Les jeux de rôles d’histoire non moderne ou non contemporaine totalement dénués d’éléments fantastiques sont assez rares pour que l’on se penche plus particulièrement sur l’un d’eux quand il nous est proposé. Parmi les plus connus, on peut citer le génialissime Te deum pour un massacre et, dans une moindre mesure (car on peut y intégrer des éléments mythologiques) la jolie gamme de produits éditée par 7ème Cercle, à savoir les ouvrages appartenant aux collections Keltia et Yggdrasil. En ma qualité de modeste amateur d’histoire, je me suis donc intéressé de près à Medium Aevum.
L’histoire de Medium Aevum (Moyen-âge dans la langue de Sénèque) débute il y a plus d’une dizaine d’année, en Grande-Bretagne, sous la plume de Jeremy Keller et sous le nom de Chronica Feudalis. Par sa forme, ce jeu de rôle avait comme originalité d’être présenté sous la forme d’un manuscrit du XIIème siècle rédigé par des moines. A cela s’ajoutait un parti pris totalement historique et un système de jeu assez original dont je vais vous parler plus avant. Autant d’aspects qui ont attiré l’attention de Franck Plasse et des éditions des XII Singes qui ont récupéré un parchemin original qui péchait quand même par son manque de professionnalisme pour construire un jeu de rôle plus précis et structuré.
Medium Aevum est présenté, comme souvent chez les XII Singes, sous la forme d’un livre au format A5 à couverture souple. Je dois avouer que je ne suis absolument pas fan de ce type de format économique pour les bouquins de jeu de rôle (il est vrai que je n’utilise pas les transports en commun, le côté « poche » n’est donc pas pour moi un argument d’achat). Un format condensé qui fait que l’ouvrage est chiche en illustration, avec un choix de polices d’impression qui sont un supplice pour les quinquagénaires comme moi. Cependant, ici, force est d’admettre ces inconvénients sont compensés par l’élégant travail cosmétique d’Agathe Pitié et Maxime Plasse. A cela on ajoute l’utilisation d’un papier légèrement glacé, qui rend bien agréable la tenue en main.
Pour ce qui est du choix narratif, les auteurs ont choisi de reprendre le style de l’œuvre originale. Medium Aevum est donc un jeu de rôle rédigé par des moines du XIIème siècle ! Le maître de jeu prend d’ailleurs le titre d’abbas. On pourrait croire que ce choix apporte de la lourdeur à la lecture. En fait, c’est le contraire, les discours de ces moines ludistes que sont Guérôme et Sebastianus apportent au texte une belle dose d’humour et de légèreté, à base d’expressions latines et de termes en vieux français. Du coup, l’ensemble se lit avec grand plaisir.
Le livre est divisé en cinq chapitres. Le premier chapitre est une utile description de l’Europe féodale du XIIème siècle. Avec une prose simple et explicite, les auteurs nous exposent ici le découpage politique de l’ère, les principaux évènements historiques (nous sommes en pleine période de croisade et de la rivalité entre Capétiens et Plantagenêts) et les particularismes de la société féodale. Des aspects qui sont évidemment à bien maitriser si l’on compte rester dans la démarche historique voulue par les auteurs. Evidemment, en 14 pages, les auteurs n’ont aucunement l’ambition de délivrer un cours d’histoire mais l’essentiel y est.
Après cela et une courte présentation amusante du loisir (gardez bien votre bourses de polyèdres sous la main !), on enchaine avec une partie plus technique. En commençant par la définition des personnages (les protagonistes). Le choix est très large, on peut en fait créer n’importe quel type de personnages.
