Nous sommes en 1997. Dans le monde du jeu de rôle, Donjons & Dragons et Warhammer Fantasy Role-Play ont presque cédé leurs places hégémoniques au Monde des Ténèbres de White Wolf. En cette période, vampires, loups-garous et autres créatures surnaturelles peuplent les tables partageant notre loisir préféré. Nous sommes passés du D20 à des brouettes de D10 et l’on pensait les choses établies pour longtemps. On se trompait. Un jeu de rôle atypique, adaptation d’un jeu de cartes à collectionner – va venir s’immiscer dans ce microcosme ludique. Pour devenir légendaire.
La Légendes des Cinq Anneaux (titre trouvant son inspiration dans le Traité des Cinq Roues de Musashi Miyamoto, meilleur sabreur que le Japon ait connu et que je recommande pour tout fan de tactique), écrit par John Wick (et non, pas celui joué par Keanu Reeves!) nous propose de jouer en Rokugan, un monde de high fantasy où l’on incarne par défaut des samurais, dans le sens noble du terme.
Lors de sa parution, ce jeu fait sensation car ce petit malin de John Wick va utiliser des éléments du Monde des Ténèbres à savoir, les brouettes de D10 et la notion de clans. Cependant, il y introduit son propre système : le Roll-and-Keep. On lance xD10 (x étant fixé par l’attribut sollicité) + yD10 (y étant fixé par la valeur de la Compétence utilisée) et on en garde zD10 (z étant généralement égal à la valeur de l’Attribut. Le total étant comparé à un seuil de difficulté. Très bon système pour un jeu-phénomène.
Bienvenue en Rokugan
L5R (car c’est ainsi que l’on nomme le jeu, ou L5A en langue de Molière), fait immédiatement sensation. Il y avait très peu de jeu de rôle sur le thème asiatique. Donc le jeu va occuper une place vacante et, encore aujourd’hui, il reste une référence. De plus, si, à la base, le jeu propose d’incarner des samurais, ses suppléments vont permettre de jouer bien autre chose : des moines de la voie de Shinsei (version L5R du bouddhisme), des nezumis (variante sympa des Skavens de Warhammer), des Nagas (hommes-serpents là encore bien sympas). Pourtant, comme pour l’Appel de Cthulhu ou la plupart des gens jouent en 1920 en mode pure horreur (alors que l’AdC permet tellement plus), nombre de joueurs vont rester “bloqués” dans le délire des intrigues de samurais.
En 2000 sort la seconde édition qui ajoute des petites choses sans révolutionner le genre. En 2005, la troisième édition cultive deux grosses erreurs : premièrement elle essaie de copier certains aspects du D20 System (donc celui de Donjons & Dragons 3.5) et prend en compte les résultats des championnats du jeu de cartes pour développer l’histoire. Ce choix conduit à des résultats complètement fous qui vont égarer nombre de joueurs. Normal quand on sait que dans le background de L5R, le clan du Scorpion, le plus loyal à l’Empire d’Emeraude, finit par trahir l’Empereur. On ne pouvait faire pire choix pour ce genre de d’évolution dans l’histoire…
L’Empire d’Emeraude de Rokugan est en effet composé de clans majeurs: celui du Lion est celui de l’armée et de la stratégie. Il place l’honneur au-dessus de tout, quitte à négliger la compassion (autre valeur du bushido – le code du guerrier- qui est un idéal de vertus pour un samurai). Le clan de la Grue est celui l’éducation et l’élégance, ainsi que de la diplomatie même si ses membres ne rechignent pas devant des duels judiciaires car ils possèdent les meilleurs pratiquants du Iaijutsu, l’art de dégainer et frapper en même temps (les fans de Kenshin aiment ou aimeront). Le clan du Scorpion est chargé de se salir les mains pour la sécurité de l’Empire. La Licorne gère les relations étrangères. Le Crabe est l’équivalent du Gondor des Terres du Milieu. Le Phénix s’occupe des relations avec les kamis (esprits) et cultive les arts magiques. Enfin, le Dragon reste dans son coin en recherche l’Illumination et n’intervient qu’en cas d’incident majeur.
En 2010 sort la quatrième édition, encore considérée par certains comme la meilleure par certains, supérieure à la première édition. Et pour cause, non seulement les règles et le bushido ont été peaufinés mais, en plus, on revient au début de l’histoire, effaçant les conséquences de cette décision stupide d’avoir pris en compte les résultats des championnats du jeu de cartes dans la storyline.
