Tout le monde connaît plus ou moins le Monde des Ténèbres, notamment Vampire et Loup-garou. Tout le monde connaît plus ou moins le système Powered by the Apocalypse né pour accompagner Apocalypse WorldAMP, popularisé par des jeux comme Dungeon World et, surtout, Monster of the week. Hors, s’il y a bien quelque chose que N’est PAS Monsterhearts, c’est Monster of the week. Alors oui, on y trouve bien des monstres et des personnages troublés. Oui, c’est bien de l’urban fantasy. Mais Monsterhearts n’est pas un jeu d’enquête ou d’action – quand bien même si cela peut survenir. C’est un jeu de drama adolescent (lycée ou faculté) et de monstres. En réalité, le jeu a pour fondement le chaos émotionnel et corporel vécu par des adolescents, ainsi que sur la cruauté dont ceux-ci peuvent faire preuve – parfois sans en avoir vraiment conscience.
On parlera donc dans un premier temps de l’édition française de Lapin Marteau puis du jeu lui-même, notamment des actions et des mues. Puis nous aborderons ce qu’est réellement Monsterhearts, de la différence entre “queer” et “woke” (étant LGBTQIA+, c’est une chose importante selon moi) et nous parlerons brièvement du supplément déjà sorti à l’heure ou j’écris cette review.
Cette édition française nous est présentée par Lapin Marteau, une petite boîte de jeu de rôle fort sympathique (que j’ai eu la chance de rencontrer à OctoGônes il y a environ 5 ans), dynamique et sincère mais qui, selon moi, manque cruellement de moyens. Possédant Ryuutama (l’une de leurs premières traductions) dédicacé par toute l’équipe, leur traduction de Château Falkenstein et enfin Monsterhearts 2 on peut souligner que ce manque de moyen se manifeste par l’usage d’un épais papier de qualité très moyenne et surtout, qu’ils sont contraints à l’impression en noir et blanc. Ce qui est fort dommage. Château Falkenstein aurait été somptueux en couleurs, avec un bon papier. Ceci dit, ils compensent ces faiblesses cela par une grosse police d’écriture, une mise en page impeccable et une couverture dure solide. Certes, mon appréciation de la police d’écriture de Monsterhearts 2 est liée à ma grave déficience visuelle grave mais il me semble aussi que beaucoup de rôlistes ont la quarantaine passée avec une vue qui chute au point que certains super jeux de rôle deviennent des plaies à lire (Néphilim Légende à tout hasard qui est connu pour être écrit tout petit…).
Donc, Monsterhearts 2 est vraiment facile à lire : c’est écrit gros, la mise en page est aérée, la structure du livre est pratique et surtout, le style d’écriture ne fait pas de chichi. Une bonne chose car c’est un jeu qui hésite pas à mettre les pieds dans le plat. Le choix des mots, des expressions, est fait pour être clair, pour aller dans le vif du sujet et il pourrait même choquer. On y parle de joint et de drogues, de sexe, Il y a plein de grossièretés. Mais, attention, rien de tout cela n’est mis en valeur. Cela retranscrit simplement la façon d’être et de parler de la plupart des adolescents. Le supplément adopte ces mêmes qualités, avec une petite différence: la couverture souple. Mais sachant qu’il est fourni avec l’écran (vraiment pas mal d’ailleurs) au prix de 20€, on ne va pas chipoter. Monsterhearts n’est pas un jeu cher.
Monsterhearts 2 utilise donc le fameux système Powered by the Apocalypse créé par Vincent Baker pour son célèbre jeu Apocalypse WorldAMP. Si son jeu traîne la réputation d’être pour être une purge à lire, nombre de personnes qui ont compris l’essence du jeu se sont appropriés le système. Monster of the week est un très bon exemple mais il y en a bien d’autres. Dans Monsterhearts, vous jouez une “mue” qui est le nom donné aux livrets/playbooks. Ceux-ci représentent à la fois un type d’adolescent (comme la Reine) et/ou un monstre. En effet, les monstres sont cachés. Pas de déséquilibre, tous les playbooks sont intéressants. Le nombre de pouvoirs/actions spécifiques est très limités, tout comme celui des intrigants.
Au niveau des caractéristiques et des actions, on trouve quatre caractéristiques:
– Sexy : pour tout ce qui touche à la séduction ;
– Glacial : pour “rembarrer” quelqu’un et garder son sang-froid ;
– Impulsif : pour le violence physique ou la fuite ;
– Ténébreux : pour ce qui touche au fort intérieur de son personnage et au surnaturel.
Ces quatre caractéristiques sont impeccables, tant dans leur choix que dans leur traduction.