Un personnage est défini par des Compétences regroupées en 4 familles (Combat, Poursuite, Relation et Subterfuge) ; des moyens (l’équipement) ; trois Aspects (des habiletés spéciales, des talents, voire des défauts) et un Background. Hormis le Background, toutes ces données sont identifiées par un type de dé (1d4 à 1d12, 1d8 pour les Aspects). Enfin, un personnage se voit attribuer deux caractéristiques chiffrées : l’Ardor et la Vigor. L’Ardor est une source d’énergie pour effectuer des actions. La Vigor est en quelque sorte l’endurance du personnage. A noter qu’une grande liberté est laissée aux joueurs et à l’abbas pour définir les aspects des protagonistes. Ce qui se poser comme un obstacle délicat pour les rôlistes débutants.
Heureusement, les hésitants ne sont pas laissés sans assistance. Le jeune protagoniste va bénéficier des enseignements de trois mentors qui vont lui apporter Compétences et Moyens. Par exemple, si le jeune Alix a comme mentor Égide le ménestrel, il bénéficiera d’un coup de pouce dans les Compétences Séduction, Spectacle et Tromperie. C’est-à-dire qu’il augmentera d’un niveau le type dé utilisé pour ces compétences – par exemple, si Alix a 1d4 en Séduction, il passe à 1d6. Les mentors fournissent aussi des Moyens. Dans le cas d’Égide, cela sera un Instrument au choix de type 1D10, une Cape de velours de type 1D8, une Lettre d’amour de type 1D6. Une même démarche de soutien est apportée pour les Aspects et le Background, avec une longue liste d’exemples présentés sur deux pages. Enfin, au début de la partie, un protagoniste a 3 points d’Ardor et 3 points de Vigor inscrits sur sa feuille.
Mais comment ça marche ? En fait, la motorisation de Medium Aevum, si elle n’est pas commune, est relativement intuitive. Toutefois, afin de bien en définir les principes et le fonctionnement, un long chapitre (Pas à pas) est consacré à une série d’exemples concrets, pour les situations de combat, subterfuges ou de poursuite.
Dans le cas de la résolution d’une action simple, l’abbas va fixer une valeur de difficulté (la valeur standard est de 4). Le protagoniste va alors lancer une « main de dés » qui inclut le dé correspondant à la Compétence sollicitée plus, éventuellement, un dé correspondant au Moyen utilisé. En dépensant des point d’Ardor, le protagoniste peut également ajouter des dés attachés à un ou plusieurs de ses Aspects s’ils sont appropriés à la situation. Le protagoniste lance alors le/s dé/s de sa main et si un dé atteint le seuil de difficulté, l’action est réussie. Il peut évidemment avoir un double, voire un triple succès, si plusieurs dés dépassent la difficulté.
Il y a quand même deux restrictions : aucun des dés supplémentaires ne peut être d’un type supérieur à celui du dé de Compétence (par exemple, si Alix a une Compétence Spectacle égale à 1D6, il ne lancera pas un 1D10 pour son Moyen Instrument mais 1D6, soit une main de 2D6) et la main du protagoniste ne peut pas dépasser sa valeur de Vigor en cours. A côté de cela, si l’abbas juge que certains Aspects ou Moyens présents peuvent gêner le protagoniste, il peut appliquer des malus en retirant des dés de sa main.
Dans le cas d’un conflit (qu’il soit physique ou psychologique) qui engage personnages et PNJ, la règle est fondamentalement la même, à quelques nuances près. L’abbas détermine d’abord l’initiative pour déterminer un ordre d’action qui va perdurer durant toute la scène. Chaque participant au conflit lance généralement une main incluant un dé d’Élan (dans des circonstances normales) plus les dés de Moyens et d’Aspects. On classe alors tout ce beau monde en ordre décroissant.
Quand vient son tour, le joueur peut exécuter une action d’attaque ou de manœuvre. Dans le cas d’un succès, la cible perd un point de Vigor. A noter que, généralement, les quidams de base n’ont qu’un seul point de Vigor, les personnages secondaires 2 points de Vigor alors que les protagonistes, les mentors et les antagonistes bénéficient de 3 point de Vigor. Un protagoniste ou un PNJ peut cependant réagir à une attaque. On appelle cela une Réaction. Pour réagir à une attaque, on peut se protéger en utilisant les Compétences Défendre (contre Frapper), Volonté (contre Séduction) ou Dissimulation (contre Sens). Pour que la Réaction soit un succès, il faut que le résultat obtenu soit supérieur à celui de l’attaque.
