Nul ne sait, pas même les membres les plus éminents des Ministères, depuis combien de temps l’humanité vit dans l’ombre de l’Objet-Dieu, cet étrange et gigantesque artefact qui obscurcit le ciel et protège la Terre des monstres qui hantent l’espace. Comme tous les autres humains qui peuplent encore une planète désormais sinistrée, les habitants d’Olomóc ont appris à vivre dans un environnement semi-obscur qui est seulement coupée par les brefs faisceaux de lumière divine émanant de l’Objet-Dieu. La vie est dure dans les champs, les usines et, dans une moindre mesure, dans les bâtiments administratifs. Mais tous ont bien assimilés l’idée que c’est la seule manière d’assurer leur survie et de mériter la bénédiction de l’Objet-Dieu. De toute façon, dehors, de l’autre côté des murs, c’est le royaume du Fiel, de la Noirceur, des monstres et des mutants. Alors…

BIENVENUE A OLOMÓC

Olomóc, c’est la sécurité. Derrière les solides rangées de murailles de la cité, tous les citoyens, quels que soient leurs rangs, se pensent à l’abri du Fiel, des Autres, ces créatures qui jaillissent régulièrement des Axes, et des monstruosités qui hantent les campagnes et les marais environnants. De plus, la Garde Noire est là pour les protéger de toute attaque extérieure et si l’Objet-Dieu a privé l’humanité de l’électricité, dans sa grande bonté, il lui a offert une nouvelle technologie, une énergie quantique qui contribue au fonctionnement de la cité et offre quelques conforts, comme la lumière et la chaleur… et même le train, qui permet de rester en contact avec les autres Blocs. La grande majorité des citoyens, naissant, vivant et mourant au sein de leur propre communauté de quartier, accepte finalement les contraintes d’une existence privée de liberté individuelle. Cependant, vous, comme quelques autres, vous sentez que quelque chose se cache derrière les murs des Ministères. Vous vous sentez différents, indisposés par la relative tranquillité des habitants d’Olomóc qui remplissent quotidiennement leurs tâches répétitives au service de la communauté. Si l’Objet-Dieu est un bouclier protégeant l’humanité de la destruction, une bénédiction, voire un dieu, pourquoi délivre-t-il ces miasmes chaotiques qui pervertissent les âmes et les corps? Vous doutez.

NOC est un jeu de rôle créé par Mikaël Cheyrias et l’équipe de Sethmes Éditions. Le livre de base se compose de deux grandes parties, elles-mêmes subdivisées en plusieurs sections. C’est un sacré gros pavé de plus de 300 pages écrit en tout petit mais, heureusement, la typo est agréable et la mise en page bien aérée par des illustrations installant l’ambiance. Au-delà de cette superbe couverture sur laquelle domine un logo de métal hérissé de pointes, la première impression qui émane quand l’on tourne les premières pages baignant dans des ambiances claires obscures, c’est celle du fruit d’un travail sérieusement pensé en amont, voire mûri pendant des années par son créateur.

CITOYEN, C’EST POUR TON BIEN

La première partie est consacrée à la description d’un univers sombre, laborieux et dystopique. Un monde post-apocalyptique où les survivants de l’humanité se sont réfugiés dans des villes fortifiées baptisées les Blocs. Olomóc, la ville qui sert de base aux héros est située en Bohême, entre Prague et Ostrava (une carte détaillée de la ville est incluse dans le livre). Mosaïque d’usines et de bureaux, baignant dans les fumées industrielles et les lumières blafardes des lampes quantiques, la petite cité a acquis son indépendance vis à vis de cette dernière dans des circonstances peu claires et, désormais, elle s’est rapprochée de Prague avec laquelle elle fait commerce et entretient des liens diplomatiques. Toutes les nations ayant depuis longtemps disparues, Olomóc peut être considérée comme une cité-état, avec ses responsables et son gouvernement autoritaire, représentant local d’une Administration qui est à tout autant une église qu’un consortium politique universel.