FFG emprunte la voie du sabre
En 2018, Fantasy Flight Games récupère le bébé d’Alderac Entertainement Group. FFG effectue un changement majeur et y introduit sa lubie d’utiliser des dés spéciaux en combinaison avec le Roll-and-Keep de John Wick. Le résultat ne fait pas l’unanimité. Pas mal de joueurs détestent ces dés spéciaux alors que d’autres aiment. Pourtant, possédant cette version, j’y trouve de nombreux attraits. Le livre est superbe, les possibilités vraiment bien amenées, avec nombreuses écoles disponibles et toujours la possibilité de jouer autre chose que des humains et des samouraïs. De plus, jamais un jeu de rôle n’avait autant mis en valeur la profondeur émotionnelle et psychologique de son personnage. Les dés spéciaux affichent quatre symboles : réussite, réussite explosive (on garde la réussite et on relance), aubaines (effets bonus) et conflits. Ces derniers peuvent pousser un personnage dans ses retranchements car l’idéal du bushido entre parfois en conflit direct avec l’humanité ou du moins les émotions du personnage. De plus, ce dernier a un désir et un devoir qui entrent, eux-aussi, parfois en conflit direct.
Mais cette superbe idée entretient deux problèmes difficiles à gérer. Premièrement, on ne peut explorer que la profondeur personnelle de peu de personnages-joueurs à la fois. Je pense, objectivement, qu’à partir de quatre joueurs, cela devient compliqué. Secondement, l’idée du conflit peut, ironiquement, entrer en collision avec des scénarios classiques menés à l’ancienne. Mais, en dehors de cela, la 5ème édition de L5R est une réussite. Et cela donne évidemment des idées à FFG.
Avec la frénésie autour de Donjons et Dragons 5, qui permet, de par la souplesse de son système, d’être facilement adapté pour coller à certains univers, FFG décide de proposer au public Aventures à Rokugan, qui est le monde de L5R motorisé par le D20 de la 5eme édition.
Bienvenue à Rokugan en mode “soft”
Aventures en Rokugan est un copieux livre de quasiment 400 pages, solide, bien écrit et évidemment aussi beau que L5R 5ème édition vu qu’il en reprend les illustrations. Sur la forme, c’est donc le même jeu. Et dans le fond? En entamant sa lecture, on prend vite conscience qu’Aventures en Rokugan se différencie de son frère-(presque)jumeau. Tout d’abord, c’est un tout-en-un, scénario compris. Je vous en parle plus loin. Ensuite, le parti pris est : un peu plus d’action, et surtout un ton plus décomplexé et décontracté. Dès l’ouverture, on nous explique qu’on est là pour le FUN et donc, par exemple, on propose de supprimer le seppuku (suicide rituel qui sert à racheter l’honneur d’un samurai) ce qui, doit choquer pas mal de personnes par chez nous, en Occident. Mais, il faut le rappeler : Rokugan N’est PAS le Japon Féodal et le Bushido est un IDÉAL. En effet, Rokugan possède des éléments qui font référence à la Chine, au Tibet et à la Mongolie Khanique. De plus, les joueurs ne sont pas du tout obligés de jouer des samurais. Et c’était déjà le cas dans la première édition. Et oui, ce n’est pas parce que 90% des gens y jouaient de manière “standard” qu’il ne pouvait pas en être autrement. De même, si le système d’honneur (qui pouvait lorsque l’on foirait devenir très handicapant) est conservé, il se révèle plus simple tout en conservant son importance.
Aventures à Rokugan ne renie pas L5R. Et cela va dans les deux sens. Evidemment, quand on pense au moteur de D&D 5, on pense classes, archétypes et historiques. Sur cet aspect, force est de dire que l’on en a pour son argent ! Aux oubliettes les classes de D&D ! Place aux classes de Rokugan : Bushi, Duelliste, Courtisan, Shinobi, Pélerin, Acolyte et
Ritualiste. Et c’est là que l’on prend conscience du travail titanesque effectué par FFG. Celui qui possède L5R V5 comprend rapidement que les auteurs ont voulu offrir aux joueurs TOUTES les écoles. Et un guide de création rapide permet de vraiment faire cela.
