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Te Deum pour un Massacre: l’interview de Jean-Philippe Jaworski

A l’occasion du prochaine lancement de la campagne de financement de la nouvelle édition de Te Deum pour un Massacre par Open Sesame Games, nous avons contacté son auteur, Jean-Philippe Jaworski, pour qu’il nous parle un peu plus de ce jeu de rôle, et qu’il nous fournisse quelques précisions sur les changements entre cette nouvelle vision et les précédentes. Jean-Philippe Jaworski s’est gentiment prété à cet exercice de questions-réponses.

G&P: Bonjour Jean-Philippe, vous êtes aujourd’hui un romancier célèbre pour vos œuvres fantastiques et légendaires, notamment depuis le succès du multi-récompensé Gagner la guerre, paru en 2009 chez Les Moutons Électriques. Peu de lecteurs savent que vous êtes également un auteur de jeux de rôle et que l’on vous doit l’un des rares jeux de rôle purement historique français, à savoir Te Deum pour un Massacre. Cela pourrait sembler paradoxal, non ? Pouvez-vous nous conter la genèse de ce jeu ? Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire un jeu de rôle sur les guerres de religion ?

JPJ : En fait, je ne vois pas ce que cela a de paradoxal. En tant que rôliste, j’ai joué à des jeux appartenant à divers genres : fantasy, fantastique, historique, SF, policier… En tant qu’auteur, j’écris des romans de fantasy historique.

C’est un curieux enchaînement qui m’a conduit à créer Te Deum pour un massacre. Au début de ma carrière d’enseignant, la littérature du XVIe siècle figurait toujours au programme de seconde et c’était un objet d’étude assez ardu pour de jeunes lycéens. Afin de mieux contextualiser les textes étudiés en cours, je m’étais intéressé de plus près à la Renaissance et cette période historique m’avait séduit. À peu près à la même époque était sorti en salles La Reine Margot, de Patrice Chéreau, qui avait été un choc esthétique pour moi. Ce furent les deux facteurs déclenchants de mon désir de créer un jeu sur la Renaissance. Toutefois, il ne s’agissait pas d’un jeu de rôle mais d’un jeu de plateau, où chaque joueur représentait une grande famille catholique ou protestante des guerres de Religion qui tâchait de prendre le contrôle de la couronne et d’imposer sa foi. Ce jeu eut tant de succès auprès de mes joueurs  qu’il me donna l’idée de leur proposer un jeu de rôle dans la même période. D’où Te Deum pour un massacre.

Te Deum pour un Massacre, la version Matagot et la future version Open Sesame Games

G&P: En son temps, Te Deum pour un Massacre a marqué les esprits des joueurs, à la fois par son thème très peu exploré et par la qualité de, ou plutôt des ouvrages, et leurs formats, plus proches de celui des livres de la collection Pléiade que du format « JDR » classique. J’ai toujours pensé, mais je me trompe peut-être, que la qualité de ce jeu, et son succès, était la résultante d’une complicité entre deux personnes : vous et Hicham Ayoub Bedran, alors boss de Matagot. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ? D’ailleurs, qu’est-ce qui a bien pu pousser Hicham à éditer un tel jeu ? Avec les risques que cela comportait ?

JPJ : Quand j’ai créé la version amateur de Te Deum pour un massacre, je n’ai pas envisagé de le proposer à un éditeur : j’avais l’impression que c’était un jeu de niche qui ne serait jamais rentable. Je me suis contenté de le partager gratuitement sur La Cour d’Obéron et d’en faire quelques parties de démonstration en salon. Le jeu a été remarqué par Tristan Lhomme qui lui a consacré une tête d’affiche dans Casus Belli première version. D’une façon ou d’une autre, Hicham a alors découvert le jeu et m’a contacté pour me proposer de l’éditer. Il croyait (à juste titre) que Te Deum… possédait un potentiel commercial. J’ai alors refondu complètement les règles et largement réécrit le jeu en vue de cette édition. Quant à Hicham, il a recruté des illustrateurs et s’est montré particulièrement ambitieux dans la fabrication des objets livres : d’édition en édition, il propose toujours des ouvrages plus luxueux. Le fait est que l’édition professionnelle du jeu doit énormément à son enthousiasme et ses prises de risques.