L’univers de NOC nous plonge dans un environnement en grande partie urbain (du moins, dans un premier temps) où la population est soumise à une sorte de théocratie autoritaire qui cultive un dogme hissant cet étrange artefact stellaire au rang de déité. Remettre en cause la légitimité de l’Administration est un acte de trahison qui met en danger la survie de l’humanité… et est donc passible de la plus terrible des punitions. Au regard de cette communauté dévote,c’est également un blasphème car tout acte allant à l’encontre des codes établis est une atteinte à la parole des sauveurs de l’humanité, les Messagers de l’Objet-Dieu, ces anciens prophètes qui, jadis, ont porté à travers le monde le message d’espoir de l’artefact et contribué à la création des Blocs, du Complexe et de l’Administration. Heureusement pour la tranquillité des citoyens vertueux, la PoliSec veille au grain. Et tant pis si leurs méthodes sont parfois un brin excessive. L’important, c’est le résultat, non?

QUAND KAFKA CROISE CLIVE BARKER

Le citoyen se voit attribuer par sa naissance un rang social qu’il lui est très difficile de quitter. Il évolue dans une société rigide et fortement administrée qui laisse peu de place à l’improvisation et à la fantaisie. Chaque habitant d’Olomóc est fiché et se voit attribuer un Carnet de Citoyen sur lequel est reporté son Rang social. Carte d’identité, le Carnet de Citoyen est également une carte d’accès, un badge social qui balise sa vie professionnelle et privée. NOC évoque à la fois le délire kafkaïen de Brazil et le cauchemar dystopique de 1984, avec l’ajout d’éléments horrifiques (un chouette petit côté Hellraiser) métaphysiques et mystiques (ça lorgne vers Philip José Farmer mais aussi vers Dark City et la littérature cyberpunk des années 80). Il ne faut cependant pas oublier l’élément héroïque car les joueurs, tel Neo dans Matrix, sont invités à interpréter des personnages hors normes à la lutte avec un metaplot aux multiples ramifications.

Dans cette partie, les auteurs nous proposent une description très détaillée de toutes les composantes du Bloc d’Olomóc à travers un découpage précis. Tout y est: justice, économie, urbanisme, industrie, science, armées, culture, personnages marquants, lieux importants, ressources énergétiques. Le livre inclus un découpage précis de la ville, sur plusieurs niveaux. De nombreuses descriptions concernent des aspects qui doivent rester inconnus aux jeunes personnages, comme des informations sur le Complexe et le Directoire. Ils les découvriront au fil de leur initiation. Les joueurs devraient donc être prudents en lisant cet ouvrage où beaucoup d’éléments sont réservés aux MJs. En effet, NOC est avant toute chose un jeu de rôle à secrets. Des secrets que les personnages vont découvrir petit à petit en vivant des aventures initiatiques présentées au sein d’une gamme fermée… jusqu’à un dénouement que l’on devine paroxystique. 

AU COEUR DU SECRET

Les derniers chapitres sont clairement destinés au MJ (La Loi) puisqu’il est consacré aux secrets de l’univers (la Gnose), avec des détails sur l’histoire, l’apparition de l’Objet-Dieu, la cosmogonie particulière à cet univers, des galeries de personnages et de créatures et des conseils pour mener une partie dans un univers aussi complexe et structuré que NOC sans commettre d’impair. Evidemment, je n’en dirai pas plus pour éviter de révéler quelques secrets mais sachez que, pour la grande aventure NOC, les personnages vont voir leur histoire se découper en trois actes (Les Lueurs obsidionales, Dédale et Oméga), qui seront détaillés dans les suppléments à venir. Aucun scénario, en effet, n’est présent dans ce livre de base.