Vous pouvez jouer un éclaireur Hiruma? Prenez cet historique, tant de niveaux de telle classe et tant de niveaux de telle autre. Vous voulez jouer un courtisan Bayushi? Prenez l’historique de la famille Bayushi, des niveaux en courtisan et en shinobi. Et cela marche très bien! De plus, ils ont vraiment voulu se différencier de D&D 5. Donc, non seulement ils ont créé leurs propres classes mais celles-ci sont riches et possèdent leurs propres mécaniques.
– Le bushi et le duelliste possèdent des points de focus qui se gagnent par round et des coups spéciaux qui les consomment, ainsi que des postures de combat. De plus, le duelliste est évidemment taillé pour le duel judiciaire dont les règles sont excellentes.
– Le Ritualiste est un prêtre-magicien qui possède des points de faveur (puisqu’il demande aux kamis de l’aider) qui lui permettent, en les dépensant suivant les circonstances, de moduler ses sorts.
– Le Pèlerin possède une jauge de Yin-Yang qui peut « booster » ses capacités et qui lui permet même de copier des sorts de D&D en guise de pouvoirs.
– Le Shinobi possède une variante de l’attaque sournoise basée sur les conditions subies par les ennemis et il peut préférer utiliser des outils et pièges.
– Le courtisan, qui brillera hors des situations de combat ou lors des enquêtes, peut faire plein de choses avec ses dés d’intrigue (comparable au barde mais en plus sophistiqué.
– L’Acolyte de Togashi a évidemment ses tatouages qui lui donnent des pouvoirs et l’Acolyte des Ombres en a des vraiment trop « kikoodark trop cools ».
Au final, aucune classe n’est faible ou inintéressante.
Et s’il fallait lorgner du côté complexe de Pathfinder 2, ils l’ont fait. Les historiques sont super bien pensés et sont bien plus Rokuganis que s’ils venaient simplement de D&D 5. Chaque famille de samurai présente son historique. On a également des descriptifs géographiques, y compris pour ce qui concerne les espèces non humaines – dont certaines peuvent faire dresser les cheveux sur la tête des puristes des intrigues de samurais.
Les dons ont, eux-aussi, été repensés. Ainsi de nombreux dons sont typiques des familles de samouraïs mais sont disponibles pour peu que l’on ait 13 dans une caractéristique voire 15 dans certains cas. Les possibilités de customisation de son personnage- joueur sont assez incroyables et il est facile de différencier mécaniquement un personnage d’un autre, d’autant plus que des dons permettent de gratter un peu de capacités de shugenja, de shinobi ou de bushi.
Amakakeryu no Hirameki
Je vais faire un petit détour sur les règles de duel avant de parler du reste du livre. Car je les trouve vraiment excellentes.
Dans un premier temps, s’il s’agit d’un duel judiciaire, il faut convenir des modalités (premier sang, mort, premier qui dégaine…). Ensuite, chaque participant choisit un chiffre de 1 à 6. Celui qui fait le plus grand pourra donc frapper en premier MAIS se voit assigner des dés de danger (des D6) qui seront des dés à dépenser pour augmenter les dégâts.
Personnellement, j’ai choisi que si le personnage choisit le plus petit score, il assigne à son adversaire autant de dés de danger que le score de celui-ci. Ainsi un personnage qui a choisi 6 risque de prendre bien plus de dégâts pour compenser le fait qu’il frappe en premier. En cas d’égalité? Et bien les deux personnages se voient assigner deux dés de danger. A savoir que les duellistes ont des capacités taillées pour le duel, le plus dangereux étant à mon sens, le danseur de mort qui change les dés de danger en D8, voire en D10 ! Et le nombre de dés de danger augmente à chaque round passé. Ces règles marchent vraiment bien et peuvent reconstituer la létalité redoutée par les joueurs dans D&D 5.
Un livre copieux
On arrive à une partie du livre qui va en satisfaire beaucoup : le background. Là où l’on reproche souvent au le livre de règles de L5R V5 un manque de background et que, pour en savoir plus, l’on doit acheter le livre “l’Empire d’Emeraude” qui est l’Atlas de Rokugan, dans Aventures à Rokugan, on a toute une partie de background et de cartes.
Pour un débutant, on ne peut nier que Aventures à Rokugan se montre plus intéressant que L5R pour cet aspect et pour son système, car D&D 5 est bien plus beginner friendly que L5R.