Pour les actions générale, il y en a une petite dizaine plus quatre actions d’adulte que j’utiliserai car fort intéressantes. D’ailleurs, je n’aime pas faire jouer de lycéens et donc je ferai jouer des étudiants en fac, cela donne moins de trucs chiants à gérer et plus de libertés aux personnages. Ces actions sont :
– Allumer (utilise le Sexy) : pour séduire quelqu’un. Un PJ peut TOUJOURS résister.
– Rembarrer (utilise le Glacial) : pour envoyer promener quelqu’un qui tente de vous séduire.
– Manipuler qui consomme un ascendant, c’est-à-dire une position de force sur quelqu’un : pour l’amener à faire quelque chose pour vous ou contre lui. A savoir qu’un PJ peut TOUJOURS résister.
– Cogner (utilise Impulsif) : pour se battre
– Fuir (utilise Impulsif) : pour se sauver
– Garder son sang froid (utilise Glacial) : pour ne pas péter un câble.
– Contempler l’Abysse (utilise Ténébreux) : pour essayer de mieux y voir et de comprendre les choses
– Soigner : Car on est jamais trop prudent.
– Tromper la mort : pour s’en sortir.
– Aider quelqu’un à se sentir magnifique (Action d’adulte qui utilise Sexy) : pour booster quelqu’un parfois, en en tirant avantage.
– Dire ses quatre vérités (Action d’adulte qui utilise Glacial) : pour faire perdre des ascendants à quelqu’un ou le pousser à craquer voire, même, à se barrer.
– S’interposer dans un conflit (Action d’adulte qui utilise Impulsif) qui intervient en cas de disputes ou bagarre.
– Partager sa douleur (action d’adulte qui utilise Ténébreux) permet de se confier et se retirer une condition, de se donner un boost pour prendre soin de soi ou alors de booster ceux qui peuvent vous aider.
Pour l’essentiel du système, c’est 2D6+ Bonus ou Malus de caractéristique + Bonus ou Malus de circonstances.
– Sur un 10+ vous obtenez ce que vous voulez. Des conséquences positives feront avancer l’histoire.
– Sur un 7 à 9, vous obtenez ce que vous voulez MAIS quelque chose se passe mal, il y a prix un payer ou un contrecoup.
– Sur un 6- , vous n’obtenez pas ce que vous voulez. Des conséquences négatives feront avancer l’histoire. Le personnage gagne un point d’expérience.
A partir de là, les choses sont donc simples et fluides. Chaque mue a des actions spécifiques, une action sexuelle et est bien détaillée. Le jeu est donc intéressant, riche, possède un bon système de progression et se joue pour des scénarios de 2 à 5 sessions. Ce qui est un format très réaliste.
Bon, de quoi parle concrètement Monsterhearts 2? Et bien, de l’adolescence dans sa globalité avec tous les travers et le chaos que l’on traverse durant cette période de notre vie. Drogue, alcool, violence sexe, trahisons amoureuses, question sur son identité, rapports de force, problèmes familiaux, études difficiles, changements physiologiques et physiques et, bien sûr, acceptation ou rejet de sa nature monstrueuses, qu’elle soit physique (comme pour le loup-garou ou le vampire par exemple) ou morale (comme pour le mortel ou la reine).
Ainsi, c’est un jeu qui s’adresse à des joueurs et meneurs de jeu matures et qui comprennent bien le propos du jeu. Comme je l’ai dis plus haut, ce n’est pas Monster of the week / Buffy / Angel, ce n’est pas non plus Tales from the Loop ou Le Monde des ténèbres. Cela emprunte à chacun d’eux. C’est un jeu hyper centré sur les personnages et leurs relations, plus encore qu’un personnage social dans Vampire par exemple. Il y a des éléments qui doivent absolument être conservés, comme les Ascendants (qui sont essentiels dans les rapports de force et la domination des autres, que ce soit moralement ou physiquement), les actions sexuelles (qui sont essentielles mais NE sont PAS pour autant le cœur du jeu) ou même le côté “carré” des actions made PtbA. Le jeu se veut également fait pour des scénarios plutôt courts ou de courtes campagnes (entre 2 et 5-6 sessions). Ce format est parfait pour reconstituer le chaos de l’adolescence et pour exploiter pleinement l’imprévisibilité des joueurs de PbtA et le fonctionnement du système.
Lorsque j’étais plus jeune, il m’est arrivé d’en avoir marre des femmes. Trop de disputes avec ma mère et ma sœur et la non proximité avec d’autres femmes ont eu pour conséquences de m’interroger sur ma sexualité et de mon genre. Car, à présent, de mon point de vue, la Nature différencie bien reproduction et sexualité. Il y a en a une qui obéit à des lois strictes pour le bien de notre espèce. La seconde, en revanche, n’a rien de fixe ou aucun impératif biologique. Pour cette raison, à l’époque, avec un ami qui se posait les mêmes questions, on a expérimenté et c’est ainsi que j’ai découvert pas mal de choses sur la sexualité en général (comme le fait que presque tout peut-être agréable quand c’est bien fait, avec bienveillance et consentement), Pourquoi ce 3615 MY LIFE? Parce que c’est à ce moment-là que j’ai découvert que j’aurais pu être queer et que j’ai cherché le sens de ce mot. En effet, queer voulant dire à la base étrange (dans le sens péjoratif du terme), la communauté LGBTQIA+ se l’ai octroyé pour marquer le fait de qu’elle ne reconnaît pas dans les standards très carrés de la société.
