Les Enfants de la Peur (L’Appel de Cthulhu): l’avis de G&P

Cette année, j’ai dépassé une frontière que jamais je n’avais imaginée atteindre : la soixantaine. Soixante ans, fichtre, dont une bonne quarantaine consacrée, entre autres, à la pratique du jeu de rôle. Et parmi ceux qui ont toujours eu ma préférence figure L’Appel de Cthulhu. Alors, autant dire que des campagnes de l’AdC, j’en ai fait un paquet, comme Investigateur mais surtout comme Gardien. Des classiques très directives comme Les Masques de Nyarlatothep, Les Montagnes Hallucinées ou Le Rejeton d’Azatoth, puis des plus modernes comme Les 5 Supplices made in Sans Détour, j’en ai vécue des expériences. Des bonnes ; des moyennes et, inévitablement, des mauvaises. Cette fois-ci, je voulais découvrir, et faire découvrir à mes joueurs, les nouvelles propositions de ce prestigieux éditeur qu’est Chaosium dans le domaine, avec en esprit la question : quoi de neuf au pays des tentacules ? Je me suis donc attelé à l’étude et à la maîtrise de Les Enfants de la Peur, une campagne de Lynne Hardy arrivée en langue de Molière accompagnée d’une excellent réputation.

Le plumage

Lors d’un récente interview que m’a accordée l’illustrateur Loïc Muzy, il déclarait, un brin désabusé, qu’un livre de L’Appel de Cthulhu était facile à vendre, il suffisait de mettre un tentacule en couverture. Là, sur la couverture de Les Enfants de la Peur, des tentacules, il n’y en a point. Mais que cette couverture illustrée par Caleb Cleveland est chouette, avec ce mystérieux personnage asiatique baignant dans une atmosphère pulp et colorée. Un petit air de Fu-Manchu ? Peut-être. Il faut préciser que, comme souvent avec les nouveaux produits Chaosium, la campagne peut être jouée avec Pulp Cthulhu, les règles traditionnelles ou avec les versions hybrides (en régulant la dose d’horreur et de létalité, notamment avec l’application de la Chance). Mes joueurs, eux, ont choisi la version classique, la plus hard. Les fous.

L’intérieur de l’ouvrage est en accord avec la couverture : superbe. La direction artistique harmonieuse et élégante est appuyée par une forte lisibilité. De nombreux encarts explicatifs appuient chaque chapitre, des cartes des différentes régions que vont traverser les joueurs, de nombreux portraits et illustrations de mise en ambiance. Bref, cet ouvrage fort de 382 pages est très agréable à lire, Et cela est heureux, car des informations, le Gardien va devoir en assimiler un grand nombre. Toutes les cartes, les PNJs et les aides de jeu sont inclues dans l’ouvrage, elles accompagnent le texte qui les concerne et sont reprises en fin de livre. A noter que, comme d’habitude chez Edge, un code présenté en début de livre vous permet de télécharger Les Enfants de la Peur en pdf, ce qui va vous permettre d’obtenir les aides de jeu et les cartes sans abîmer votre précieux bouquin en l’aplatissant dans la photocopieuse.

Le ramage

Contrairement à ce qui est souvent dit à son sujet, Les Enfants de la Peur n’est pas une campagne de style « bac à sable ». Cependant, les options sont tellement nombreuses que chaque groupe de joueurs à des chances de ne pas vivre la même aventure. Des choix leur sont proposés, ce qui va les entraîner à suivre des pistes différentes qui, au final, va les amener à une grande scène finale. Ils seront à ce moment armés différemment, en fonction des choix qu’ils ont fait tout au cours de leur périple, qui va les amener à voyager à travers l’Asie, principalement en Chine et en Inde. Une Chine en pleine transformation (révolution), les antiques pistes de la Route de la Soie, les périlleux cols de la chaîne de l’Himalaya, le glacial plateau du Tibet, les ruines des anciennes cités du Pamir, autant de lieux que les Investigateurs aventuriers (car cette campagne est une grande aventure exotique) devront traverser et explorer pour arriver à leur fin, engagés malgré eux dans une quête emplie de mystères et d’incertitudes. Les joueurs doivent également savoir qu’il n’y a pas que les connaissances acquises et les « objets trouvés » qui vint influer sur le déroulement du chapitre final, mais aussi leur comportement tout au long de leur quête à travers une règle de karma. Je n’en dis pas plus.