LA LOI DE NOCTURNE

La seconde partie, plus courte, est consacrée aux règles. Le système NOCTURNE qui motorise NOC se veut simple et particulièrement adapté à cet univers encourageant la narration. Dans NOC, un personnage est défini par une liste de 28 Talents regroupés dans sept Domaines qui sont Érudition, Technique, Action, Statut, Âme, Social et Vie. Par exemple, le Talent Soin appartient au Domaine Vie et le Talent Combat au Domaine Action. Chaque Talent se voit attribuer une valeur comprise entre -1 (totalement incompétent) et 4 (expert) voire parfois plus. La valeur de base est 0. Le Domaine possède également une valeur qui, généralement, est de 2. Le personnage se voit également attribuer des caractéristiques dérivées (les Réserves) qui sont Vécu (3 points à la création du personnage), Singularité (dérivé de Artefact), Espoir (dérivé de Ferveur), Faveurs (dérivé de Contacts) et des jauges d’état: Blessures, Noirceur et Trauma. A noter que si la création de personnage est totalement libre, un bon nombre d’archétypes, qui vont de l’Artisan au Syndicaliste, sont inclus pour aider à créer des personnages cohérents et jouables. Entre chaque scénario, chaque Héros reçoit des points de Progression qui vont permettre au joueur de développer son personnage mais également des… points de Régressions. En effet, tous les six mois (en terme de jeu), un joueur doit diminuer l’un de ses Talents de 1 point. Les Héros peuvent également gagner des points de Progression par “Illumination” quand ils sont témoins ou acteurs d’un événement extraordinaire. 

Quand un personnage souhaite réaliser une action, on compare la valeur du Talent sollicité au niveau de difficulté de l’action.. Si le niveau du personnage est supérieur ou égal à la difficulté, l’action est automatiquement réussie. Par exemple, si le personnage a un Talent d’Ingénierie égal à 2 et qu’ intervenir sur un véhicule en panne est une action de difficulté 2, le personnage va automatiquement réussir à dépanner le véhicule. Pour les combats, la mécanique est sensiblement la même, il utilise son Talent Combat contre un niveau de difficulté défini par la situation. Les Blessures sont générées par la valeur de dégâts de l’arme utilisée (plus la valeur du Talent Constitution dans le cas d’un corps-à-corps). Lors d’un combat, un personnage peut accomplir une action Principale et une action Annexe. Une action Annexe peut être un déplacement, une parade, une préparation.

C’EST TON DESTIN… (air connu)

Si le personnage n’a pas la valeur nécessaire pour réussir automatiquement son action, ou s’il souhaite obtenir un résultat supérieur à la simple réussite, il peut provoquer le destin. A ce moment, il peut lancer autant de d10 que la valeur de Domaine auquel appartient le Talent sollicité. Par exemple, si le personnage n’a qu’une valeur de 1 dans le Talent Ingénierie, il peut tout de même tenter de réparer le véhicule en lançant un ou deux d10 (les dés de Destin) si sa valeur dans le Domaine Technique est de 2. Chaque dé qui donne un résultat de 8, 9 ou 10 améliore la valeur du Talent de 1. De plus, tout dé donnant un 10 peut être relancé! Mais, vous vous en doutez, provoquer le Destin comporte un prix et un risque. Tout d’abord, pour chaque dé de Destin, vous allez devoir dépenser un point de Vécu. Sachant qu’un personnage débutant n’en dispose que de 3 au début de chaque scénario, cela nécessite réflexion. Ensuite, il y a le risque de générer du Fiel.

Quand un personnage provoque le Destin, chaque dé qui donne un score de 1 génère une goutte de Fiel qui est appliquée non pas au personnage mais au groupe de héros. A chaque fois que le groupe accumule 5 gouttes de Fiel le niveau de Menace de l’histoire augmente de 1 (avec des conséquences pour les personnages que vous imaginez peu agréables et qui sont précisées dans les règles). Le Fiel est un élément majeur de NOC, liquide noir et visqueux qui s’écoule de l’artefact, il est à la fois la matérialisation physique de la Noirceur, son medium et une source de mystère qui passionne les hautes instances d’Olomóc, et notamment le département de l’Harmonie et du Progrès.

