sournois et intelligents, plus ils sont dangereux. Je peux vous dire qu’UN SEUL Granbreton capable de se rendre invisible a de quoi rendre parano toute une table. De ce fait, je trouve que la cruauté des Granbretons DOIT exister mais qu’elle DOIT être traitée avec nuance et intelligence. Rien ne fait plus peur qu’un gradé Granbreton à l’attitude calme et réfléchie mais peut décider de tuer un personnage-joueur n’importe quand.
De fait, la carte X et la sécurité émotionnelle ne sont pas, de mon humble point de vue, compatibles avec Hawkmoon. C’est un univers très dur qui évoque des aspects sombres de la seconde guerre mondiale et ce n’est donc pas pour tout le monde. Vouloir utiliser la carte X à Hawkmoon, c’est un peu comme vouloir utiliser la carte X à Kult. C’est agir contre l’intérêt du jeu. Après, si pour une raison X ou Y vous ne voulez pas trop choquer à Hawkmoon, le mieux est alors de traiter les Granbretons comme une menace lointaine, qui s’approche et dont certains échos terrifient. En tout cas, c’est ce qu’un ami meneur de jeu à Hawkmoon et moi-même ferions. Pour peu que vous ayez des personnages-joueurs qui ont lutté contre les Granbretons, il est facile de garder leur noirceur sans les mettre “dans la face” de joueurs qui ne connaissent pas Hawkmoon.
Sur la forme et l’organisation du livre de base, on est proche du sans-faute. Les cartes intégrées sont un plaisir, l’Atlas est excellent, les différentes sections sont
super bien gérées et le Département des sombres projets a pris soin d’éviter certaines erreurs. On a donc par exemple une excellente section MJ avec bestiaire
humain et non-human bien séparé, de très bons conseils au MJ pour typer leur univers d’Hawkmoon. La création de personnage est chouette et on en parlera plus
loin. Le papier est solide et les illustrations sont vraiment pour la plupart, chouettes.
La création de personnage d’Hawkmoon est très cool et pour cause, comme pour Wasteland et Mournblade, le Département des Sombres Projets propose
de jouer des personnages compétents et destinés à devenir de vrais héros. Ainsi, vous avez des points à répartir, le tout est encadré afin de ne pas se planter, ce qui permet d’optenir un personnage compétent. Vôtre personnage peut également débuter plus fort, avec plus de points et de talents. D’ailleurs, rien n’oblige à jouer des résistants. Si vous voulez explorer le monde, jouer un granbreton (qu’il soit traître ou non), c’est possible.
Comme pour Wasteland et Mournblade, Hawkmoon utilise le CYD (Choose your dice) system. Comment marche ce petit système? Et bien simplement, vous
additionnez un attribut (force, adresse etc) à une compétence (un savoir, mouvements, mêlée, perception, etc) et 1 dé à 10 face ou 20 faces. Le tout devant
dépasser une difficulté ou l’opposition. Une différence de 10 au-dessus est une réussite critique et au-dessous un échec critique. Petite subtilité : si vous choisissez de lancer le dé 20, les scores impairs valent 0 et 1 et 11 sont automatiquement des échecs critiques.
La grosse différence avec Wasteland et Mournblade se situe dans la santé. Dans Hawkmoon, il n’y a plus de points de vie, ni d’armure pour réduire les dégâts. A
présent l’armure augmente la difficulté à être touché, comme la classe d’armure de Donjons et Dragons. Les personnages ont à présent des niveaux de combativité qui sont un nouveau moyen de gérer l’état des personnages. Ainsi un personnage vaincu n’est pas forcément mort… Si vous êtes touché, vous perdez un niveau de combativité. Ensuite, on calcule les dégâts. Que l’on compare à la Vigueur du blessé. Ceux-ci sont calculés différemment de Mournblade et Wasteland car les armes infligent (pour la plupart) peu de dégâts que l’on additionne à 1D10 (ou 2D10 explosifs en cas de critique). Si le score total dépasse la Vigueur du blessé, cela lui fait perdre un niveau de combativité additionnel puis, deux si vous dépassez du double, trois du triple, etc. A la fin d’un combat, un test permet de déterminer si vôtre état empire ou non.
L’un des éléments les plus notables d’Hawkmoon est la Science, que les personnages vont souvent appeller “Sorcellerie” car on est dans le paradigme
d’Ashton Clarke Smith : “ Toute technologie suffisamment avancée est indissociable de la magie”. En effet, la science dans Hawkmoon n’a pas vraiment de limites car on est dans une science-fiction post-apocalyptique complètement débridée et non dans de la “hard SF”. Des armes et armures aux véhicules en passant par les mutations, l’alchimie ou même l’électricité, la science permet de vous lâcher. Rien de compliqué, il vous faut logiquement des moyens, du temps. Et réussir un test.
Le jeu est alors un chef d’oeuvre me direz vous? Et bien non, malheureusement. J’adore le Département des sombres projets et ce qu’ils font mais j’ai la ferme impression qu’à chaque fois, ils manquent de faire un truc important. Dans Wasteland, ce sont les cartes intégrées qu’on a dans les premières et quatrièmes de couverture d’Hawkmoon, idem dans Mournblade qui n’avait pas de bestiaire… Dans Hawkmoon, il n’y a pas d’index et je trouve que c’est une importante faute d’ergonomie. Mais le pire est le scénario de base! Comment, bordel, peut-t-on se rater à ce point ?! Déjà le fait d’être dans une auberge réduit la perception des joueurs et de leurs personnages mais en plus, les Granbretons du scénario n’ont aucune subtilité ou nuance, éléments que je pense être indispensables.
Malgré la dureté de son monde, malgré le scénario catastrophique, malgré le manque d’Index, j’aime cette V4 d’Hawkmoon. Alors après avoir goûté à Wasteland,
je préfère quand même ce dernier à Hawkmoon. Cependant, les deux jeux ne sont pas concurrents mais plutôt complémentaires. Ma prochaine critique portera sur le supplément Résistance pour Hawkmoon et vu que les deux jeux ont le même système, vous pourrez constater la compatibilité entre les deux. La présence des Granbretons d’Hawkmoon amène un aspect oppressif qui n’est pas le même que celui de Wasteland, qui exploite un environnement plus hostile en extérieur. Si cela ne tenait qu’à moi, je vous dirais de prendre les deux mais, si vous ne pouvez pas vous le permettre, le choix vous revient. A noter que Wasteland est peut-être un peu moins trash.
Titre: Hawkmoon
Titre original: id. (Département des Sombres Projets – 2022)
Œuvre: HAWKMOON
Type: Livre de base
Création et rédaction: Jawad, Ismaël Saura, Vincent Zimmermann, Olivier Durand
Illustration de couverture: Olivier Ruillard
Illustrations: Zahir Aghakhani, Alain Brion, David Chapoulet, Nicolas Guéguen, Martin Legal, Borja Pindado, Olivier Ruillard, Christophe Swal, Grégoire Veauléger
Plans et cartes: Guillaume Tavernier
Matériel:
Livre de 336 pages couleur format A4 à couverture rigide
Edition: Département des Sombres Projets (2022)
Prix moyen constaté: 55,00€