De plus, l’ouvrage inclut de nombreux lieux et rencontres optionnels, ce que va permettre au Gardien de développer des aspects qui intéressent les joueurs (quitte à digresser et semer un peu plus de confusion dans l’esprit des joueur, ce qui peut être très amusant), A l’inverse, il va pouvoir « sauter » les passages peu intéressants en usant de la technique du « trajet en rouge » qui va lui permettre de réduire au minimum les trajets entre deux lieux très éloignés, avec toujours la possibilité d’interrompre le voyage pour faire vivre un événement aux joueurs. Avec mes joueurs, nous avons choisi d’utiliser une grande carte poster pour marquer les déplacements au moyen d’un fil rouge, à la manière d’un film d’Indiana Jones. C’est à la fois très ludique et très évocateur sur le chemin parcouru. Mais attention, ce chemin parcouru n’est pas vain car, en fonction des lieux traversés et des compagnons de voyage, les Investigateurs vont pouvoir progresser avec des jets d’expérience, Par exemple, traverser les montagnes du Pamir va permettre au joueur de faire un test de Survie en montagne, ou voyager avec un Chinois va donner à l’investigateur de progresser, ou de débuter, dans le mandarin.

En plus des détails concernant la campagne, le livre fourmille d’informations sur la Chine et l’Inde durant les années 20. Tant et si bien que ce livre peut être utile à toute meneur de jeu désirant créer un scénario dans ces régions, en utilisant ses règles favorites. Détails géographiques (avec les superbes cartes d’Olivier Sanfilippo), historiques, politiques, anecdotes, description de lieux, Les Enfants de la Peur affiche une grande force documentaire et encyclopédique. Sans être rébarbatif à la lecture. S’il maîtrise bien ce livre, le Gardien sera prêt à répondre à toutes les questions des joueurs, même les plus étonnantes. Bon, personnellement, j’ai quand même consulté d’autres documents pour asseoir mes connaissances mais ce n’est vraiment pas indispensable.

Conclusion

Les Enfants de la Peur est une très bonne campagne, longue, amusante et pleine de rebondissements. Mais est-ce vraiment une campagne de L’Appel de Cthulhu ? Non, du moins si l’on se base sur les canons du genre, très « horreur cosmique ». Les Enfants de la Peur est un aventure très humaine, philosophique et humaniste, même si l’on peut la cuisiner à la sauce pulp. En fait, Les Enfants de la Peur témoigne d’une certaine évolution dans l’appréhension de L’Appel de Cthulhu, avec la mise en avant des rapports entre personnages et PNJ, et même leur environnement. On est plus dans le mysticisme que dans l’horreur brutale et « indicible » (même si le danger est partout, et les péripéties très dynamiques). Amis Gardiens, si vous désirez faire jouer votre table, il vous fera bien aviser les joueurs de ce fait, sous peine de les décevoir s’ils s’attendre à une aventure cthulhienne traditionnelle.

Enfin, la structure de cette campagne (qui, à mon avis, exige 4 à 6 mois de jeu pour arriver à sa conclusion – avec une séance hebdomadaire), composée de plusieurs parties dont le déroulement et le contenu dépendra exclusivement des choix des joueurs, oblige le Gardien a connaître en détails le livre dans sa totalité, ce qui demande un gros travail. Mais je trouve vraiment ce que cela vaut l’effort, tant cette campagne est de qualité.