G&P: Te Deum pour un massacre invite joueurs et meneur à revivre un des épisodes comptant parmi les plus sombres de notre histoire. Une terrible guerre civile dont le paroxysme fut la nuit de la Saint Barthélemy. Un sujet un peu casse-gueule, quand même, non ? Veuillez me pardonner l’expression. Quelle était votre intention première quand vous vous êtes lancé dans son écriture ? Le processus créatif ? N’avez-vous pas eu la crainte que les joueurs s’approprient l’Histoire (avec un grand H) pour la digresser, la déformer, voire la réécrire ?

JPJ : En fait, la fin du XVIe siècle français connut huit guerres civiles qui, en l’espace d’une trentaine d’années, furent plus destructrices que la guerre de Cent Ans – qui s’était en fait étalée sur cent quinze ans… Mais cette période tragique est aussi une séquence extraordinairement brillante sur le plan culturel. Même les querelles les plus meurtrières ont donné naissance à des concepts dont nous sommes toujours les héritiers – comme la tolérance, notion construite dans la souffrance des guerres de Religion. En outre, rien de mieux que les époques troublées pour vivre des aventures : or qu’est-ce qu’un PJ sinon un aventurier ?

Par ailleurs, ce qui m’intéressait aussi dans le contexte des guerres civiles, c’étaient les dilemmes qui se posaient aux PJ : que choisir entre la foi et la loyauté ? Entre l’allié étranger et l’ennemi intime ? Entre l’honneur et la conscience ? Le drame ne reposait plus seulement sur le conflit entre les camps mais aussi et surtout sur le conflit intérieur.

Que les joueurs s’approprient l’histoire pour la déformer ou la réécrire, c’est leur droit le plus absolu. Tant que c’est dans le cadre d’une partie et que cela relève de la fiction, cela fait partie du jeu.

G&P: D’ailleurs, dans Te Deum pour un massacre, quels types de personnages incarnent les joueurs ? Des personnages historiques, comme le duc de Guise, Gaspard de Coligny ou même Henri de  Navarre, ou des personnages fictifs ?  Quels rôles sont-ils invités à jouer au sein de ce conflit ?

JPJ : Les joueurs sont plutôt invités à incarner des personnages fictifs, les grandes figures historiques étant plutôt des PNJ. Jouer les grands personnages des guerres de Religion serait d’une extraordinaire complexité pour le MJ comme pour les joueurs. Ce qui faisait la puissance des chefs de parti venait autant de leurs compétences personnelles que de leur entourage familial et de leur clientèle : les incarner impliquerait pour les joueurs une connaissance encyclopédique de la noblesse française et étrangère, sans parler du clergé, de la grande bourgeoisie et de la diplomatie internationale. 

Les joueurs sont plutôt amenés à jouer des membres de ces clientèles, depuis la noblesse seconde jusqu’aux gens du petit peuple. La société de la Renaissance est d’une grande diversité ; si les inégalités y sont très fortes, les milieux sociaux s’y mélangent au quotidien. Des personnages d’humble origine peuvent interagir avec les élites en œuvrant dans la domesticité ou les forces armées, ou bien en les fréquentant dans les confréries catholiques ou le culte réformé. Cela donne une grande souplesse à la constitution des groupes de PJ. Par ailleurs, le conflit religieux traverse toute la société et peut donc impliquer des personnages de tous les milieux. 

G&P: Venons-en à la prochaine édition, si vous le voulez bien. A qui doit-on cette initiative, vous ou Hicham ? Car par-delà le fait que la dernière impression de Te Deum pour un Massacre, qui date de 2010, et qui est quasiment introuvable aujourd’hui, on peut se demander ce qui vous a poussé à vous replonger dans un domaine que vous avez quitté depuis si longtemps.

JPJ : L’initiative vient d’Hicham, qui tenait à proposer une troisième édition aux joueurs. 

G&P: Ce nouveau Te Deum pour un Massacre est-il toujours un jeu du seul Jean-Philippe Jaworski ? Le cercle de créateurs a-t-il été élargi ?

JPJ : La seconde édition comportait déjà des compléments apportés par un certain nombre de collaborateurs (Mathilde Bartholin, Stéphane Chapuis, François-Xavier Cuende, Sylvain Ferrieu, Josselin Moneyron, Alain Rozenblum et Jean-Baptiste Syda). La troisième édition sera aussi enrichie par des collaborateurs, historiques comme François-Xavier Cuende ou nouveaux comme le très actif Romain Delplancq.