De même, le livre réserve une bonne partie de sa pagination a des conseils aux meneurs de jeu et le scénario du Masque de l’oni a été repensé et démontre une chose que beaucoup de gens ne semblent toujours pas avoir compris : l’expérience ne se gagne pas qu’avec les combats.
Conclusion
Au début, je n’étais absolument pas emballé par Aventures en Rokugan. Cependant, test après test, je l’apprécie de plus en plus. Le livre est Un tout-en-un pour 50€, univers et scénario compris. Le travail effectué par FFG pour tordre D&D 5 et nous faire sentir Rokugan à tous les niveaux est conséquent et, à mon sens, marche vraiment bien. Sur tous les joueurs que j’ai eu plaisir de diriger, un seul m’a dit ressentir plus le côté D&D 5 que Rokugan.
A mon sens, on est là devant un très bon jeu, très moderne mais qui, malgré tout, ne sied pas à tout le monde. En jouant à Aventures en Rokugan, il ne faut pas faire du L5R en mode pure intrigues d’humains samouraïs car ce serait se priver et priver les joueurs de choses funs et intéressantes. Si pour vous, Rokugan c’est le trône de fer dans un univers asiatique, en low fantasy, alors soit, mais il semblerait que ce ne soit qu’une vision parmi d’autres et probablement la plus étriquée. Par contre, si vous aimez l’animation japonaise, les mangas, les samouraïs, les sabreurs, les ninjas et surtout si les intrigues de samouraïs et les magouilles à la trône de fer c’est pas vôtre tasse de thé, alors Aventures à Rokugan peut grandement vous plaire.
Il y a aussi le facteur “débutant”. AiR est vraiment plus adapté sur TOUS les plans au néophyte car c’est un tout-en-un (donc moins cher au final), qui ne manque pas de contenu, et possède un système connu et facile à assimiler pour les débutants.
Une franche réussite.
LA FICHE TECHNIQUE
LA FICHE TECHNIQUE
AVENTURES À ROKUGAN
Titre: AVENTURES À ROKUGAN
Titre original: Adventures in Rokugan (Fantasy Flight Games – 2023)
Oeuvre: LA LÉGENDE DES CINQ ANNEAUX / ROKUGAN
Un jeu de rôle de Max Brooke, Welden Bringhurst, Lydia Suen
Illustrations de couverture: Andrei Pervukhin
Illustrations de Piotr Arendzikowski, Imad Awan, Francesca Baerald, Helge C. Balzer, Lukas Banas, Mike Capprotti, Amelie Hutt, Mathias Kollros, Reiko Murakami, Andrey Pervukhin, Peter Polach, Magali Villeneuve, Asep Ariyanto, Max Bedulenko, Cassandre Bolan, Marius Bota, Christopher Burdett, Shiba Byodumai, Manuel Calderon, Sergio Camarena Bernabeu, Joshua Carlos, Billy Christian, Calvin Chua, Brent Chumley, Conceptopolis, Carlos Palma Cruchaga, Mauro dal Bo, Nele Diel, John Anthony Digiovanni, Stanislav Dikolenko, John Donahue, Derek D. Edgell, Polar Engine, Fantasy Flight Games, Shen Fei, Tony Foti, Anthony Francisco, Felipe Gaona, Kevin Goeke, Gong Studio, Brock Grossman, Matt Hansen, Lin Hsiang, Aurélien Hubert, Ursula M. Husted, Giby Joseph, Shen Kei, Daria Khlebnikova, Mu Young Kim, Pavel Kolomeyets, Olly Lawson, Diego Gisbert Llorens, Damien Mammoliti, Antonio José Manzanedo Luis, Francisco Martin, Diana Martinez, Jorge Matar, Marcel Mercado, Tomas Muir, Luis Núñez de Castro Torres, Chris Ostrowski, Immar Palomera, Ben Peck, Borja Pindalo, Jeff Porter, Eli Ring, Axel Sauerwald, Fajareka Setiawan, Rudy Siswanto, Filip Storch, Shawn Ignatius Tan, Andreia Ugrai, Halil Ural, Charles Urbach, Le Vuong, Haibin Wu
Plans et cartes: Francesca Baerald
Traduction: Valérie Florentin-Richy, Jérôme Vivas-Burel
Thème(s): Fantasy / Extreme-Orient
Mécanique(s): D20
Matériel: livre de 336 pages couleurs à couverture rigide.
Complexité: Initié
Éditeur(s): EDGE
Prix moyen constaté: 49,99€