NOIR, C’EST NOIR (autre air connu)

Une donnée à prendre également en compte est la Noirceur. En quelque sorte, la Noirceur est l’Ombre de l’Anneau Unique, un concept ésotérique qui traduit une force invisible qui pervertit et distortionne l’âme du citoyen de cette ère obscure jusqu’à le transformer en quelque chose qui n’a plus rien d’humain (même si parfois, il en garde l’apparence). Quand un personnage exécute un acte vil ou qu’il se retrouve devant ou dans une source de Noirceur, comme nager dans du Fiel, il reçoit des points de Noirceur. Quand un Héros a accumulé 10 points de Noirceur, il est un Corrompu et n’est plus jouable. Mais avant cela, chaque palier de Noirceur franchi transforme le Héros en un individu de moins en moins fréquentable… et contrôlable. Si vous jouez à L’Appel de Cthulhu, vous comprenez ou je veux en venir…

L’AVIS DE GUERRE & PLOMB

J’ai été scié. Littéralement. Ce livre de base, que l’on devine le fruit d’un travail créatif colossal, est un véritable bijou. Du travail d’orfèvre. Cet univers fourmillant d’idées et de détails se voit mis en valeur via un travail d’écriture cohérent et admirablement structuré par sections et chapitres qui évite au lecteur de se perdre. Sethmes Éditions nous propose ici un terrain de jeu sombre et adulte, aux enjeux cosmiques, avec des défis passionnants, autant pour les MJs que pour les joueurs. Sa lecture est un régal pour le MJ qui apprécie les jeux de rôle s’appuyant sur un univers riche d’une cosmogonie et d’un environnement détaillé. NOC est également un jeu de rôle qui, par sa mécanique, privilégie la narration. Les jets de dés peuvent être rares. Avec NOCTURNE, si vous savez le faire, vous le faites. Un démarche pertinente car elle colle parfaitement à ce type de jeu ou le mystère, le secret et l’intrigue doivent être le centre du gameplay. La gestion des combats est aussi simple que intuitive.

Bien sûr; NOC ne plaira pas à tout le monde. Ces univers dépressifs ne peuvent faire l’unanimité, tout comme le principe des jeux de rôle “à secrets” découpés en épisodes. De plus, NOC demande de la part des joueurs et du MJ un important investissement intellectuel afin de parvenir à bien s’imprégner d’un environnement paranoïaque, oppressant et horrifique.  Un jeu de rôle pas facile donc, mais pour ceux qui aiment les univers SF complexes et originaux, ce n’est que du bonheur.

FICHE TECHNIQUE

NOC

Un jeu de Mikaël CHEYRIAS
Conception: Cédric CHAILLOL, Elwin CHARPENTIER, Mikaël CHEYRIAS, Mickaël SIBEUD, Jérôme TROMPARENT
Illustrations: Johann BODIN, William BONHOTAL, Tarik BOUSSEKINE, Cédric CHAILLOL, Pascal QUIDAULT, Timofey RAZUMOV, Francesco SAVIANO, Sergey VASNEV
Éditions: SETHMES ÉDITIONS
Livre format A4 à couverture rigide de 304 pages
Prix: 55,00€
Livraison prévue en novembre 2021

LA BANDE D’ANNONCE DE NOC

L’INTERVIEW DE MIKAËL CHEYRIAS SUR G&P

Pour plus d’infos:
Le site internet de Sethmes Éditions
La page facebook de Sethmes Éditions

Nicolas Lamberti

Nicolas Lamberti, journaliste et traducteur freelance, critique littéraire et réalisateur de télévision

Nicolas Lamberti

Nicolas Lamberti, journaliste et traducteur freelance, critique littéraire et réalisateur de télévision

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