Dans le cas d’un combat, quand un personnage perd plus de point de Vigor qu’il ne lui en reste (dans le cas d’un double ou triple succès de son adversaire), il subit une blessure. L’excès détermine l’importance de la blessure, une blessure moyenne pour un point, une blessure grave pour deux points. Une blessure est traitée comme un Aspects subis ; 1D8 pour la blessure moyenne et 1D10 pour la blessure grave. Dans le but d’encourager le roleplaying, s’il y a quelques exemples de blessures dans le texte, une grande liberté est laissée à l’abbas et aux joueurs pour préciser la nature d’une blessure et de ses conséquences.
Si Medium Aevum est un jeu historique, les moines n’oublient pas l’omniprésence du Diable, caché dans l’ombre, et de l’influence de ses serviteurs, sorciers et sorcières. Un court chapitre (inutile de trop s’attarder sur ce qui relève trop souvent de la superstition) est donc consacré à la sorcellerie, aux malédictions et à leurs conséquences sur les esprits faibles.
Medium Aevum n’est pas qu’un livre de règles. Il propose également un setting et un scénario. Le setting porte sur Lochalman, une petit bourgade des Highlands établie au bord du loch Ness, à deux jours d’Inverness. Le choix de l’Écosse n’est pas anodin car le pays est au XIIème siècle en proie à une grande agitation politique, une situation qui est un terrain propice à la construction de scénarios. Le chapitre donne une description détaillée du village, de ses habitants et leurs activités. Avec aux alentours, une tour hantée, bien sûr. S’en suit un scénario en six scènes baptisé Les chiens de Lochalman.
Medium Aevum occupe un secteur du jeu de rôle peu exploité : le jeu de rôle historique à thème médiéval. Rien que pour cela, il a de quoi ravir les rôliste amateurs de la période. Mais il possède d’autres qualités comme un large choix dans les possibilités d’aventures. Vous pouvez jouer un chevalier templier, un ménestrel, un brigand ou une courtisane, les possibilités de scénarios sont infinies car le système gère tout autant les combats que les rapports sociaux.
Medium Aevum s’appuie sur des éléments historiques bien exposés (en évitant un rébarbatif aspect encyclopédique) et sur un système de jeu très rythmé qui encourage la narration et le roleplay. Si les personnages sont riches en caractéristiques, leur création est grandement facilité avec à la présence des mentors. Les joueurs expérimentés apprécieront aussi la mécanique de gestion des conflits qui leur laisse une grande liberté d’action. Les joueurs débutants seront eux un peu perdus, même si les auteurs ont pensé à eux avec de nombreux exemples et le chapitre Pas à pas.
Au final, avec son format A5 à la sobre conception, Medium Aevum ne paie pas de mine. Cette impression disparait immédiatement à la lecture des premières lignes. Les XII Singes nous propose là un excellent jeu de rôle historique au format poche. Pour le plus grand plaisir de l’amoureux de l’histoire féodale.
MEDIUM AEVUM
Type de jeu: Jeu de rôle
Gamme: Medium Aevum
Type: livre de règles et d’univers
Thème(s): Histoire / Mediéval
Mécanique: Main de dés
Rédaction: Isabelle Ammar-Khodja, Vincent Blanchard, Jeremy Keller, Franck Plasse, Roxane Touret
Illustration de couverture: Agathe Pitié, Maxime Plasse
Illustrations: Lisa Turbant
Plans & cartes: Maxime Plasse
Matériel: livre format A5 de 112 pages N&B à couverture souple
Prix: 19,90€