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Monsterhearts sur Game On Tabletop: incarnez un monstre du campus

Drivées par Coralie David et Jérôme Larré, les éditions Lapin Marteau (qui l’on doit déjà l’excellentissime nouvelle édition de Château Falkenstein) ont lancé sur Game On Tabletop une campagne de financement pour la version française de Monsterhearts, un jeu de rôle made in Canada d’Avery Alder paru en 2012. A noter qu’une première version française, assez confidentielle, était parue en 2013 chez La Boîte à Heuhh, alors éditeur d’Apocalypse World, auquel Monsterhearts emprunte le système.

Des monstres au lycée

De quoi s’agit-il ? Au premier regard, Monsterhearts pourrait se définir comme un jeu de rôle « bit-lit », chaque joueur incarnant un jeune personnage, ou plutôt un jeune monstre, évoluant dans un univers estudiantin évoquant les high schools américaines, avec ses triangles amoureux, ses joies, ses peines et ses recherches identitaires. Au choix du joueur, celui-ci va pouvoir endosser la personnalité et les caractéristiques d’un Vampire, d’une Sorcière, d’un Loup-Garou, d’une Goule et plusieurs autres créatures présentées sous formes d’archétypes. Dans le jeu, on désigne cela sous le nom de « mue ». Mais, attention, Monsterhearts n’est pas une banale et innocente retranscription d’un épisode de Buffy ou de Roswell. Du moins, il n’est pas que cela si on le souhaite. Car sa substantifique moelle se trouve ailleurs, à travers une série de questionnements sociétaux et moraux (un peu comme dans les Ginger Snaps, mais en y modifiant les codes). Il est conçu comme une méthode ludique pour plonger les joueurs dans des situations souvent inconfortables qui vont les amener à réfléchir sur leurs convictions et leurs préjugés, avec la mise en avant des notions de genre et de « race », en les confrontant avec les préjugés propres à la « monstruosité » de leur personnage.

Le fantastique est un style littéraire qui, dès son origine, utilise les créatures monstrueuses comme autant de métaphores sur les comportements sociétaux, les conventions en cours et la psyché humaine. De Sheridan Le Fanu à Bram Stocker, en passant par Mary Shelley ou Edgar Allan Poe, leurs écrits avaient comme objectifs profonds la mise en place de questionnements sur ce que l’on considérait comme des « déviances » sexuelles et/ou blasphématoires. Monsterhearts re-exploite le filon en le modernisant pour le placer dans un environnement familier, celui de la communauté adolescente et post-adolescente, avec sa violence insidieuse mais bien présente. Monsterhearts est aussi présenté par ses auteurs comme un jeu de rôle « queer » et très sexualisé dont le niveau peut être adouci par des « Fondus au noir » ou l’usage de la carte X.

Manipulation et pulsions sexuelles

Monsterhearts est un jeu de rôle de séduction, d’emprise et de domination. Chaque joueur va  donc pouvoir jouir des caractéristiques « monstrueuses » (des valeurs chiffrées de Sexy, Glacial, Ténébreux et Impusif) de son personnage pour arriver à ses fins. Par exemple, la Reine est décrite comme populaire, dangereuse, méchante et despotique. Son objectif est d’agrandir et d’entretenir sa cour en usant pour cela de tous les moyens, qui vont de la séduction à l’humiliation en public, à travers des actions spéciales propres à son archétype. Cela peut être la capitaine des cheerleaders ou le quaterback de l’équipe du lycée, tout comme un ou une alien au puissant pouvoir de séduction. Peu importe. Lors d’une partie, à l’occasion de ses échanges avec les autres lycéens (voire professeurs), un personnage va gagner (ou perdre !) des points d’Ascendants, qui représentent l’emprise qu’un personnage a sur d’autres PJs (ou PNJs). Lorsqu’un personnage possède des points d’Ascendants sur un autre personnage, il va pouvoir les dépenser pour améliorer ses tests d’actions qui visent à manipuler ce dernier. Mais attention aux dérapages ! Un personnage, en cédant trop à son démon intérieur, prend de gros risques, celui de libérer la « bête » qui se cache en lui. Blessée dans son amour-propre, Cindy, une lycéenne séduisante et populaire, peut alors se transformer en une terrible louve-garou assoiffée de sang. Ce qui, si cela se produit à la sortie du cinéma du coin, cela peut avoir quelques fâcheuses conséquences. Contrôler son démon intérieur fait également partie du jeu.