Malheureusement, le terme s’est énormément politisé, radicalisé au point d’avoir un côté destructeur des normes sociales (source Wikipédia). Et je trouve cela bien dommage car cela voudrait dire que Monsterhearts 2 est politiquement orienté alors que l’adolescence est déjà assez bien bordélique comme ça…Pas besoin d’ajouter une connotation politique qui laisse dangereusement penser que le mouvement queer est similaire au terrible mouvement woke. Ces propos n’engagent que moi mais je déteste les forceurs d’idéologie ou de religion pour avoir vécu une partie de mon enfance dans un village où on me crachait dessus parce que mes parents n’étaient pas mariés et que je n’étais pas baptisé, Qu’importe que ce soit une idéologie ou une religion. On ne force pas les gens, Point. C’est une question de respect, de morale et de consentement. Et pour ce qui est des changements de sexualité ou de genre, c’est un questionnement très individuel. Mes parents ont eu un couple d’amis ou “lui” a eu une fille et s’est marié tout en étant en réalité gay (et sans le cacher à son épouse). Des hommes et des femmes se sont découvert gay ou bi bien après avoir vécu une part de leur vie. Mais, c’est leur vie et leur choix!
Au final, si la Nature offre une liberté sur le sujet, je pense qu’il ne faut pas nécessairement lier son orientation sexuelle à la politique car on a vu les excès et problèmes que cela peut causer.
Vendu au petit prix de 20€, le supplément et l’écran sont de chouettes ajouts qui fournit scénarios, personnages non-joueurs, une mue supplémentaire et des conseils. L’écran, quand à lui est plutôt bien fait avec une illustration qui fait très chambre d’ado non rangée mais surtout le verso est assez exemplaire car il présente toutes les actions possibles et leurs résultats. Je ne peux donc que recommander. Je suis d’ailleurs assez hyped par le volume 2 qui proposera d’autres mues, notamment certaines de yokai japonais.
J’aime beaucoup Monsterheart 2. Cette version française comble son manque de moyen avec une grande police (ce qui m’a fait plaisir), une écriture de qualité et une structure réfléchie qui rend le livre facile à lire et à comprendre – avec un texte qui va droit au but. Les actions et caractéristiques sont super bien choisies et les mues intéressantes. Maitriser un scénario est vraiment une expérience intéressante et je pense qu’il faut absolument mettre à contribution les joueurs, notamment si vous faites jouer en faculté.
Les illustrations sont ok. L’écran est réussi et le supplément assez chouette. Le tout coûtant 60€. Ce qui est peu quand on voit le prix en hausse de la plupart des JDRs de nos jours. Alors oui, c’est en noir et blanc et la qualité du papier n’est pas folle mais, c’est bien le seul reproche technique que l’on peut faire à ce livre qui est, selon moi, très satisfaisant.
Je ne saurais, par contre, que trop conseiller de bien différencier queer/woke et LGBTQIA+ friendly. Monsterhearts 2 obéit à ce second cas de figure. Rien n’incite à jouer des personnages woke/queers car l’adolescence est déjà assez difficile comme ça et propose déjà son lot de défis. Je met donc un bon 4 étoiles sur 5 à ce jeu qui est selon moi un bon PbtA, un bon propos sur l’adolescence, bien écrit, avec un fort potentiel.
Titre: MONSTERHEARTS, VOLUME 1
Titre original: Id. (Buried Without Ceremony – 2013)
Œuvre: MONSTERHEARTS
Thème(s): Contemporain / Horreur / Queer
Type: Livre de base
Mécanique: Powered by the Apocalypse
Complexité: Initié (averti)
Création et rédaction: Avery Alder
Illustration de couverture: Jérémie Morán
Illustrations: Jérémie Morán, Fabrissou, Silent Matt Psychedelic, Josh Lee, Harker School Staff Photographer, David Blair, Montyred, Jon Ridinger
Traduction: Sélène Tonon, Coralie David, Jérôme Larré
Matériel:
– Livre de 300 pages au format 18,2 x 25,7 cm en N&B à couverture rigide
Edition: LAPIN MARTEAU
ISBN: 978-2-490590-22-9 (juillet 2024)
Prix moyen constaté: 40,00€