G&P: J’ai pu lire dans le communiqué de presse d’Open Sesame Games que la période exploitée dans le jeu était plus large. Qu’est-ce qui vous a poussé à faire ce choix ? 

JPJ : La troisième édition couvrira toute la période des guerres de Religion, jusqu’en 1598, et ne s’arrêtera pas en 1572 (soit à la veille de la quatrième guerre). C’était le projet initial, qui avait été contrarié par un problème de planning. Si ma mémoire ne me trahit pas, Hicham m’avait donné une deadline en 2002 pour l’établissement de la première édition, prévoyant une publication en 2003. En 2002, je n’avais pu établir la synthèse historique au-delà de 1572 – à ma grande frustration, d’ailleurs, car je trouve le règne de Henri III (roi de France de 1574 à 1589) absolument passionnant. C’était d’autant plus dommage que des retards éditoriaux finirent par repousser la publication du jeu en 2005 ; mais il était trop tard pour que j’y revienne, j’étais engagé dans d’autres projets. La troisième édition permet donc de remplir cet objectif initial.

G&P: Que pouvez-vous nous dire sur la mécanique ? Sera-t-elle identique que celle de la précédente édition ? Bénéficiera-t-elle d’un tout nouveau système, plus « moderne » ? Cela va-t-il changer sensiblement le gameplay ?

JPJ : Les règles de combat et de progression des personnages sont revues pour un jeu plus dynamique ; la révision des règles pour favoriser plus de fluidité est toujours en test ; il est encore prématuré de donner des détails. Le système de création de personnages par QCM est conservé. Les règles resteront globalement compatibles avec les précédentes éditions et permettront toujours d’utiliser les anciens suppléments.

G&P: Comment va se présenter cette nouvelle édition ? J’ai cru voir plusieurs livres dans les premiers communiqués qui nous arrivent ?

JPJ : Le (très beau) coffret de base comprendra trois livres. Le Livre I, Société & États, traite de la civilisation du XVIe siècle, des provinces du royaume et de la question religieuse. Le Livre II, Chroniques des guerres de Religion, porte sur les conflits entre 1559 et 1598. Le Livre III contient les règles du jeu.

G&P: Et pour ce qui est des illustrations ? Le noir et blanc était de rigueur dans l’édition Matagot, avec notamment des dessins de Rolland Barthelemy. Avec l’évolution qualitative dans l’édition des jeux de rôle qui a eu lieu ces dernières années, la clientèle se voit proposer des ouvrages de plus en plus luxueux, avec des illustrations couleurs, des rubans marque-page, voire même des couvertures similicuirs dans les éditions dites « collector ». Allez-vous suivre la tendance ?

JPJ : En effet. Alors que la couverture de la deuxième édition était déjà luxueuse, celle de la troisième le sera davantage : format plus grand en simili-cuir, motifs en rouge et or, marque-pages. L’intérieur reste en noir et blanc pour conserver le style de Rolland Barthélemy, qui réalisera de nouvelles illustrations pour cette édition. D’autres artistes enrichiront les illustrations du jeu, notamment Ivan Gil et Gianenrico Bonacorsi, sans oublier le très beau tryptique en couleur d’Ugo Pinson pour l’écran de jeu.

Q&P: L’on devine que votre activité de romancier doit occuper une grande partie de vos journées, sans compter que vous êtes également enseignant, mais avez-vous d’autres projets de jeux de rôle qui attendent dans un coin de votre bureau ou de votre tête ?

JPJ : J’aimerais bien créer un jeu de rôle du Vieux Royaume, pour lequel j’ai déjà pris pas mal de notes. Malheureusement, faute de temps, c’est impossible pour l’instant.

G&P: Merci pour vos réponses, Jean-Philippe. G&P vous souhaite le meilleur pour le futur de cette nouvelle édition de Te Deum pour un Massacre.

Nicolas Lamberti

Nicolas Lamberti, journaliste et traducteur freelance, critique littéraire et réalisateur de télévision

Nicolas Lamberti

Nicolas Lamberti, journaliste et traducteur freelance, critique littéraire et réalisateur de télévision

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