Le lycée de l’Apocalypse

Le système utilisé par Monsterhearts est celui d’Apocalypse World. Le PBTA (Powered by the Apocalypse) est un système narratif qui met à contribution meneur de jeu et joueurs puisque ces derniers participent activement à la mise en place de l’histoire et à son déroulement, principalement via l’échange et le dialogue avec des constructions d’actions proches de scènes cinématographiques interactives (si vous ne connaissez pas le PBTA, je vous invite à consulter notre article sur le sujet). Le système PBTA se traduit par des caractéristiques que l’on a vues plus haut et des actions génériques qui sont ici :
– Allumer (Sexy) : tenter de séduire quelqu’un.
– Rembarrer (Glacial) : tenter de miner l’aura et la confiance en soi de quelqu’un.
– Garder son Sang Froid (Glacial) : tenter de garder son calme devant une situation effrayante ou dérangeante.
– Cogner (Impulsif) : tenter d’agresser physiquement quelqu’un
– Fuir (Impulsif) : tenter de se mettre à l’abri du danger
– Contempler l’Abysse (Ténébreux) : Méditer sur un sujet pour en améliorer l’appréhension.

Toutes ces actions, selon le principe du PBTA, les joueurs doivent se les approprier pour les interpréter en fonction du résultat du jet de 2d6. Nombre d’entre elles permettent de gagner des points d’Ascendant, ou d’en faire perdre à sa cible.

L’un des éléments importants de Monsterhearts est l’action sexuelle, dont les conséquences dépendent de la mue des participants. Par exemple, quand une Fée couche avec quelqu’un, elle peut lui demander de lui faire une promesse, s’il refuse, la Fée gagne deux Ascendants sur lui.

Un jeu atypique sur un thème d’actualité

Au final, Monsterhearts est un jeu de rôle très particulier qui nous mets face à nos préjugés et à nos certitudes, notamment pour ce qui touche à la notion de genre. C’est assumé car c’est le but recherché par Avery Alder, une conceptrice de jeux canadienne qui se revendique du mouvement queer. Une partie peut donc générer des situations délicates, émotionnellement éprouvantes, voire malaisantes. Evidemment, cela reste un jeu et tous doivent en avoir bien conscience, à commencer par le MC (Maître, ou Maîtresse, de Céromonie), titre désignant le meneur de jeu. Cependant, si la bienveillance doit rester de mise, on peut ressortir d’une séance un peu ébranlé. Les auteurs conseillent d’ailleurs de bien « digérer » une partie avant de rempiler.

La campagne

La campagne de financement s’achève le 8 aout 2023. L’objectif est déjà atteint et même largement dépassé. Monsterhearts est proposé en deux volumes et un écran de jeu. Le premier Volume (celui qui nous avons eu l’honneur et le plaisir de recevoir) peut être posé comme le livre de base car il se suffit à lui-même pour organiser une séance de jeu. Le deuxième Volume est un supplément écrit par Avery Alder, Sawyer Rankin, Coralie David et Jérôme Larré qui inclut des mues supplémentaires, un décor détaillé, des aides de jeu, des notes de conception…

A noter que cette édition se voit enrichie d’illustrations originales, fruits des travaux de Maël Alcantara, Annaconda, Julie Ducasse, Fabrissou, Neil Fragnier, Jérémie Moran et Yannis Vannod.

Pour en savoir plus, rendez-vous sans attendre sur la page Game On Tabletop de Monsterhearts.



Nicolas Lamberti

Nicolas Lamberti, journaliste et traducteur freelance, critique littéraire et réalisateur de télévision

Nicolas Lamberti

Nicolas Lamberti, journaliste et traducteur freelance, critique littéraire et réalisateur de télévision